Dara Khosrowshahi, patron d'Uber (© Uber)
Dara Khosrowshahi, patron d'Uber (© Uber)

Dara Khosrowshahi estime qu'un million de conducteurs seraient privés d'une source indispensable de revenus rien qu'aux États-Unis s'ils devaient être obligatoirement considérés comme des salariés.

Il ne fallait pas en attendre moins du président-directeur général d'Uber, empire du travailleur indépendant des années 2010 et maintenant 2020. Le patron de l'entreprise californienne s'est fendu d'un communiqué aux allures de tribune, ce lundi 5 octobre, dans lequel il essaie de convaincre quant aux avantages apportés par le régime professionnel des chauffeurs de la plateforme, et dans lequel il tente de sensibiliser aux fâcheuses conséquences qui découleraient d'un changement de statut des conducteurs.

Un modèle remis en question…

Que ce soit pour son activité principale de VTC ou pour les livraisons de repas, le modèle d'Uber repose essentiellement sur le statut de ses chauffeurs et livreurs. Dara Khosrowshahi vend d'ailleurs très bien la philosophie de son entreprise. « Aucune entreprise ne donne à ses employés la même flexibilité que les chauffeurs d'Uber ».

Les chauffeurs de la plateforme choisissent en effet leur lieu, horaires et rythme de travail, la flexibilité étant le leitmotiv de l'application. « Personne ne leur dit où, quand ou comment travailler », poursuit le P-D.G. « Ils n'ont pas à pointer à l'arrivée ou au départ, ni à effectuer un certain nombre de trajets ». Le propre de l'indépendance.

Pourtant, derrière la perfection vantée par Khosrowshahi, plusieurs pays ont lancé des procédures visant à faire basculer les chauffeurs du statut de travailleur indépendant vers celui de salarié. En France, le gouvernement a confié à l'ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, Jean-Yves Frouin, le soin de mener une mission liée à la requalification potentielle du statut des travailleurs des plateformes, dont le rapport est attendu ce mois-ci. Au Royaume-Uni, une décision de justice est attendue, et elle pourrait aboutir à la requalification des chauffeurs en salariés.

Aux États-Unis, on a déjà franchi le pas, ou du moins, on tente de le franchir. Une cour californienne a rendu une décision, cet été, faisant des chauffeurs des employés. Le juge a estimé que les conducteurs, privés de leurs droits sociaux (salaire minimum, assurance maladie, etc.), jouissaient d'un statut précaire. Mais Uber et Lyft, concernées par la décision, ont fait appel de cette dernière.

… qui séduit toujours ceux qui le font vivre : les chauffeurs eux-mêmes

Pour sa défense, Dara Khosrowshahi s'appuie sur un récent sondage réalisé par le cabinet new-yorkais de conseil en recherche et analyse Edelman Intelligence, pour rappeler qu'aux États-Unis, les chauffeurs sont une majorité à vouloir conserver ce statut d'indépendant, pour 72% d'entre eux, 84% des chauffeurs affirmant cumuler leur travail de conducteur avec une autre activité professionnelle, à temps partiel.

Avant l'éclatement de la crise de la Covid-19, les États-Unis recensaient 1,2 million de chauffeurs Uber. Selon le patron de la firme, en basculant sur un régime salarial, l'entreprise devrait mettre à l'écart 926 000 chauffeurs. « Si Uber employait des chauffeurs, nous n'aurions que 260 000 postes à temps plein disponibles », précise Khosrowshahi, qui explique que près de trois conducteurs sur quatre se verraient refuser la capacité de travailler pour Uber. Et « refuser à près d'un million d'Américains de travailler aurait des répercussions profondes sur une reprise », prévient-il, alors que la dette d'Uber se chiffre déjà en milliards de dollars, et que le nombre de chômeurs grossit au pays de l'Oncle Sam.

Outre un coût supérieur par tête, Uber devrait embaucher des employés supplémentaires pour gérer les plannings des chauffeurs et leur répartition, et un salarié à temps partiel coûterait plus cher qu'un indépendant qui exerce à temps partiel, puisque le salarié fera peser sur Uber des charges sociales pour un nombre d'heures de travail plus faible que prévu. « 91% des conducteurs aux États-Unis travaillent moins de 40 heures par semaine aujourd'hui », fait valoir le dirigeant.

Dara Khosrowshahi estime que la priorité doit être ailleurs, et que les États devraient eux-mêmes améliorer les avantages et la protection des petits travailleurs. C'est d'ailleurs en ce sens qu'il souhaite la création de fonds destinés à financer des avantages sociaux, auxquels toutes les entreprises contribueraient, et qui seraient ensuite reversés aux chauffeurs.

Qu'en pense-t-on chez Clubic ?

Mesdames et messieurs, Dara Khosrowshahi est en campagne ! Le patron d'Uber fait clairement miroiter la menace de mettre à terre 1 million de chauffeurs américains pour que toute tentative de requalification de la relation Uber-indépendants en Uber-salariés cesse. Et le dirigeant dispose d'un atout de taille dans sa manche : plus de sept chauffeurs sur 10 souhaitent rester indépendants. Indépendants certes, mais avec une protection sociale renforcée, pour laquelle ils militent. Fixer la jauge entre liberté et protections ne sera pas si facile. Mais c'est de bien de ça que dépendra l'avenir à long terme du modèle à la Uber.