Pour la première fois en six ans, le géant de l'électronique et de l'électroménager Panasonic a affiché un bilan négatif, (-2,9 milliards d'euros) causé par une dégringolade de ses ventes dont la valeur a pâti de la cherté de la monnaie japonaise (yen) et en raison de coûteuses mesures de restructuration pour faire face à un marché mutant.
Le porte-drapeau d'Osaka (ouest du Japon), qui était encore bénéficiaire au terme des trois premiers trimestres, n'a pu résister à la forte baisse de la demande pour cause de récession internationale. Panasonic, groupe qui compte quelque 540 firmes et emploie plus de 292 000 personnes dans le monde, avait pourtant déjà grandement revu sa configuration pour se rétablir après les années noires traversées par l'économie japonaise durant la précédente décennie. Mais cela n'a pas suffi. « Notre situation a fortement empiré à partir d'octobre, essentiellement à cause de la forte appréciation du yen », a-t-il regretté, réitérant le constat fait au terme de l'année 2008. Durant les mois d'avril 2008 à mars 2009, le chiffre d'affaires de Panasonic a cédé de 14,4% sur un an pour s'établir à 60 milliards d'euros.
Les recettes tirées des produits audiovisuels grand public ont perdu 13%, « à cause d'une faiblesse des achats de téléviseurs à écran plasma (la spécialité de Panasonic) et d'appareils photo numériques », a expliqué le groupe. Se disant contraint à une nouvelle profonde restructuration, Panasonic avait annoncé en février qu'il allait supprimer 15 000 emplois dans le monde et fermer 27 usines, ce qui a entraîné des charges supplémentaires exceptionnelles en partie responsables du déficit révélé. Panasonic indique vouloir « accélérer sa réorganisation sur la base d'une sélection de ses activités, via la liquidation de sites de production, l'abandon des branches non rentables et la réaffectation ou réduction des effectifs ».
Il a par exemple décidé de vendre toutes ses parts (40%) dans une entreprise détenue avec Toshiba, Toshiba Matsushita Display Technology, qui fabrique des petits et moyens écrans (LCD ou autres) pour appareils nomades. Panasonic (ex-Matsushita) va recevoir pour cela 2 milliards de yens (16 millions d'euros), une misère pour lui, mais il va ainsi limiter des dépenses dont il juge ne pas tirer suffisamment profit. Toshiba Matsushita Display Technology, société créée en 2002, est numéro deux mondial du marché des afficheurs à cristaux liquides (LCD) qui équipent des téléphones portables, appareils photo numériques, baladeurs, ordinateurs portables et autres produits de petites et moyennes dimensions. Elle est aussi en pointe sur les modèles d'écran à matériau organique électroluminescent (OLED), mais cela ne rapporte pas assez à Panasonic. Toshiba Matsushita Display Technology (TMD), qui compte 2 700 salariés, est donc devenue fin avril une filiale à 100% de Toshiba rebaptisée Toshiba Mobile Display. Le départ de Panasonic (qui est par ailleurs un gros fabricant de dalles LCD et plasma pour TV) va en outre faciliter les décisions au sein de cette firme qui elle aussi doit affronter « une conjoncture très difficile, du fait d'une sévère chute de la demande depuis l'année dernière et d'un déclin continu des prix unitaires des petits écrans LCD ».
D'une façon générale, « une reprise économique rapide cette année est impossible », estime le PDG de Panasonic, Fumio Ohtsubo. « A l'heure actuelle, nous pensons que les circonstances vont rester très hostiles, car deux tendances se développent simultanément : d'une part la demande rétrécit et, d'autre part, la structure du marché mondial est en train d'évoluer vers une augmentation des besoins d'articles bon marché, émanant de la clientèle nouvelle des pays en phase de développement et modernisation », a-t-il averti. Ce constat est partagé par de nombreux industriels nippons. Pour s'en accommoder, la stratégie est de plus en plus claire : les produits les plus en pointe et destinés au marché japonais seront fabriqués sur place dans des usines dotées d'équipements hors pair et savamment protégés, sachant que les Japonais achètent d'abord des appareils de marques nationales et que pour le haut de gamme notamment ils préfèrent qu'ils soit également façonnés sur l'archipel.
