L'arrivée du langage Rust au sein du noyau Linux devait marquer une avancée majeure en matière de sécurité. Pourtant, cette intégration, loin de faire l’unanimité, attise de vives tensions au sein de la communauté des développeurs.

Logo de l'initiative Linux for Rust, avec une superposition des deux logos. © Linux for Rust
Logo de l'initiative Linux for Rust, avec une superposition des deux logos. © Linux for Rust

Depuis plus de trente ans, le noyau Linux, cœur battant de millions de systèmes à travers le monde, est principalement écrit en langage C. Si ce dernier a prouvé sa robustesse et sa performance, il est aussi pointé du doigt pour ses failles de sécurité, notamment en matière de gestion de la mémoire. L'intégration de Rust, un langage plus moderne mais aussi réputé pour sa sûreté, apparaissait comme une solution prometteuse, mais elle se heurte à une résistance inattendue.

Le Rust, nouvel eldorado ou cheval de Troie pour le Kernel ?

L'idée d'introduire Rust dans le noyau Linux n'est pas nouvelle. Elle a germé progressivement face aux préoccupations croissantes concernant les vulnérabilités liées à la gestion mémoire en C. Rust, avec son système de typage rigoureux et son absence de garbage collector au profit d'un système d'emprunt et de durée de vie,  promet de réduire considérablement les risques d'erreurs comme les dépassements de tampon ou les accès mémoire invalides. Greg Kroah-Hartman, mainteneur de longue date du noyau Linux, a notamment plaidé en faveur de Rust pour le développement de nouveaux pilotes, arguant qu'il s'agit d'une « opportunité fantastique » d'améliorer la sécurité sans sacrifier les performances.

Pinguouin - © Shutterstock
Pinguouin - © Shutterstock

Cependant, cette perspective optimiste ne fait pas consensus. Une partie de la communauté des développeurs, profondément attachée au C et à ses quarante années d'histoire au sein du noyau, exprime des réserves voire une franche opposition. Les inquiétudes sont multiples : complexité accrue du code, barrière à l'entrée pour les nouveaux contributeurs moins familiers avec Rust, risques potentiels d'instabilité liés à l'introduction d'un nouveau langage dans un système aussi critique que le noyau. Ces tensions ne sont pas uniquement d'ordre technique, elles touchent aussi à des questions de culture et d'identité au sein de la communauté Linux.

C versus Rust : un débat plus idéologique que technique ?

Le débat autour de Rust versus C dépasse largement la simple comparaison de deux langages de programmation. Pour certains, défendre le C, c'est défendre une certaine vision du logiciel libre, celle d'un système éprouvé, maîtrisé et accessible à tous. L'arrivée de Rust, perçu par certains comme un langage plus complexe et potentiellement « corporate » (bien que développé de manière ouverte), pourrait être interprétée comme une forme d'intrusion dans un écosystème jalousement gardé. Les échanges parfois vifs observés sur les forums de développement, comme ceux de Phoronix, témoignent de ces tensions sous-jacentes.

Exemple de code écrit en Rust. © Shutterstock

De plus, la question de la compatibilité et de l'interopérabilité entre le code C existant et le nouveau code Rust soulève des défis techniques importants. Si l'intégration de Rust se fait de manière maladroite, elle pourrait fragmenter la base de code, compliquer la maintenance et introduire de nouvelles sources de bugs. Il est donc crucial de procéder avec prudence et méthode, en veillant à préserver la stabilité et la cohérence de l'ensemble du noyau Linux.

Vers un compromis à la Linux ?

Face à ces divergences, la position de Linus Torvalds, créateur de Linux, est scrutée avec attention. Bien qu'il ait initialement exprimé un certain scepticisme quant à l'intérêt de Rust dans le noyau, il semble désormais plus ouvert à l'idée, à condition que l'intégration soit réalisée de manière progressive et rigoureuse. Toutefois, des tensions sont apparues, comme en témoigne le départ d'un développeur clé d'Asahi Linux, impliqué dans le portage de Linux sur les Mac Apple Silicon, suite à des désaccords avec Torvalds. Ces frictions illustrent la complexité de la situation et la nécessité de trouver un terrain d'entente pour apaiser les tensions.

Pinguouins - © Shutterstock

Il est peu probable que Rust remplace complètement le C dans le noyau Linux à court ou moyen terme. L'immense quantité de code C existant et la nécessité de maintenir la compatibilité rendent une transition radicale impensable. Le scénario le plus probable est celui d'une coexistence progressive, où Rust serait utilisé pour de nouveaux modules et pilotes, notamment ceux liés à la sécurité, tandis que le code C historique continuerait d'être maintenu et amélioré. Cette approche graduelle permettrait de bénéficier des avantages de Rust tout en minimisant les risques et les perturbations pour l'écosystème Linux.

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