Patrice DIOCHET - CFTC : "La privatisation de France Télécom n'a aucune raison d'être en 2004"

Ariane Beky
Publié le 13 septembre 2004 à 00h00
Le secrétaire national CFTC télécoms, Patrice DIOCHET, précise la position du syndicat concernant la récente privatisation de l'opérateur historique français.

AB - Patrice DIOCHET, bonjour. Pouvez-vous rappeler brièvement ce qu'est la CFTC et préciser son positionnement vis-à-vis des autres grandes centrales syndicales ?

CFTC - La Confédération française des travailleurs chrétiens est un syndicat de salariés présent dans toute la France et dans toutes les professions. Elle aide ses adhérents à résoudre leurs problèmes professionnels ou sociaux, qu'il s'agisse de questions personnelles ou collectives.

Dans le cadre du paritarisme, elle négocie en toute indépendance avec les autres organisations de salariés et les représentants des employeurs sur les grands dossiers nationaux, tels que la formation professionnelle, l'assurance chômage, l'assurance maladie, les évolutions du droit du travail, la retraite.

La CFTC revendique des valeurs humanistes et place toujours l'Homme avant le profit et les intérêts économiques. Elle veille au "mieux vivre" des salariés pour qu'ils puissent concilier vie professionnelle et vie familiale.

Dans les entreprises, la CFTC prône le dialogue réaliste, la négociation en premier et la grève en dernier recours.

La Confédération travaille actuellement à l'élaboration d'un statut du travailleur qui garantisse la continuité des droits - formation, chômage, Sécu - quels que soient les aléas du parcours professionnel - licenciement, congé parental, formation -

Enfin, la CFTC est la deuxième organisation syndicale dans la branche professionnelle des Télécoms.

AB - La CFTC dénonce la privatisation récente de . Ne pensez-vous pas que les exemples d'Air France ou de Renault montrent que ce type d'opération peut être une réussite ?

CFTC - La problématique n'est pas de savoir si cette opération peut être une réussite car elle n'a aucune raison d'être en 2004.

Autant la CFTC pouvait admettre l'ouverture du capital afin que France Télécom puisse lutter à armes égales contre la concurrence, dans la limite où l'Etat restait majoritaire, autant il n'est pas admissible de brader les "bijoux de famille" de France Télécom pour réduire la dette de l'Etat de 1000 milliards d'euros à 995 milliards d'euros...

De plus, le gouvernement français a déjà pris date afin que l'Etat baisse encore sa participation dans France Télécom dans quelques mois ! L'Etat prend une très lourde responsabilité devant les citoyens et devant les salariés.

Autant avant la privatisation, les dirigeants de France Télécom s'obligeaient à intégrer le service public, l'emploi et une certaine conception d'une entreprise citoyenne, autant le PDG Thierry BRETON, qui depuis son arrivée à la tête de l'entreprise en se déclarant entrepreneur, a dorénavant toute latitude à gérer son entreprise au sein d'une société ultra-libérale et cornaquée par le MEDEF.

A moyen terme d'ailleurs, il ne sera pas impossible que France Télécom soit prise en main par les Américains ou les Asiatiques...

AB - Le refus de la privatisation à la fin des années 1990, ainsi que l'obligation de payer le rachat d'Orange en cash et non en actions ne sont-ils pas à l'origine de la dette de France Télécom et de ses difficultés ?

CFTC - Il est faux de dire que le rachat d'Orange par France Télécom en cash a été motivé par l'absence de capital de France Télécom. En effet, le Britannique Vodafone, le vendeur d'Orange, avait clairement indiqué qu'il ne souhaitait pas être payé en actions mais qu'il voulait du cash.

De plus, la dette de France Télécom qui a atteint 70 milliards d'euros, provenait aussi, pour une part déterminante, de l'achat de licences UMTS vendues à des prix délirants en pleine "bulle télécoms" par les Etats.

Les choix de l'Etat font que les difficultés de France Télécom sont désormais structurelles. C'est sur France Télécom que pèse l'énorme charge financière et technique de l'infrastructure des réseaux sans laquelle il n'y aurait aucune communication en France.