Par ailleurs, les appareils qui seront vendus à l'étranger seront fabriqués au plus près de la zone de chalandise au meilleur coût, puisque les critères de choix des clients y sont différents et la concurrence avec des marques non japonaises plus intense. Dans cette optique, Panasonic (et c'est valable aussi pour ses compatriotes Sony, Sharp ou Toshiba) doit élaborer des processus de production radicalement nouveaux et de différents niveaux de technicité qui lui permettent de proposer des produits ultra-compétitifs destinés aux consommateurs modestes de pays émergents et aux clients en quête de prix bas dans les nations développées, tout en continuant d'offrir du nec plus ultra là où il est recherché, au Japon en premier lieu.
Pour l'exercice qui s'achèvera le 31 mars 2010, Panasonic s'attend à être encore dans le rouge du fait des dépenses induites par sa reconfiguration, mais il assure qu'il sortira renforcé de la crise. Si tout se passe comme espéré, il devrait alors avoir bouclé le rachat de son compatriote du même secteur et de la même région ouest du Japon, Sanyo qu'il a promis de prendre sous son aile il y a plusieurs mois déjà. Mais pour l'heure, il n'est toujours pas en mesure de définir la date officielle du lancement de son offre publique d'achat (OPA) des actions de cette société, pas plus que les conditions afférentes, à cause de blocages administratifs dans différents pays.
Pour mener à bien cette opération, initialement annoncée fin 2008, Panasonic doit obtenir l'aval des autorités de la concurrence du Japon, des Etats-Unis, d'Europe, de Chine et de plusieurs autres pays ou régions concernés. « Nous y travaillons d'arrache-pied, mas je ne peux pas encore dire quand nous lancerons l'offre », a regretté un membre des instances dirigeantes de Panasonic, Makoto Uenoyama. Selon ce dernier, les procédures sont bouclées avec cinq des onze autorités nationales ou régionales qui doivent se prononcer sur ce rapprochement industriel d'ampleur, mais les négociations se poursuivent avec les six autres. Panasonic avait récemment indiqué qu'il espérait donner fin juin les détails de son offre sur son compatriote Sanyo, après avoir déjà reporté cette annonce. « Nous lancerons l'offre publique d'achat aussitôt que possible après en avoir terminé avec les modalités et mesures nécessaires sous les juridictions japonaise et étrangères », a-t-il promis. Cette offre portera sur l'ensemble des titres de Sanyo et pourrait coûter à Panasonic la bagatelle de plus de 800 milliards de yens (environ 6,4 milliards d'euros au cours actuel), prix à payer pour profiter des technologies de pointe de Sanyo dans les domaines prometteurs des batteries rechargeables et de l'énergie solaire. Sanyo juge pour sa part bon d'être adossé à un géant pour se protéger face aux aléas économiques et bénéficier de réseaux de distribution plus costauds à l'échelle planétaire.
L'éternel rival de Panasonic, Sony, n'a quant à lui pas annoncé de rachat d'entreprise de grosse envergure, tout occupé qu'il est à faire le ménage à l'intérieur. Champion nippon du secteur des produits électroniques aux yeux des consommateurs, Sony vient de souffrir au cours de l'exercice budgétaire 2008-2009 sa première perte nette en quatorze ans, victime de la récession économique internationale et plus encore de la hausse concomitante de la monnaie japonaise qui lamine sa compétitivité. Il a fait état ce mois-ci d'un déficit net annuel de 761 millions d'euros, certes moins important que redouté, mais néanmoins symptomatique.
