Près de 7 000 Français ont déjà gonflé l'action collective que veulent lancer deux avocats du Barreau de Paris, pour faire annuler les enchères d'attribution des fréquences.
Deux avocats, Christophe Léguevaques et Arnaud Durand, sont sur le point de saisir la justice à l'aide d'une action collective, pour faire annuler la procédure ayant conduit aux enchères des fréquences 5G en France, et ainsi faire suspendre le déploiement du réseau mobile de cinquième génération. Les deux hommes de loi vont déposer en ce sens un recours devant le Conseil d'État le jeudi 19 novembre.
Des enchères 5G « au préjudice du patrimoine de l'État »
Les deux juristes peuvent compter sur le soutien de près de 7 000 Français, qui ont déjà accepté d'être associés au recours sous forme d'action collective, via la plateforme g5raisons.fr. Ces derniers font valoir trois arguments principaux pour justifier l'action en justice.
Dans un premier temps, maîtres Lèguevaques et Durand s'interrogent sur ce qu'ils appellent « la braderie du patrimoine de l'État lors des enchères 5G ». Selon eux, les enchères se sont achevées trop rapidement. Celles-ci n'ont en effet duré que trois jours, pour 2,78 milliards d'euros de recettes (recettes qui seront réparties sur plusieurs années), alors même qu'une fenêtre de 15 jours avait été prévue pour la procédure des 11 blocs additionnels de 10 MHz.
Dans leur recours, les avocats reprochent à l'État d'avoir perdu plusieurs milliards d'euros. Pour étayer cet argument, ils produisent un tableau comparatif avec les enchères 5G en Italie, et en Allemagne. « La 5G, technologie de rupture, aurait ainsi été cédée à bas prix au préjudice du patrimoine de l’État, ainsi que le confirme une simple comparaison européenne », indiquent les deux juristes.
Dans ce tableau, on voit clairement, aux ratios prix/habitant et prix/abonnés, que la France est très en-deçà de ses deux voisins européens. L'Allemagne avait mis en vente un total de 420 MHz de fréquences (contre 310 MHz pour la France), et l'Italie seulement 200 MHz. Mais est-ce attaquable ? Pour maître Christophe Lèguevaques, « céder un patrimoine public en temps de crise sanitaire et économique est une faute délibérée. Pourquoi une telle précipitation sur la 5G alors que même la vente d’ADP a pu être reportée ? », se demande-t-il. Certains reprocheront des enchères sous-évaluées, pendant que d'autres crieront à la démesure, à l'heure où les opérateurs doivent aussi concentrer leurs efforts sur déploiement de la fibre optique et de la 4G.
La demande de moratoire de la Convention citoyenne pour le climat n'a pas été respectée
Le deuxième point qui vient justifier le recours collectif résulte de la violation de la résolution votée par la Convention citoyenne pour le climat. Au mois de juin, l'assemblée de citoyens réclamait un moratoire sur la 5G, de façon à laisser le temps aux autorités sanitaires de mener les tests nécessaires pour s'assurer d'un impact négatif sur la santé. Au moment de faire le bilan des 149 mesures proposées, le 29 juin dernier, Emmanuel Macron avait brandi 3 « jokers ». La proposition sur la 5G n'en faisait pas partie. Et pourtant, l'État en a fait fi et n'a pas demandé d'évaluation préalable.
« On a l’impression d’avoir été manipulés ! On nous avait promis une transmission sans filtre de nos propositions. Et on se retrouve méprisés voire insultés. Comme si un dirlo sifflait la fin de la récré. Ce n’est pas correct. C’est un manque de respect insupportable », peste Muriel Raulic, membre de la Convention citoyenne pour le climat.
La plateforme MySMARTCab, qui est derrière l'action collective, s'appuie sur un sondage mené par OpinionWay de septembre 2020 pour révéler que 3 Français sur 4 contredisent le gouvernement sur la 5G. 38% d'entre eux estiment que celui-ci « aurait d'abord dû ouvrir une consultation du public », consultation aussi réclamée par plusieurs maires écologistes et de gauche.
L'ARCEP a-t-elle failli ?
Le dernier point majeur soulevé par maîtres Lèguevaques et Durand concerne « l'atteinte au principe de précaution en raison d'incertitudes sanitaires reconnues ». Autrement dit : l'impact sanitaire et environnemental de la 5G. « L'ARCEP a omis d'exercer la nouvelle compétence sanitaire que le législateur lui a attribuée », fait remarquer Arnaud Durand.
Dans leur dossier, les deux avocats précisent que la loi impose au régulateur des télécoms de tenir compte de l'impact sanitaire de la technologie. Selon eux, le principe de précaution aurait dû s'appliquer, surtout après les déclarations du chef de l'unité d'évaluation des risques physiques de l'ANSES, Olivier Merckel, lors d'une table ronde au Sénat en juillet dernier : « Rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que la 5G ne présente aucun risque pour la santé », avait-il affirmé, pointant du doigt le manque d'informations sur les risques liés aux fréquences se trouvant sur la bande 3,4 - 3,8 GHz, bande cœur protagoniste des enchères 5G des dernières semaines.
« Dès lors, l'ARCEP ne pouvait pas autoriser le déploiement de la 5G sans attendre les avis émanant d'autorités indépendantes et internationales, sauf à vouloir satisfaire, coûte que coûte, les exigences des opérateurs », concluent les deux hommes de loi.
En plus de ce recours devant la plus haute juridiction administrative du pays, les deux avocats entendent assigner devant le juge judiciaire les quatre opérateurs télécoms, Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom, une fois que le groupe g5raisons.fr aura franchi la barre des 7 500 contributions.