Le président-directeur général du groupe Bouygues était auditionné par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, ce mercredi. L'occasion pour lui d'exprimer le fond de sa pensée sur la technologie de cinquième génération.
En avril 2020, les quatre opérateurs de télécommunications ont tous pu acquérir un bloc de 50 MHz à hauteur de 350 millions d'euros chacun. Les fréquences restantes, la fameuse seconde phase d'enchères avec les 11 blocs additionnels de 10 MHz, sera lancée au mois de juillet ou au mois de septembre. Il y a une quinzaine de jours, dans la presse, Martin Bouygues avait déclaré souhaiter le décalage des enchères à la fin de l'année 2020, voire au début de l'année 2021, n'étant « pas une urgence pour la France ». Le fils du fondateur du groupe éponyme a pu livrer ses explications devant les sénateurs, le mercredi 10 juin.
Une 5G qui n'aurait pas d'utilité dans les mois à venir, selon Martin Bouygues
Après avoir rappelé les conséquences de la crise sur le groupe Bouygues (plus de 700 millions d'euros pour le seul premier trimestre) et les mesures prises par ce dernier pour absorber au mieux les effets provoqués par le confinement et l'arrêt forcé du travail sur certaines branches, Martin Bouygues a justifié sa prise de position sur la 5G.
Selon lui, le report des enchères de 5 ou 6 mois ne pose aucun problème pour la compétitivité française. « Elle n'aura dans un premier temps que pour seul intérêt de permettre une désaturation très locale des réseaux mobiles 4G lorsqu'ils sont saturés, ce qui est peu le cas encore », précise-t-il.
Pour le dirigeant, ce n'est qu'à partir de 2023 que la maturité progressive de la 5G et l'arrivée d'une seconde vague d'équipements permettra l'arrivée de nouveaux usages, notamment industriels, avec des débits qui seront plus élevés et un faible taux de latence. Le patron du groupe Bouygues a rappelé que pour l'instant, les Français expriment « au mieux de l'indifférence, au pire de la méfiance » pour la 5G, ciblant le développement durable et les effets des ondes. Il préconise ainsi « un débat public, serein et éclairé ».
Sur le cas Huawei, l'opérateur prévient le gouvernement
Il y a quelques jours, la secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher, avait fait part de son opinion sur le démarrage des enchères 5G pour le mois de septembre, appelant à un lancement commercial d'ici la fin de l'année, ce qui n'a évidemment pas manqué de susciter la réaction de Martin Bouygues.
« Cet empressement est assez curieux, je n'ai pas la même conception du débat démocratique », a-t-il réagi devant les sénateurs. « Jusqu'à preuve du contraire, c'est à l'ARCEP que revient la décision. Et je me dis que le parlement a aussi le droit de savoir ».
La réponse du président du régulateur des télécoms, Sébastien Soriano, est attendue pour la mi-juin. Et elle pourrait être similaire ou proche de celle suggérée par le gouvernement.
Concernant l'équipementier 5G Huawei, dont le sort est encore dans les mains du gouvernement, le groupe Bouygues demandera une indemnisation à l'État si la firme chinoise est barrée en France, d'autant plus qu'il est nécessaire d'harmoniser les installations pour que le même équipementier fournisse 4G et 5G en même temps. Une charge que les opérateurs pourraient avoir du mal à assumer. Bouygues et SFR ont en effet en grande partie équipé leurs réseaux mobiles de différentes générations d'antennes Huawei.
Bouygues Telecom veut d'aborder renforcer la couverture du territoire en 4G
Devant les membres de la commission sénatoriale de l'aménagement du territoire et du développement durable, présidée par Hervé Maurey, Martin Bouygues a également justifié sa volonté de reporter la 5G de plusieurs mois par l'insatisfaction affirmée des Français de la couverture des territoires, « qui reste insuffisante » selon lui, affirmant que le confinement a accentué les carences.
Le PDG du groupe Bouygues militait ainsi pour la création de 1 500 à 2 000 sites mutualisés supplémentaires dans les prochaines années, en plus de ceux déjà construits dans le cadre du New Deal. Repousser les enchères 5G permettrait ainsi de trouver un accord entre les opérateurs, puis avec l'ARCEP. Cet investissement nouveau, de plusieurs centaines de millions d'euros, « serait à prendre en considération sur le montant des redevances payées au titre des fréquences 5G », prévient Martin Bouygues. Mais Bercy a dans un premier temps rejeté cette option.
Les investissements supplémentaires requis par le gouvernement pour développer des infrastructures 5G dans toute la France pousseront les opérateurs à « émettre des réserves », anticipe le dirigeant. Le président de Bouygues Télécom, Olivier Roussat, a tempéré et confirmé que le rythme et le cadencement des licences 5G ne serait pas du tout mis en cause. « Nous ne souhaitons pas du tout avoir une 4G des campagnes et une 5G des villes, mais prônons simplement la couverture du territoire. Et pour y parvenir, nous croyons que le nombre de sites supplémentaires s'exprime probablement en milliers et qu'il y a lieu d'en parler. C'est pourquoi nous voulions décaler cet appel d'offres, pour en tenir compte dans le calcul du socle ». Bouygues Telecom souhaite augmenter le nombre de sites disponibles en zones blanches, « dont je vous rappelle que nous avons une obligation de les transformer en 4G ».
Olivier Roussat a également indiqué que les opérateurs n'avaient encore pas versé d'argent à l'État au titre de la 5G, chose « qui se fera dans plusieurs mois », une fois les enchères arrivées à leur terme.