Live Japon : Sismographes et divinités

Karyn Poupée
Publié le 19 juillet 2008 à 00h01
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Le Japon est souvent, et à juste titre, présenté comme le pays qui sait le mieux conjuguer les contraires, marier ses traditions multiséculaires et la modernité, mettre ses coutumes anciennes au services de projets d'avant-garde. Ce reportage va en apporter une nouvelle illustration.

Jeudi 3 juillet, l'auteur de ces lignes eut la chance d'assister à une opération rare au Japon et encore davantage ailleurs: les derniers préparatifs avant le départ d'un navire poseur de câbles optiques sous-marins de télécommunications, d'un genre très particulier. Cette fois, il ne s'agissait pas d'immerger une nouvelle artère de transmission de données pour fluidifier les échanges transnationaux sur internet, mais de poser un lot supplémentaire de détecteurs de séismes et de tsunamis, pour le compte de l'Agence de Météorologie japonaise. Ces étonnant équipements seront plongés en mer au large de l'archipel pour renforcer les outils d'alerte anticipée.

Nous voici à bord du Subaru, un bateau câblier de 124 mètres de long sur 21m de large appartenant à NTT World Engineering Marine, une filiale spécialisée du premier groupe de télécommunications japonais NTT. Ce navire est entièrement dévolu à la pose de câbles, à la définition de route et à l'entretien de ce type d'infrastructures. Il a commencé à oeuvrer en 1999 avec la construction d'un câble de 920 kilomètres sur un tronçon entre les Etats-Unis et le Japon. Il enchaîna en 2000 avec deux autres chantiers pour des câbles de 5414 km et 1276 km, puis pour dérouler un câble de 921 km l'année suivante et ainsi de suite à raison de plusieurs opérations annuelles, maintenance et travaux de prospection compris.

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C'est que des câbles de transmission sous-marins, il s'en construit sans arrêt ces dernières années pour désengorger les précédents qui font face à un flux croissant de données à véhiculer d'un continent à l'autre. Ce phénomène, lié à l'augmentation du nombre d'internautes partout dans le monde, ravit des sociétés comme le français Alcatel-Lucent ou OCC, une emblématique petite société japonaise de 220 salariés créée en 1935, et qui fut la première entreprise nippone de production de câbles sous-marins. Malgré sa taille minus, elle en a fourni au total à ce jour plus de 140.000 kilomètres et contrôle environ 20% du marché mondial. Compte-tenu de la croissance de la demande, NEC, qui construit nombre d'infrastructures sous-marines de par le monde, et plus particulièrement en Asie, vient d'ailleurs de la racheter pour s'assurer un approvisionnement stable en câbles optiques de haute qualité.

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Revenons sur le Subaru. Cet imposant navire enferme deux réserves à câbles de respectivement 1180 mètres-cubes et 1440 m3. Sur le pont est fixé un robot, Carbis II, engin de 3m de long, 2m de large et 3m de haut qui assiste les ingénieurs de bord pour positionner et suivre les câbles, ainsi que pour effectuer des inspections à l'aide de ses six caméras et d'un sonar, entre autres équipements remarquables. Il descend jusqu'à 2.500m de profondeur.

Jeudi 3 juillet, les hommes du Subaru portaient des casques NEC. C'est ce groupe aussi qui livre depuis trois décennies à l'Agence de Météo les détecteurs de séismes et tsunamis. « Nous travaillons avec l'agence sur toutes les phases, de la définition de projet jusqu'à la construction », explique le chef de la division des systèmes sous-marins de NEC, Osamu Harada. "Nous avons à ce titre construit sept ensembles de sismographes marins le long des côtes japonaises depuis 1979, lesquels délivrent des informations en continu sur l'activité sismique", détaille-t-il. Ces grappes de détecteurs sont pour la plupart placées au sud, sud-est et est de l'île principale et centrale de l'archipel nippon, Honshu, ainsi qu'au large de Hokkaido (nord) et Shikoku (sud).

