Live Japon : "iphonisation" au pays du soleil levant

Karyn Poupée
Publié le 30 novembre 2008 à 12h14
"Y a pas à dire, les mobiles japonais sont carrément géniaux": ainsi est titré un long dossier consacré par le bimensuel nippon "Dime" aux récents téléphones lancés au Japon. Sous-titre: "réflexion sur les avancées des terminaux nippons". Tout un programme. Et le magazine de présenter ainsi sur 22 pages « les plus remarquables » produits dégotés dans les rayons, avec force illustrations. Autant vous dire que les marques non japonaises sont reléguées en fin de tableau. Chauvin, nationaliste ce magazine ?

Peut-être un brin, mais en réalité, il n'y peut rien: les offres des opérateurs japonais sont aux neuf dixièmes constituées de terminaux conçus par leurs compatriotes et les clients sont davantage attirés par ces modèles que par les marques étrangères. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, c'est ainsi et cela s'explique par des raisons historiques et économiques (importance des firmes nationales du secteur de l'électronique), culturelles (attachement aux marques locales très appréciées) ou encore par des causes pratiques plus triviales (fonctionnalités et ergonomie en phase avec les habitudes et besoins du cru), etc. Dans ces circonstances, il n'est pas anormal que les nouveaux appareils nippons se taillent ainsi la part du lion dans les magazines censés les présenter.

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Si Dime et d'autres consacrent autant de pages aux mobiles ces jours-ci, c'est que les principaux opérateurs locaux ont tous dévoilé dernièrement leurs collections hivernales, lesquelles sont particulièrement hautes en couleurs. Premier constat: les terminaux sont de plus en plus ciblés vers des publics dont les attentes et pratiques sont désormais bien identifiées et disséquées.
Deuxio: les fabricants japonais ne restent pas inertes face aux innovations venues d'ailleurs mais s'ingénient à n'en retenir que le meilleur et à faire encore mieux. Tertio: la course a la qualité et au surcroît de fonctionnalités se poursuit.

Reprenons: le ciblage de plus en plus fin du public est brillamment illustré par NTT Docomo (numéro un local, 49% de parts de marché) qui vient d'abandonner sa précédente nomenclature d'appareils (par séries successives) pour créer un catalogue où cohabitent quatre familles de produits destinés à autant de types d'utilisateurs.

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Il y a les modèles "style", censés refléter des tempéraments bien trempés. Le design et les fioritures gadgets des modèles "Style" l'emportent sur le reste, même s'ils offrent une jolie palette de fonctions. Cible principale: les adolescentes qui perçoivent leur mobile comme un signe extérieur de personnalité et un accessoire de mode. Etat d'esprit: "jibun rashii " (dans mon genre, à ma façon). Trois terminaux constituent pour l'heure cette collection. Ils sont siglés Fujitsu et NEC (2 modèles).

Viennent ensuite les appareils "Prime", une série destinée aux jeunes adultes fanas de musiques, jeux, et images. Pour eux, le téléphone est d'abord un objet de divertissement multimédia, un outil de partage de contenus et sensations avec les membres de leurs tribus. Dans cette gamme figurent cinq modèles colorés signés Sharp, Fujitsu, NEC et LG Electronics (le seul étranger).

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La troisième collection, baptisée "Smart", s'adresse clairement aux adultes, "salarymen" et "office ladies (OL)", travailleurs un tantinet stéréotypés que l'on croise par milliers dans les quartiers de bureaux des mégapoles nippones, ceux qui peuplent les trains matinaux et nocturnes et utilisent leur mobile tant pour des motifs professionnels que personnels. Quatre modèle forment cette catégorie, appareils au design sobre très léché, classieux, et dotés de fonctions de pointe sans pour autant être des "smartphone".

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Le quatrième groupe d'appareils, nommé "Pro" est justement celui des hybrides téléphones/assistants numériques personnels quasiment censés pouvoir remplacer un PC. Dans l'esprit de Docomo, ces "smartphone" s'adressent surtout à une niche d'hommes technophiles d'une trentaine ou quarantaine d'années qui sévissent dans des milieux artistiques, dans la pub, la musique, la presse, la création multimédia ou autres secteurs en vue ou high-tech, et qui veulent expérimenter toutes sortes d'innovations sur un terminal haut de gamme polyvalent, lequel est d'ailleurs souvent pour eux un deuxième mobile (l'autre étant dévolu à d'autres types d'usage, communication vocale notamment).

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A cette cible, qui est aussi pour partie la principale cliente de l'iPhone d'Apple, Docomo propose à ce jour cinq appareils. Pour le coup, il s'agit majoritairement de produits étrangers, à savoir deux HTC, un Nokia (E71), un RIM (Blackberry Bold) et un Sharp (le seul japonais). Nouvellement créé, ce dernier modèle semble très attendu et il risque bien de faire de l'ombre aux produits concurrents, du fait de l'excellente réputation locale de Sharp (pionnier des écrans LCD), laquelle lui confère depuis des mois le titre de numéro un des mobiles aux Japon.

