Contradiction dans les termes ? Bien que l'ensemble des acteurs du Web rappelle à corps et à cris qu'Internet n'a rien à voir avec la télévision, les députés ont voté cette semaine dans le cadre de la loi de réforme de l'audiovisuel public un amendement octroyant au CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) l'autorité nécessaire à la surveillance de la publicité en ligne. Objectif : veiller à ce que les réclames affichées sur le Net ne risquent pas de nuire aux mineurs.
« S'agissant des services consistant à éditer du contenu créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d'échanges au sein de communautés d'intérêt, le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille à ce que la publicité placée par l'éditeur du site ne puisse nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs. », énonce précisément le texte adopté par l'Assemblée.
Tout site susceptible d'accueillir des contenus générés par les utilisateurs se retrouve donc placé sous le contrôle du CSA, chargé de veiller à la bonne moralité des publicités diffusées, sans qu'on sache comment le gendarme de la télévision opèrerait sa mission.
« Un certain nombre de sites de partage de données privées comportent aujourd'hui des liens
publicitaires susceptibles de porter atteinte à la protection des mineurs. Aucun contrôle n'est
aujourd'hui exercé sur ces contenus publicitaires. Cet amendement vise à combler cette lacune. », lit-on dans l'exposé de cet amendement déposé par les députés UMP Christian Kert et Françoise de Panafieu.
Sur cette lancée, d'autres n'hésitent pas à voir les choses en grand. Ainsi le député UMP Frédéric Lefebvre suggérait-il dans un autre amendement, rejeté par l'Assemblée lundi, que l'on confère au CSA le pouvoir de fixer les règles permettant d'assurer la protection de l'enfance, mais aussi de délivrer des labels de confiance aux « services de communication au public par voie électronique mettant des contenus audiovisuels à disposition du public ».
Le CSA comme gendarme de l'Internet ? Le débat n'est pas neuf. Il revient même régulièrement dans les discussions des parlementaires, comme en 2004 lors du vote de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Et l'idée compte bien des détracteurs : certains pensent qu'il est de toute façon impossible d'effectuer une surveillance digne de ce nom sur le Web, tandis que d'autres dénoncent la volonté d'instaurer une autorité qui viendrait se substituer au pouvoir judiciaire... Une contradiction que l'on retrouve et retrouvera autour des problématiques liées à la protection du droit d'auteur.
Pour l'Association des Services Internet Communautaires, qui réunit des acteurs tels que Google, PriceMinister ou Dailymotion, une telle idée « résulte d'une méconnaissance singulière des spécificités d'Internet et du cadre règlementaire existant ».
Le collectif La Quadrature du Net s'interroge également. Si l'idée de protéger les enfants constitue un noble objectif, il reste « indispensable de s'interroger sur la légitimité de mesures visant, sous ce prétexte, à imposer plus de contrôle et à contourner l'autorité judiciaire », estime ses représentants, pour qui cet amendement « constitue une atteinte grave à la libre concurrence et à la liberté d'expression ».