Ces appareils sensibles ressemblent à des missiles. Ceux destinés à la détection de séismes et truffés de composants électroniques, mesurent 1,63m de long pour un diamètre de 26,5 centimètres. Ils enferment notamment un capteur relié à un convertisseur analogique/numérique puis à divers circuits intégrés et à un module de conversion de signaux électriques en impulsions optiques envoyées dans le câble, lequel véhicule parallèlement des données de synchronisation et autres informations requises. Les détecteurs de tsunami logent en gros des éléments similaires, à l'exception bien sûr des capteurs qui en l'occurrence ne mesurent pas l'accélération du sol ou autres phénomènes telluriques mais la pression subie et la température pour en déduire les variations et donc les risques de raz de marée consécutifs à un mouvement tectonique.

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Le nouvel ensemble dont la construction a lieu ce mois-ci est composé de huit imposants détecteurs (5 pour les séismes et 3 pour les tsunamis). Ils seront placés dans la zone dite "Tokai", au sud du centre de l'île de Honshu. Le tout complètera une infrastructure déjà en place à proximité, portant à neuf dans cette région à forte activité terrestre le nombre de sismomètres et à quatre celui des instruments de détection de raz de marée.

Le câble de télécommunications optique qui les relie entre eux et à la terre mesure pour sa part quelque 220 kilomètres "Il s'agit d'une opération importante qui nécessite une longue préparation. Rien que pour monter le câble à bord, il faut deux jours", explique Kenji Hishiki, un ingénieur de NEC. Les nouveaux capteurs, qui traceront une ligne convergeant vers le rivage, seront disposés à une profondeur de un ou deux kilomètres. « Ils doivent chacun être placés à des endroits précisément définis par l'agence de météo », a souligné M. Hishiki.

La pose s'effectue de la façon suivante. Le Subaru va se positionner en mer à l'emplacement où sera fixée l'extrémité du câble sous les eaux. L'opération se déroule sous la surveillance d'au moins trois corvettes de gardes. Un petit bateau part du Subaru et tire le câble immergé porteur des capteurs jusqu'au point de raccordement sur le rivage, le tout avec l'aide de plongeurs spécialisés. La construction nécessite aussi un bulldozer à terre pour tirer le câble. L'agence a établi la carte de localisation de ses détecteurs en fonction de l'activité sismique enregistrée ces dix dernières années aux pourtours et sur l'archipel, lequel endure environ 20% des séismes les plus violents enregistrés annuellement dans le monde. Le vaste réseau de sismomètres de l'Agence de météo sur les terres émergées et en mer permet de suivre l'évolution des mouvements des plaques tectoniques, en véhiculant en permanence les données collectées à très haut débit jusqu'à ses infrastructures informatiques, via les câbles de fibres optiques connectés aux détecteurs.

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Le système unique d'alerte anticipée japonais, basé sur la différence entre les vitesses de propagation des deux types d'ondes émises lors d'un séisme, peut en théorie détecter un tremblement de terre quelques secondes avant qu'il ne soit ressenti à la surface de la terre. Cela permet, dans certains cas, de prévenir en temps réel les populations via des boîtiers d'avertissement spéciaux, ou en utilisant les médias et leurs infrastructures comme relais. Même si le laps de temps offert est très limité, il pourrait permettre de réduire fortement les dommages matériels et le nombre de victimes, à condition que les personnes sachent comment bien réagir à ces alarmes (ouvrir une porte pour se ménager une sortie de secours, couper le gaz, s'abriter sous une table, etc.) Ce dispositif avancé, bien qu'il nécessite encore des ajustements pour être pleinement efficace, est sans équivalent ailleurs.

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Au fait, on vous a parlé au début de ce texte du mariage des traditions et de la high-tech, mais où est le rapport avec la pose de ce câble optique? Eh bien il se trouve dans le cérémonial qui précéda le départ du navire Subaru. En effet, ce jeudi 3 juillet, deux heures avant que ce dernier ne quitte le port de Yokohama, les ingénieurs et autres membres d'équipage ainsi que les dirigeants des entreprises impliquées, se sont rassemblés sous des tentes blanches dressées spécialement devant le bateau. Et ce afin d'assister à une cérémonie d'une heure, sorte de messe célébrée par un prêtre Shinto, dans le but de chasser les mauvais esprits et de demander aux "kamisama" (entités divines) de garantir le bon déroulement des opérations. Cette mission peut en effet permettre de sauver des vies humaines.[/personnalite_ozap%]
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