C'est la première fois que cela lui arrive depuis 1994-1995, même si par la suite il a plusieurs fois vu sa rentabilité malmenée et ses profits évoluer en dents de scie. L'activité-pilier du groupe, l'électronique (hors consoles de jeux vidéo), a vu ses ventes s'effondrer de 17% sur un an en valeur sur l'ensemble de l'exercice, et de 36% au cours des seuls mois de janvier à mars 2009. Bilan : cette division centrale, qui fait la réputation de Sony auprès du grand public et repose à 83% sur les marchés étrangers, a enregistré un résultat d'exploitation négatif. « Même si certains produits comme les téléviseurs à écran à cristaux liquides (LCD) se sont bien écoulés en nombre d'unités, cela n'a pas suffi à compenser le fort déclin observé sur les camescopes, les appareils photo numériques ou encore les ordinateurs », a expliqué Sony. « La conjoncture est extrêmement sévère depuis la mi-septembre », a rappelé le directeur financier de Sony, Nobuyuki Oneda, lors d'une conférence de presse. « Nous avons cependant atteint notre objectif en livrant 15,2 millions de TV LCD », s'est consolé Gen Tsuchikawa, directeur des relations avec les investisseurs. Pour autant, la division des téléviseurs, une des plus importantes au sein de l'électronique grand public, est encore loin d'être rentable, a reconnu M. Oneda. « Cette année nous pensons vendre à peu près le même nombre de TV, mais estimons possible de réduire de moitié le déficit afférent, grâce aux modèles haut de gamme qui sont les plus rentables », a-t-il toutefois indiqué.
Autre grain de sable dans la mécanique Sony : les jeux vidéo, une activité qui patine et qu'il ne parvient pas à remettre d'aplomb, même si elle a fini l'exercice moins profondément ancrée dans le rouge que l'an précédent. Cette situation contraste avec celle du concurrent et compatriote de Sony, Nintendo lequel n'a jamais gagné autant d'argent que l'an passé. Sony met en cause l'impact du yen cher et le déclin des ventes de son modèle PlayStation 2 qui est désormais distancé par la PlayStation 3 lancée fin 2006. Reste que cette dernière s'est vendue à seulement 10 millions d'unités dans l'année, plus de deux fois et demie moins que la Wii de Nintendo.
Mastodonte fragilisé, Sony fait donc le tri et il n'est pas exclu que son patron américain Howard Stringer profite du prétexte de la crise générale pour se débarrasser de sites industriels et activités qui ne sont pas ses préférés. Quitte à bousculer les traditionnelles relations salarié-entreprise et client-fournisseur japonaises, comme l'a fait en 1999 Carlos Ghosn avec Nissan, Mister Stringer, étendant son pouvoir et s'entourant de jeunes aux dents longues formés à l'école américaine, s'est engagé à faire du fleuron japonais de l'électronique un groupe compétitif et rentable au niveau international, face à de puissants adversaires comme le sud-coréen Samsung Electronics.
Le groupe poursuit la mise en oeuvre de mesures de restructuration décidées fin 2008 et qui prévoient, entre autres, la suppression de 16 000 postes dans le monde ainsi que la réduction de ses sites de production détenus en propre. Il projette aussi de réduire de moitié le nombre de ses fournisseurs de composants et autres ressources nécessaires pour ses produits, afin de diminuer ses coûts d'achat et de logistique. Sony se fixe pour objectif de ne plus compter que 1 200 pourvoyeurs de technologies et pièces, contre 2 500 à présent, a précisé une porte-parole du groupe. Alors que les diverses entités de Sony font séparément leurs emplettes auprès de différentes firmes, ce qui se traduit par des redondances de frais et de démarches, le groupe souhaite regrouper les commandes et les faire porter sur un nombre réduit de références. Sony entend ainsi diminuer ses coûts annuels d'approvisionnement de 20%, afin de conserver des marges même si la concurrence tire les prix des produits finis vers le bas.
Le groupe espère en outre négocier de meilleurs tarifs en mettant en avant une augmentation des volumes commandés auprès de chaque interlocuteur retenu. Tant pis pour les autres sous-traitants, surtout les plus petits qui risquent de connaître le même triste sort que ceux abandonnés par Nissan il y a quelques années.
Malgré des économies de 2,5 milliards d'euros escomptées grâce aux tactiques ci-dessus expliquées et d'autres encore, le groupe s'attend à rester encore déficitaire cette année. Depuis que Sony figure dans les entreprises cotées à la Bourse de Tokyo, c'est-à-dire depuis plus d'un demi-siècle, le groupe n'a jamais terminé dans le rouge deux années de suite. Le PDG Stringer veut tout faire pour éviter de porter ce déshonneur sur son curriculum vitae, une salissure que ne manqueraient pas de souligner les médias nippons.