Opprobre générale ? L'association des fournisseurs d'accès et de services internet (AFA) associe sa voix au concert de protestations engendrées par le projet de loi « Création et Internet », défendu par le gouvernement et la ministre de la Culture, Christine Albanel. Rejoints pour l'occasion par Free, qui a déserté les rangs de l'association il y a quelques années, les fournisseurs d'accès à Internet fustigent un texte qui « pénalise à l'excès les internautes et les fournisseurs ».
Dissonances entre les accords de l'Elysée et le projet de loi
Principal point d'achoppement : pour l'AFA, « le dispositif aujourd'hui proposé pour lutter contre le téléchargement illégal va au delà des engagements des parties sur plusieurs points ». Selon les termes des accords de l'Elysée, passés en novembre dernier, les FAI devaient en effet s'engager à entamer une démarche de réflexion concrète, accompagnée de phases de test, autour de la question du filtrage des contenus, de façon à endiguer les échanges illégaux.
Le texte du projet de loi prévoit quant à lui qu'un tribunal de grande instance puisse « ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés (...) toute mesure de suspension ou de filtrage des contenus portant atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, ainsi que toute mesure de restriction de l'accès à ces contenus, à l'encontre de toute personne en situation de contribuer à y remédier ou de contribuer à éviter son renouvellement ».
« L'application de ce texte permet donc d'imposer aux fournisseurs d'accès internet la mise en œuvre de mesures de filtrage portant sur les contenus mais aussi sur le réseau (restriction d'accès) », résume l'AFA, qui juge prématurée une telle décision, en faisant remarquer qu'elle est contraire aux accords passés en novembre, la possibilité de conférer au juge un tel pouvoir.
Les FAI soulignent en outre l'absence de recours de la part des titulaires de la ligne recevant des messages d'avertissement, ainsi que la nécessité de définir clairement les modalités de la suspension de l'abonnement à Internet. Bien que Christine Albanel ait affirmé, lors de la présentation à la presse du projet, que le téléphone et la télévision seraient maintenus dans les cas de suspension, le texte ne comporte aucune mention explicite de ce détail. Elle admettait d'ailleurs que les modalités techniques restaient à définir.
« Le projet de loi reste muet quant à la prise en charge financière des frais supportés par les opérateurs, alors que les sanctions financières appliquées aux fournisseurs d'accès pour chaque manquement à leurs obligations sont très élevées (jusqu'à 5000 euros par acte) », remarque encore l'AFA, qui déplore également l'absence de décisions définitives concernant la valorisation de l'offre légale.
« En multipliant les charges, les pouvoirs publics prennent le risque d'affaiblir la capacité des acteurs de ce secteur à investir dans des projets d'équipements numériques essentiels qui rendront la France innovante et compétitive. Ils prennent aussi la responsabilité de favoriser dans le même temps l'augmentation des prix », concluent les FAI, sur qui pèse l'épée de Damoclès d'une éventuelle taxe destinée au financement de la TV publique.
Le filtrage, filtré par la Commission européenne ?
Christine Albanel insiste sur le bon accueil réservé au principe de riposte graduée au niveau européen, et promet de défendre son projet devant le Parlement de Bruxelles. Le consensus n'est pourtant pas gagné. Dans le cadre du Paquet Télécom, la commission LIBE (Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen) viendrait ainsi d'adopter un amendement soumettant tout filtrage obligatoire à une autorisation de la Commission Européenne.
Pour Guy Bono, auteur d'un amendement visant à dénoncer le caractère anticonstitutionnel de la suspension de l'abonnement à Internet et approuvé par une courte majorité au Parlement européen début avril, « l'adoption de cet avis rappelle que les mesures de filtrage obligatoires sont considérées par le Parlement européen comme disproportionnées, inefficaces et en contradiction avec la protection de la vie privée ».
Envoyé au Sénat, le texte « Création et Internet » devrait être débattu à la rentrée parlementaire, et donnera certainement lieu à des discussions houleuses. Attaqués sur le front du financement de la télévision publique, comme sur celui du téléchargement illégal, les fournisseurs d'accès à Internet, n'auront pas grand mal à faire valoir leurs arguments auprès de l'opposition, qui se fera sans doute un plaisir de pointer du doigt les carences du texte soutenu par Christine Albanel et par le chef de l'Etat, qui a encore récemment insisté sur la nécessité de ne pas laisser le droit d'auteur pâtir des libertés octroyées par Internet.