Ces facteurs les poussent à faire tout leur possible pour que les puces, les caméras, les capteurs et autres composants dont ils sont des spécialistes soient de plus en plus utilisés au service de la santé, une évolution qui leur permet de pallier partiellement leurs lacunes dans le domaine de la pharmacopée grâce à leurs atout dans la mécatronique. De nombreux groupes nippons comme Olympus (endoscopes), Fujitsu (systèmes de radiographie, tensiomètres, etc.) ou Hitachi (imagerie, analyse, etc.), déjà très impliqués dans ce domaine, nourrissent des ambitions de plus en plus importantes qui se voient notamment dans les travaux conduits en partenariat avec les différentes universités du Japon, dont celle de Tokyo (Tokyo Daigaku) qui compte nombre de chercheurs spécialisés auxquels nous sommes allés rendre visite récemment.
"C'est de la sacrée belle mécanique", s'exclame une roboticienne française du CNRS, Jocelyne Triccaz, de passage au Japon, en observant un instrument chirurgical articulé, paraissant aussi souple qu'un serpent malgré sa structure métallique, semi-automatisé, terminé par une pince de moins de 5 millimètres, un objet d'orfèvre à l'état de prototype conçu par un de ses homologues de l'Université de Tokyo. "Toute l'industrie de la micro-électronique locale favorise cela", reconnaît-elle. "Il est clair que nous ne nous lancerons jamais dans la fabrication de ce type d'objet", renchérit un de ses collègues, même si les Français peuvent imaginer des usages et développer des applications auxquelles ne songent pas nécessairement les Nippons ou pour lesquels il manque à ces derniers certaines compétences.
Du fait de cette approche moins high-tech mais plus rapidement opérationnelle, les chercheurs de l'Hexagone ont notamment conçu des structures semi-robotiques qui semblent un peu plus rudimentaires que les machines nippones mais qui sont fonctionnels. Aux yeux de plusieurs spécialistes français, la robotique médicale apportera cependant réellement quelque chose le jour où des micro-robots autonomes ou télécommandés iront opérer directement à l'intérieur du corps, en minimisant encore les incisions. Mais d'ici là, s'interrogent de nombreux praticiens, à quoi bon remplacer les mains expérimentées d'un chirurgien par un appareillage souvent épineux à manipuler, parfois encombrant, toujours contraignant quand il n'est pas effrayant pour le patient? On songe à un robot rebouteux qui vous recolle deux os fracturés en deux temps trois mouvements, engin aperçu dans un laboratoire. Une démo suffit, merci.
Les chercheurs Japonais qui, eux aussi, rêvent évidemment de robots lilliputiens chirurgiens et disposent assurément de technologies pour atteindre cette ambition, sont néanmoins convaincus que même les gros appareils présentent des avantages indéniables. Ils considèrent en outre que leur développement est un passage obligé pour ensuite faire plus petit et plus maniable. "Les robots permettent au chirurgien de travailler à distance de la table d'opération dans une position ergonomique, au lieu d'être maladroitement penché au-dessus du patient", affirme le professeur Makoto Hashizume de l'Université du Kyushu.
Le praticien est face à un écran et commande par réseau depuis une salle située à proximité ou éloignée de plusieurs kilomètres des instruments chirurgicaux, grâce à des poignées spéciales munies de capteurs et autres moyens de reconnaissance de gestes. Des pédales lui permettent simultanément de contrôler diverses autres fonctionnalités. Ce type de robots-chirurgien, une catégorie parmi de nombreuses autres, existent déjà et sont en exploitation. Le plus célèbre d'entre-eux, le Da Vinci de la firme américaine Intuitive Surgical, opère aux Etats-Unis, en France et dans de grands hôpitaux d'autres nations riches. Ce médecin mécatronique rend jaloux les Japonais, dont le professeur Mamoru Mitsuishi de l'Université de Tokyo, qui a conçu un clone encore inexploité avec l'ambition de surpasser le Da Vinci, une machine qui est basée sur un nombre impressionnant de brevets difficiles à contourner. Petit plus du prototype nippon: il dispose d'un système de retour de force qui fait encore défaut au Da Vinci.
"Ce dont nous avons besoin pour révolutionner la chirurgie, c'est l'esprit de défi et l'expérience plus que les connaissances", assène le chercheur Hashizume, lequel voit dans la robotique et les systèmes d'intervention chirurgicale assistée un moyen d'éviter les accidents opératoires. Les gestes seraient alors selon lui plus précis et réguliers, le chirurgien étant en outre guidé et informé en temps réel par divers moyens sophistiqués. Les Japonais imaginent même une salle de suivi des opérations digne d'une tour de contrôle de centrale nucléaire, où des spécialistes suivraient grâce à une batterie d'instruments tous les faits et gestes des équipes chirurgicales ainsi que les réactions du patient. Ils communiqueraient avec le chirurgien en chef par oreillette interposée pour le guider si besoin.
"La chirurgie sera moins invasive si elle est pratiquée de façon plus rapide, plus précise et plus sûre", renchérit le professeur Ken Masamume qui développe des systèmes de visualisation avancés de l'intérieur du corps permettant de réaliser davantage d'interventions chirurgicales sans "ouvrir" le patient, simplement en pratiquant des petites incisions pour faire pénétrer les instruments.
Le Pr. Masamume a notamment conçu un écran à placer au-dessus du malade et qui affiche en temps réel l'intérieur de son corps observé par un système d'imagerie par résonance magnétique (IRM). Le chirurgien peut intervenir directement dans cet environnement grâce à une main robotique dépourvue de métal, donc compatible avec le champs magnétique qui envahit la pièce.
Dans les très nombreuses salles de l'Université de Tokyo consacrées à la robotique en tout genre, sont en outre développés des ustensiles encore plus surprenants qui dénotent du pragmatisme et de l'ingéniosité de jeunes étudiants. Deux exemples seulement: un tube souple pour faire passer des instruments dans le corps du patient et qui, sur simple pression d'un bouton, devient rigide en conservant la forme qu'il a prise dans le corps. Et ce grâce à un système pneumatique qui, grosso modo, gonfle des mini ballons enrobant l'engin sans changer sa posture. Vous n'imaginez pas la complexité technique de cette gaine qui pourtant ressemble à un vulgaire tuyau. Idem pour un autre accessoire qui sert à relever et soutenir un foetus pour une intervention chirurgicale in utero, sans quoi il flotte et ne tient pas en place. Là encore, il faut que l'instrument introduit dans le ventre de la mère change de forme une fois qu'il s'y trouve, ce qui suppose un système mécanique.
Endoscopes encore plus petits, systèmes d'observation en trois dimensions, outil de repérage, de suivi de mouvements en temps réel et de destruction d'un corps étranger dans un organe (calculs rénaux par exemples), de nombreuses autres techniques en devenir occupent les journées de moult chercheurs de l'Université de Tokyo, lesquels ne se contentent donc pas de façonner des robots androïdes femmes de ménage comme ceux que nous vous avions présentés récemment. Reste que les règles sont si strictes au Japon que beaucoup d'appareils doivent atteindre un niveau d'excellence tel pour pouvoir être testés que les retards s'accumulent face aux équipes de recherche d'autres pays. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles le Da Vinci américain s'est emparé vite de la première place commerciale au détriment des créations nippones. Signalons enfin que des collaborations entre la France et le Japon dans ce domaine pourraient se dessiner dans un proche avenir qui profiteraient aux deux pays compte tenu de leurs approches et compétences complémentaires.