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Le deuxième élément caractéristique des catalogues hivernaux souligné plus haut concerne la capacité des fabricants japonais à tirer les leçons de leurs propres échecs ainsi que des enseignements des réussites de leurs concurrents. Même si l'iPhone n'est guère une menace pour eux, compte tenu de lacunes rédhibitoires pour la plupart Japonais (batterie à plat rapidement en utilisation sur réseau 3G, pas de clavier réel, pas de fonction TV ni vidéo, pas de porte-monnaie électronique, par de lecteur de QR Code...), les Panasonic, Fujitsu, Sharp et consorts ont bien compris qu'il s'agissait quand même d'un produit innovant et, partant, intéressant.

Du coup, eux aussi ont pondu des modèles à écran tactile multipoint. Mais ils ont gardé aussi un clavier réel (créant des appareils contorsionnistes) et conservé toute la palette de fonctions habituelles. Leurs terminaux (qui ne pèchent pas non plus sur l'autonomie) sont ainsi pensés pour cumuler tous les atouts des modèles classiques et de l'iPhone, tout en étant débarrassés des faiblesses des uns et de l'autre. Le patron de Softbank, Masayoshi Son, le seul à proposer l'iPhone au Japon, parle à ce propos d'« iphoneka », néologisme que l'on pourrait traduire par « iphonisation », pour qualifier la tendance actuelle à s'inspirer de l'objet de Steve Jobs. Dans le même élan, M. Son souligne néanmoins que, pour les Japonais, l'écran tactile et les "widgets" ne suffisent pas.

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Le PDG de Softbank a compris qu'il doit faire figurer dans sa gamme des produits s'inscrivant dans le sillage de l'iPhone, mais plus aboutis, plus proches des attentes de ses compatriotes, sauf à prendre le risque de laisser un boulevard aux opérateurs rivaux. Il a ainsi ajouté quatre nouveaux terminaux à écran tactile dans sa gamme, en plus de l'iPhone, appareils qui, contrairement à ce dernier, sont adaptés aux services et usages en vogue au Japon (TV, porte-monnaie électronique, etc., navigation et saisie facile de textes avec une seule main). Gageons toutefois que M. Son poussera son ami Jobs à créer un « iPhone 3G bis » qui collera davantage aux attentes des Nippons.

Le convaincra-t-il ? Bonne question, sachant que le singulier marché japonais des mobiles (où les normes et pratiques sont parfois uniques) est réduit à moins de 50 millions d'unités par an, du fait d'une saturation et de la propension des Japonais à conserver plus longtemps un terminal qui leur donne satisfaction. Ces particularités en ont déjà découragé plus d'un. Nokia les rejoints d'ailleurs, qui vient d'annoncer (enfin!) qu'il allait renoncer à fournir des terminaux aux opérateurs nippons, après avoir maintes fois essayé de se frayer une place digne de son importance mondiale.

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"Au Japon, nous avons une faible part de marché, par ailleurs inférieure à nos objectifs. Nous y avons investi depuis longtemps, mais la situation n'a pas changé", avoue Thomas Jönsson, vice-président exécutif chargé de la communication de Nokia. Ce dernier refuse de préciser la part de marché de Nokia au Japon (où tous les terminaux vendus le sont via les opérateurs, lors d'une prise d'abonnement ou d'un renouvellement). Peu importe, on la connaît : 0,3%. Humiliant pour le groupe finlandais qui, à l'échelle du monde, contrôle 38% des ventes de terminaux en nombre d'unités.

Nokia estime toujours en revanche que sa marque exclusive de grand luxe « Vertu » aura du succès sur une niche du marché japonais, en dépit de la crise financière mondiale qui pousse les Nippons à mieux surveiller leur compte en banque. Les médias locaux affirment que Nokia va lancer début 2009 ses propres services de téléphonie mobile au Japon, en louant des capacités sur le réseau de NTT Docomo, bref en devenant opérateur virtuel (MVNO).

"Nokia prévoit de proposer un ensemble de prestations et téléphones dédiés à partir du mois de février/mars prochain", a récemment assuré en une le premier quotidien généraliste japonais, le Yomiuri Shimbun. Ce sont de fâcheuses spéculations", répond M. Jönsson, tout en soulignant que Nokia ne commentait jamais les rumeurs. En devenant lui-même un prestataire de services prestigieux (musique, assistant-concierge 24H/24, etc.), et pas seulement un simple fournisseur de terminaux, Nokia se contenterait paraît-il volontiers pour l'honneur d'une clientèle richissime dont le budget "mode et mobile" est abondamment doté, des flambeurs capables de claquer plusieurs milliers d'euros pour un terminal et des centaines chaque mois ensuite pour le rendre utile.

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Bravache, le groupe finlandais deviendrait ainsi au Japon le premier constructeur de téléphones portables à empiéter directement sur le terrain des fournisseurs de services et contenus. Reste que pour le moment, à part Disney (associé à Softbank), peu d'acteurs autres que les opérateurs de télécommunications patentés ont osé lancer leurs services mobiles au Japon sous leur propre marque en louant partiellement une infrastructure. Le marché local (près de 110 millions d'abonnés sur 127 millions d'habitants) est dominé par NTT Docomo (49%), KDDI Corporation (29%) et par le groupe de télécommunications et de services internet Softbank (19%). Les autres (Willcom, e-Mobile, etc.) se partagent les miettes.

Précisons pour terminer que si nous avons ici peu parlé de KDDI, c'est que ce dernier apparaît un peu en retrait, pour ne pas dire en panne d'imagination. Son catalogue hivernal est en effet assez décevant, tout comme l'était celui de cet été.

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Karyn Poupée
Par Karyn Poupée

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