Responsable du groupe de travail 'détaxe' de l'Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres (Aful), soutenue par l'Association pour la promotion et la recherche en informatique libre (April), Alain Coulais fait le point sur la multiplication des procès pour vente liée de matériel et de logiciels.
MD - Alain Coulais, bonjour. En un mot, pourriez-vous définir ce qu'est la vente liée ?
AC - Bonjour. Le problème de la vente liée a pris racine il y a plus de dix ans. Elle consiste, selon le code de la consommation, en une offre insécable de deux produits de nature différente. Un peu comme si l'on vous vendait d'office une assurance lors de l'achat d'une voiture. Cette pratique est totalement interdite et nous le savons, pourtant depuis l'apparition de la vente sous licence OEM (Original Equipment Manufacturer) des logiciels Microsoft, tous les constructeurs en profitent pour conditionner l'achat de matériel à la vente de logiciels.
MD - Le problème n'est donc pas récent, quels sont les recours pour le consommateur ?
AC - En théorie, les prix des produits liés doivent être affichés séparément, dès le magasin. Et comme devant un restaurant, où les prix et les conditions d'achat doivent être affichés, le consommateur veut être informé de ce qu'il achète. Dans le cas contraire, il peut gratuitement saisir un tribunal de proximité, à l'image du procès récemment gagné par un particulier contre le fabricant taïwanais de PC Acer.
MD - Si la procédure est gratuite pour le plaignant, pour quelles raisons n'y a-t-il pas plus de plaintes ?
AC - Bien qu'elle soit gratuite, la procédure reste relativement longue. De plus, les sommes obtenues, de l'ordre d'une centaine d'euros, restent minuscules à la vue de l'investissement personnel qu'exige une telle démarche. Le combat est long, il y a déjà dix ans que Roberto di Cosmo, un chercheur et informaticien italien, a publié son livre « Le hold-up planétaire, la face cachée de Microsoft », désormais sous licence Creative Commons et accessible en PDF. Nous attendons, par exemple, depuis près d'un an et demi, un délibéré qui devrait être rendu en mars 2008. Et le jugement d'affaires majeures concernant Darty, Auchan, ou HP devrait être connu avant l'été.
MD - Quelles sont les réactions des autorités face au problème ?
AC - Lamentables ! En particulier du côté de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il est difficile de trouver un constructeur qui accepte de jouer le jeu concernant l'affichage des prix et des contrats, en particulier pour les systèmes Microsoft. Mais il y a aussi un blocage politique. Christine Lagarde, ministre de l'économie et des finances, et Luc Chatel, secrétaire d'Etat chargé de la consommation et du tourisme, sont intervenus en niant le problème et en priant la DGCCRF de ne rien faire, invoquant sans plus amples explications « l'intérêt du consommateur ». Nous leur avons d'ailleurs récemment adressé une lettre, pour laquelle nous n'avons toujours pas eu de réponse.
MD - Le problème de la vente liée semble ne se limiter qu'au grand public, pourquoi ?
AC - Tout simplement parce que dans le code des marchés publics, les choses sont très claires : il est obligatoire de faire figurer les prix au détail d'une offre liée. On parle alors d'optionalité. Nous n'avons rien contre la préinstallation d'un logiciel, du moment que le consommateur a la possibilité de l'activer ou non. Ainsi, plusieurs constructeurs proposent aux institutions et entreprises, des offres optionnelles. Car les grandes entités ont un poids suffisant pour négocier des ordinateurs nus et des contrats de site pour les logiciels. Le système d'exploitation Windows Vista vaudrait ainsi en réalité 81 euros hors taxes en vente séparée. Grâce à ces techniques de vente et aux accords avec les constructeurs, Microsoft aurait fait, en un an en France, quelque 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires au lieu des 300 millions d'euros officiellement annoncés.
MD - Si aujourd'hui la loi était appliquée quelles en seraient, selon vous, les conséquences ?
AC - C'est simple, les offres conditionnées ne représenteraient plus que 75% des ventes effectives. Cela stimulerait la concurrence, avec les avantages qui en découlent. Il faudra alors s'attaquer aux clauses, trop souvent abusives, figurant dans les contrats des licences OEM.
MD - Alain Coulais, je vous remercie.