Microsoft met en avant depuis le début 2016 sa volonté de promouvoir le jeu sur Xbox One mais aussi sur PC. L'arme de cette promotion semble être dans le cross-platform c'est à dire qu'un jeu Xbox One peut être joué sur PC. C'est le cas de Quantum Break, des auteurs d'Alan Wake, qui doit débouler sur console le 5 avril 2016. Pour doper les précommandes de son titre, Microsoft a annoncé une offre promotionnelle où l'acheteur du jeu Xbox One se voit offrir Alan Wake pour Xbox, mais également la version PC de Quantum Break. Une version qui sera proposée au téléchargement via le Windows Store.
Pourtant, malgré cette stratégie cross-platform qui se dessine clairement (voir Microsoft veut démocratiser l'achat croisé sur Xbox One et PC... au nom de Windows 10 ?) et pourrait même s'étendre aux smartphones avec Windows Mobile, Microsoft n'a pas renouvelé la même offre pour Gears of War:Ultimate Edition sorti dans la douleur la semaine dernière sur PC via le Windows Store et moyennant la somme de 27,99 euros TTC (car même si vous avez le jeu Xbox One, vous devez repasser à la caisse).
Au-delà du cross-platform, c'est bien le Windows Store qui pose problème. Un problème sérieux tant le magasin applicatif de Microsoft - qui n'accueille toujours pas d'ailleurs le Photoshop promis pendant les conférences de lancement de Windows 10 -, se révèle pour le jeu, par certains aspects, comme un cheval de Troie à peine déguisé. Les prochains titres phares de Microsoft pour le monde PC ne seront disponibles que par le biais du Windows Store. Ce qui implique de posséder Windows 10. Qui plus est, dans le cas de Gears of War: Ultimate Edition, comme ça sera le cas avec Quantum Break, il vous faut posséder la dernière version de Windows 10 (mise à jour de novembre 1511) ainsi qu'une carte graphique DirectX 12. Ce dernier point est compréhensible pour un jeu comme Quantum Break dont le moteur semble tirer profit des dernières avancées graphiques alors que ça ne l'est pas du tout pour Gears of War: Ultimate Edition : une réédition d'un jeu basé sur l'Unreal Engine et sorti en 2006 (... !).
Mais le fond du problème n'est pas tant les restrictions matérielles absurdes dans le cas d'un jeu comme Gears of War. Non, le fond du problème c'est que les jeux proposés par le Windows Store ne sont plus des logiciels Win32 comme l'ensemble de la production vidéoludique sur PC à date mais des apps UWP, Universal Windows Platform. Une plate-forme universelle qui force les développeurs à revoir leurs habitudes et surtout se révèle incompatible avec nombre de solutions existantes alors qu'elle semble être la seule à profiter des nouveautés introduites par Microsoft.
Gears of War: Ultimate Edition sur le Windows Store
Prenons l'exemple du GeForce Experience de NVIDIA, ce programme qui analyse vos jeux et propose les meilleurs réglages en fonction de votre configuration en plus de proposer des fonctions d'enregistrement vidéo et de partage en ligne. GeForce Experience ne fonctionne pas, aujourd'hui, avec les apps UWP, pas plus d'ailleurs par exemple que la manette NVIDIA Shield utilisée en filaire... Contacté à ce sujet, NVIDIA nous indique simplement travailler avec Microsoft sur ce point. Mais la vraie question est de savoir si Microsoft veut travailler avec NVIDIA. Car l'éditeur semble vouloir créer son expérience de jeu sur PC, en substituant à GeForce Experience les fonctions d'enregistrement vidéo via son app Xbox par exemple. Ce ne sont pas les seuls problèmes puisqu'au lancement, Gears of War: Ultimate Edition n'est ni compatible avec le SLI, ni avec les écrans G-Sync... NVIDIA n'est bien sûr pas le seul affecté par les choix faits par Microsoft et AMD connaît aussi son lot de déboires et limitations avec un FreeSync aux abonnés absents tout comme le CrossFire. Du reste, un utilitaire comme FRAPS ne fonctionne pas non plus avec les jeux UWP : le compteur ne s'affiche pas et la vidéo enregistre le son du jeu et le flux vidéo de vos fenêtres du bureau... pas le jeu ! Et n'allez pas croire que vous pourrez ajouter un jeu Windows Store à votre client Steam comme vous pouviez le faire jusqu'à présent avec les titres non issus de la plate-forme Steam.
Ne nous y trompons pas, les craintes ici évoquées ont trouvé un écho la semaine dernière dans une tribune publiée par Tim Sweeney, dirigeant d'Epic Games, dans les colonnes du Guardian. Cela ne manque d'ailleurs pas de sel quand on sait que Tim Sweeney, un vétéran de l'industrie largement reconnu, n'est pas exactement étranger au succès de Gears of War. Dans les grandes lignes, l'intéressé craint que Microsoft ne tente de faire du PC une plate-forme de jeu fermée, à la manière d'une console, et qu'il défavorise les développeurs n'utilisant pas UWP. Et si Tim Sweeney ne remet pas en cause l'existence du Windows Store, ni les efforts faits par la firme de Redmond autour d'UWP, il demande à Microsoft de s'engager formellement à ce que l'UWP reste ouvert pour éviter que Microsoft ne contrôle au final la relation entre le client, c'est à dire l'utilisateur, et le joueur. Un peu à la manière d'un Apple ou d'un Google avec leurs stores mobiles respectifs. Du reste, pour distribuer un jeu UWP il ne suffit pas de compiler un *.exe pour le mettre sur un serveur Web : non, il faut posséder un compte développeur Microsoft, faire signer ce fichier numériquement par Microsoft, proposer à l'utilisateur un script d'installation s'exécutant via PowerShell.
Tim Sweeney, dirigeant d'Epic Games
Pour ceux qui s'en souviennent, la crainte de voir Microsoft prendre le contrôle sur l'environnement logiciel des PC remonte à 2012 et au lancement de Windows 8 et de son Windows Store. Gabe Newell, ancien de Microsoft et fondateur Valve, s'était d'ailleurs exprimé publiquement sur la question redoutant que Microsoft ne tente de bloquer Steam. Avec le temps, et le fait que le Windows Store n'a pas rencontré le succès ses premières versions, cette crainte est tombée à l'eau. La voilà ranimée aujourd'hui avec le lancement de jeux Microsoft mais aussi de Tomb Raider qui s'est illustré sur le Windows Store.
Alors il serait facile de dire que pour l'instant ces craintes sont non fondées puisque l'on parle de seulement trois jeux. Et d'aucun bien sûr se souviennent de l'épopée Games for Windows Live qui a finie aux oubliettes. Pourtant, Microsoft a déjà répondu en indiquant qu'UWP était une plate-forme ouverte et supportant les stores tierces sans donner le moindre détail permettant d'étayer ces affirmations. Nous avons demandé à Microsoft des précisions. Dans l'attente on ne peut qu'encore s'interroger sur les vraies motivations de Microsoft.