Nintendo n'en finit plus de surprendre.. et presque d'inquiéter. N'est-ce pas trop beau ? Le groupe de Kyoto a fait état la semaine passée de résultats financiers records qui reflètent le considérable succès commercial planétaire de ses consoles Wii et DS, ainsi que des jeux associés. Au cours de l'année budgétaire d'avril 2007 à mars 2008, Nintendo a dégagé un profit net de quelque 257 milliards de yens (1,65 milliard d'euros), contre 174 milliards de yens un an auparavant.
Son chiffre d'affaires 2007-2008 a bondi de 73% sur un an pour atteindre 1.672 milliards de yens (près de 11 milliards d'euros au cours actuel) et son bénéfice d'exploitation a plus que doublé pour s'établir à 487 milliards de yens (3,12 milliards d'euros). Du jamais vu dans l'histoire de cette entreprise que les Nippons adorent. Il faut se souvenir qu'il y a seulement deux ans, le chiffre d'affaires annuel de Nintendo ne dépassait pas... 509 milliards de yens. Autrement dit, grâce d'abord aux DS/DS Lite puis à la Wii, les recettes annuelles de ventes de la maison ont plus que triplé en moins de trois ans. Nintendo ne s'y attendait d'ailleurs pas du tout puisqu'elle n'avait initialement prévu pour l'année budgétaire qui s'est achevée le 31 mars "que" 1.140 milliards de yens de revenus. Bref, elle a vendu pour 500 milliards de yens (3 milliards d'euros) de marchandises de plus qu'espéré.
Ces performances exceptionnelles s'expliquent par la popularité des consoles portables DS et du modèle de salon Wii de même que par les ventes massives de jeux dédiés édités par Nintendo. Le groupe a ainsi écoulé quelque 18,61 millions d'exemplaires de Wii à l'échelle mondiale au cours de l'exercice 2007-2008 clos le 31 mars dernier, portant ainsi à 24,45 millions le nombre total d'unités vendues depuis le lancement de ce produit, en décembre 2006. Quelque 5,9 millions de Wii ont été achetées au Japon, 10,61 millions en Amérique et 7,94 millions dans le reste du monde.
Selon Nintendo, les machines de poche DS/DS Lite ont également continué de s'arracher comme des petits pains dans toutes les régions, avec 30,31 millions de ces consoles vendues durant l'exercice. Au total ce sont 70,6 millions de DS qui ont trouvé preneurs depuis le lancement de la première mouture en 2004, dont 22,38 millions au Japon, 22,39 millions en Amérique et 25,82 millions ailleurs. Les jeux directement édités par Nintendo à l'intention de tous les publics pour DS et Wii ont remporté également un franc succès, indépendamment de ceux conçus par des studios de création tiers, tout autant populaires. Entre avril 2007 et mars 2008, quelque 186 millions de boîtes de jeu pour DS estampillées Nintendo ont été achetées dans le monde, ce qui élève le cumul à 370 millions depuis la sortie de la première machine DS en 2004, sans compter les ventes de titres d'éditeurs tiers. Il s'est aussi vendu un total de 148 millions de jeux Nintendo pour Wii depuis décembre 2006, dont 120 millions entre avril 2007 et mars 2008.Ces prouesses mirifiques sont dues à la diversité du catalogue et à l'arrivée dans la logithèque de titres ludo-éducatifs qui séduisent un public autre, et plus vaste, que celui des seuls accros du jeu vidéo.
"Les jeux pour DS ont apporté une forte contribution aux résultats", a souligné Nintendo, notant que le nombre de titres pour DS qui se sont chacun vendus à plus d'un million d'exemplaires s'est élevé à 57 à fin mars. Les jeux pour Wii ont également fait craquer du peuple, surtout au Japon où l'offre est la plus conséquente. Globalement, la Wii compte déjà 26 jeux dont les ventes ont atteint le million de boîtes à l'échelle mondiale, certains dépassant largement ce seuil. A l'instar de la DS qui a changé la façon de jouer et permis la création de nouveaux types de divertissements grâce à son écran tactile, la console Wii plaît à un très large public, y compris âgé, grâce à son mode de jeu par reconnaissance de mouvements que tout le monde comprend d'emblée.
