Instaurer le filtrage contre la pédopornographie
Parmi les points plus controversés du texte, l'article 4, dont le résumé indique que les « fournisseurs d'accès à Internet devront empêcher l'accès des utilisateurs de l'Internet aux contenus illicites ». Le pouvoir de décider la nature des contenus « illicites » justifiant la mise en place d'un filtrage devait initialement revenir au ministère de l'Intérieur, par l'intermédiaire de l'OCLCTIC (Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication). En commission préliminaire à l'examen du texte a toutefois été voté un amendement conférant au juge le seul pouvoir d'ordonner le filtrage.
Dans la version actuelle du texte, il est prévu que les FAI aient le libre choix des techniques à mettre en place, et soient tenus à une obligation de moyen plutôt qu'à une obligation de résultats. Le filtrage comme moyen d'interdire l'accès à des contenus illicites reste toutefois particulièrement complexe à mettre en oeuvre, pour une efficacité discutable. L'habileté des criminels à contourner les différents dispositifs du genre, particulièrement dans le domaine d'une pédopornographie unanimement condamnée sur la scène internationale, n'est d'ailleurs plus à démontrer.
De l'intérêt des mouchards informatiques
L'article 23 prévoit quant à lui la « possibilité de recourir à la captation à distance de données informatiques dans les affaires de criminalité organisée ». Plus exactement, le texte propose que les enquêteurs puissent « accéder aux données informatiques des personnes visées par une enquête en matière de criminalité organisée, telles que ces données s'affichent au même moment pour l'utilisateur sur son écran ou telles qu'il les introduit dans l'ordinateur ». Une telle action ne peut toutefois être décidée que par un juge d'instruction. « Alors même que le téléphone est délaissé au profit de l'ordinateur, il serait paradoxal qu'on puisse procéder à des écoutes téléphoniques - strictement encadrées -, mais non surveiller les messages transmis par voie électronique par des criminels ou des terroristes », fait valoir le député Eric Ciotti, rapporteur du projet.
La Loppsi prévoit par ailleurs que puisse être punie d'un maximum d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende le délit d'usurpation sur Internet, qui jusqu'ici n'était sanctionné qu'en cas de préjudice financier avéré.
Sécurité à tout crin
La portée du texte, pensé comme la ligne de conduite qui guidera les actions des forces de l'ordre pour les cinq années à venir, dépasse largement le cadre du numérique. Entre autres mesures, la Loppsi prévoit par exemple que les personnes morales de droit privé (entreprises par exemple) puissent recourir à la vidéosurveillance. Elle suggère également la mise en place d'un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans, l'instauration de peines complémentaires dans le cadre des délits routiers, le renforcement des sanctions venant frapper les agressions sur seniors ou l'entrée en action de la visioconférence dans les salles d'audience pour alléger le travail d'escorte des policiers.
« A quelques semaines des élections régionales, ce projet de loi tente de rassurer l'opinion en lui faisant croire que de nouvelles mesures de surveillance vont régler les problèmes de délinquance », regrette dans un communiqué le groupe socialiste.
« Ce texte - déposé en mai 2009 et sur lequel vient de s'abattre, à l'approche des élections régionales, un déluge d'amendements destinés à le durcir tous azimuts - offre un condensé de l'idéologie primaire et dangereuse qui gouverne depuis plusieurs années le traitement des questions de "sécurité" », déplorent dans un communiqué commun, les syndicats de la magistrature (SM) et des avocats de France (SAF), pour qui la Loppsi dessine un véritable Brazil.
« La mise en œuvre de la censure du Net fait courir de grands risques techniques et démocratiques. Elle ne devrait être envisagée qu'à titre expérimental et temporaire, ce qui permettrait de confirmer son inefficacité. Il est également indispensable que les députés amendent le texte de la LOPPSI afin de prévoir un mécanisme de recours pour les "censures collatérales" liées au sur-filtrage. Sans de telles garanties, le texte voté présentera inévitablement un danger pour la liberté d'expression et de communication », déclare de son côté Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net.
Entamé au terme d'un débat controversé sur l'identité nationale, l'examen de la Loppsi devrait se révéler mouvementé. Il sera à suivre, de mardi après-midi à jeudi, en direct via le site de l'Assemblée nationale. Le vote devrait quant à lui intervenir le 16 février prochain.