Le patron de Nintendo, Satoru Iwata, ne cesse d'ailleurs de s'en féliciter, qui s'est constitué un énorme album de photos du monde entier où l'on voit des pépés et mémés se marrer en jouant au bowling dans leur salon, des jeunes filles BCBG rigoler avec leur DS rose bonbon, ou des mères de familles reluquer au-dessus de l'épaule de leur gamin, se déchaînant avec cette console de poche, en attendant leur tour.
Par ailleurs, des accessoires, comme l'espèce de pèse-personne "Wii-board" permettent de proposer des programmes pour Wii qui ne ressemblent plus à des jeux. Lancé au Japon en décembre dernier, le pack "Wii-Fit" y a déjà rejoint près de 2 millions de foyers. Evidemment, comme pour tous les produits Nintendo, le jour de la mise en vente, il y a avait la queue, on ne pouvait pas en acheter plus d'un par personne et il n'en restait plus un au bout de quelques heures. Cet accessoire, qui vient tout juste de sortir en Europe, est vendu au Japon avec un ensemble de programmes d'exercices sportifs ou de relaxation qui sortent du cadre du jeu vidéo pur et qui étendent ainsi encore le potentiel de vente de la Wii et des autres titres ludiques dans la foulée.
"Pour entretenir l'engouement des clients et prolonger le cycle de vie des consoles, nous devons faire régulièrement de nouvelles propositions", insiste M. Iwata qui veut éviter que la DS ou la Wii restent dans des placards. Il promet notamment d'inciter encore plus les gens à avoir une DS dans leur sac en proposant des services dans les lieux publics. Cependant, la difficulté de la création de ce type d'offres (par exemple pour diffuser des informations géolocalisées sur la console ou autres services), c'est qu'elle implique le travail de divers partenaires qu'il faut mettre d'accord, un investissement dans les installations nécessaires, un partage des coûts et un modèle de redistribution des éventuels revenus. Bref cela exige du temps. Mais M. Iwata n'est pas si pressé, car la DS se satisfait pour l'heure du catalogue croissant de jeux et autres programmes qui l'entoure. Par ailleurs, M. Iwata juge que le cycle de vie des consoles s'allonge aussi parce que la population de joueurs s'est élargie et que les nouveaux venus ne sont pas comme les accros qui larguent sans ménagement un ancien modèle dès qu'une nouveauté pointe son nez. Les profanes se satisfont plus longtemps de la même machine, surtout si l'éventail de jeux est vaste, telle est la thèse de M. Iwata, laquelle lui dicte sa tactique.
Et le même d'indiquer qu'il espère vendre encore 28 millions de DS Lite d'ici fin mars 2009 (terme de l'année budgétaire en cours), ainsi que 187 millions de jeux DS, 25 millions de Wii et 177 millions de jeux pour cette console de salon. Bref, dans tous les cas, hormis pour la DS Lite, plus que l'an passé. Du coup, Nintendo va doper sa production de Wii à partir de juillet à 2,4 millions par mois, le double du volume mensuel initial, car selon la firme, "si elle avait produit plus, elle en aurait vendu encore davantage". Autrement dit, les ventes sont en-deçà de leur potentiel faute de stock.
Quand on demande à M. Iwata s'il n'est pas en train de pécher par optimisme, alors qu'il existe peut-être un risque de chute mondiale de la demande comme cela est en train de se produire au Japon pour la DS dont les achats se tassent alors que ceux de PSP de Sony décollent, il ne se démonte pas. Et pour cause, le marché japonais est particulier : "au Japon, le bouche à oreille va très très vite, les gens se précipitent comme un seul homme sur les produits dès leur sortie et consomment à toute vitesse, mais cela est différent dans les autres régions du monde où le décollage se fait plus progressivement", note, tout-à-fait pertinemment, le patron de Nintendo. Et puis, quoi de plus logique que d'observer un ralentissement des ventes au Japon alors que 22,4 millions d'individus, soit un cinquième de la population, sont déjà équipés. Preuve que les choses vont plus lentement ailleurs, il ne s'est pas vendu davantage de DS en Europe ou aux Etats-Unis alors que la population de chacune de ces régions est trois fois plus importante.
Le schéma est un peu différent pour les consoles de salon, puisqu'elles semblent disparaître des étals aussi vite ailleurs qu'au pays du Soleil-Levant. Mais cela tient aussi à des modes de vie assez différents. Les Japonais vivent beaucoup à l'extérieur et sont très friands des appareils qu'ils peuvent avoir en permanence sur eux. Contrairement aux habitants d'Europe et des Etats-Unis, selon M. Iwata, hormis les gamins (et encore), la plupart des Japonais n'ont en fait guère le temps de jouer à domicile avec une console de salon. Et comme des mômes il y en a de moins en moins... Les Nippons de tous âges ont en revanche pris la manie d'occuper les temps de trajet dans les transports en commun en jouant. Ce phénomène de préférence des consoles portables n'a bien sûr pas empêché une majorité des foyers nippons de s'acheter un jour une console de salon (Wii ou autre) voire d'en posséder plusieurs, mais il est évident que les Japonais sont d'abord attirés par les versions de poche personnelles. Cela explique aussi le fait que les développeurs nippons se sont focalisés ces dernières années sur les jeux pour consoles portables au risque de voir leur présence mondiale dans les créations pour machines de salon dégringoler vertigineusement par rapport aux années 90.
Cela attriste M. Iwata. C'est donc en partie pour aider les jeunes créateurs à se lancer dans le développement de jeux que le groupe a lancé au Japon la plate-forme Wii-Ware, laquelle est un service de téléchargement de titres simples spécialement conçus pour être vendus en ligne. Leur conception ne requiert pas les mêmes lourds moyens techniques, humains et financiers que les jeux proposés en boîtes dans les rayons des enseignes spécialisées. Bref, la création d'un jeu pour la plate-forme en ligne Wii-Ware est à la portée d'une start-up, assure M. Iwata, jolis exemples à l'appui. Le service Wii-Ware pour lequel planchent déjà des développeurs européens et américains sera ouvert le 12 mai aux Etats-Unis et le 20 mai en Europe. Nintendo entend de même ainsi inciter davantage de possesseurs de cette console à l'utiliser également pour naviguer de façon simplifiée sur les diverses offres de contenus et boutiques spécifiques en ligne proposées par lui-même et des fournisseurs tiers.
En favorisant parallèlement l'émergence de nouveaux créateurs, et en appelant à des partenariats comme celui mis en place avec Sega pour Mario et Sonic aux Jeux Olympiques, Nintendo dynamise le marché et attise la créativité au-delà de ses équipes. Cette extension de l'univers des développeurs se traduit par la décrue de la part des jeux directement créés par Nintendo dans le total des ludothèques de ses consoles. Elle n'est plus que de 42% dans le cas de la DS. Elle se situe certes encore à 86% dans celui de la Wii, mais cela est normal puisque, dans un premier temps, Nintendo est bien obligé de proposer lui-même des titres pour amorcer la pompe, vendre des consoles et donner enfin envie aux développeurs de s'y mettre ensuite, une fois un parc de détenteurs de machines constitué et un potentiel de ventes de ce fait assuré. Pour l'année budgétaire en cours qui sera achevée fin mars 2009, Nintendo espère surfer davantage encore sur cette vague porteuse et profitable, tant concernant la Wii que la gamme DS. "Nous allons continuer de développer des divertissements qui s'inscrivent dans le cadre des activités de la vie quotidienne", promet Nintendo. Pour l'exercice d'avril 2008 à mars 2009, le groupe de Kyoto s'attend ainsi à un nouveau bond de son profit net à 325 milliards de yens (2,1 milliards d'euros), sur un chiffre d'affaires qui devrait encore gagner 7,6% à 1.800 milliards de yens.
Et que ceux qui attendent pour acheter une Wii ou une DS que leur tarif chute fortement ne se fassent pas trop d'illusions à court terme: "Nous ne pensons pas que ce soit une nécessité", tranche le PDG de Nintendo. "L'idée que le temps passant il faut impérativement baisser le prix ne me paraît pas être le bon modèle. J'ai même plutôt tendance à penser qu'il s'agit d'une étrange façon de faire, eu égard aux clients qui ont acheté en premier".