Si France Télécom faisait faillite, les maigres réseaux des autres opérateurs seraient très vite débordés et deviendraient inopérants. Or, le désengagement de l'Etat est un signal donné à l'ART - Autorité de régulation des télécommunications - pour accentuer sa politique de dépossession de France Télécom au profit d'autres opérateurs dont certains ne se cachent pas d'être virtuels.

Or, les emplois que ces opérateurs créeront seront aussi virtuels, alors que les emplois qui seront détruits par France Télécom seront bien réels !

AB - La libéralisation a permis de faire baisser les prix de manière spectaculaire ces dernières années ce qui profite avant tout aux ménages les plus modestes. N'avez-vous pas le sentiment que, sur ce terrain, la concurrence soit plus efficace que le service public ?

CFTC - Il est faux de dire que la libéralisation des télécommunications a permis de faire baisser les prix du téléphone. En ce qui concerne la téléphonie mobile, le marché est devenu un oligopole non concurrentiel où le maquis tarifaire permet aux opérateurs (Orange, SFR et Bouygues) de pratiquer impunément des comportements parallèles qui empêchent toute concurrence par les prix.

Par exemple, en 1998, les forfaits de France Télécom Mobiles de deux heures se vendaient 235 francs. En 2004, les forfaits Orange de deux heures se vendent 35,51 euros, soit 232,93 francs.

En ce qui concerne le téléphone fixe, entre 1995 et 2004 l'abonnement mensuel est passé de 28 francs (4,27 euros) à 13 euros, ce qui fait une augmentation de plus de 300% ! Ce sont bien sûr les ménages les plus pauvres, qui consomment peu de communications, qui sont le plus frappés par cette augmentation.

Lors de la table ronde de novembre 1995 sur "les télécommunications et la concurrence" organisée par le ministre chargé des télécommunications, la CFTC s'était prononcée pour le maintien d'un service public en situation de concurrence de nature à exercer une pression à la baisse des prix.

Malgré les garanties données au nom de l'Etat français, on s'est acheminé vers la disparition du service public et une concurrence entre entreprises privées régulée par une Autorité de régulation qui poursuit le modèle idéal de l'oligopole concurrentiel.

Maintenant que l'Etat s'est désengagé, l'ART va pouvoir discriminer encore davantage France Télécom pour tenter de faire naître artificiellement une concurrence là où le monopole est "naturel".

Ceux qui financent France Télécom, c'est-à-dire les actionnaires, risquent de le payer très cher. Par ailleurs, la baisse des prix au bénéfice des consommateurs est loin d'être acquise.

AB - Le taux de syndicalisation des Français est désormais parmi les plus faibles du monde. Comment les inciter à rejoindre les rangs des syndicats, ceux de la CFTC en particulier ?

CFTC - On ne peut comparer les taux de syndicalisation dans le monde car les principes sont différents. Dans les pays scandinaves par exemple, les avancées négociées par un ou des syndicats bénéficient seulement aux adhérents de ces syndicats. Cela change véritablement la donne.

En France, une catégorie de salariés exprime son mécontentement avec des syndicats bien connus pour ne faire que cela, et attend des autres des avancées sociales par la négociation : quelle ambiguïté !

Protéger les droits des salariés, surtout lorsque ces droits sont menacés ou méconnus, c'est le devoir de tout syndicat. La CFTC, c'est d'abord un syndicat basé sur des valeurs sociales et humaines fortes. C'est notre identité, notre marque de fabrique : une authentique solidarité, le partage entre tous en prenant en compte chaque personne, le respect et la dignité de ces personnes.

Ces valeurs, nous les partageons avec d'autres, mais en tant que syndicalistes CFTC, nous sommes seuls à les porter. Elles nous demandent tout simplement, d'être intransigeants et vigilants.

Dans notre société actuelle où tout est bafoué, où l'Homme dans sa dignité absolue n'est que quantité négligeable, en particulier dans le monde des entreprises où souvent le patronat agit sans scrupule, il devient plus que nécessaire de ne pas franchir la ligne rouge et rester nous-mêmes.

Les militants CFTC font davantage confiance aux personnes, donc aux salariés et à la liberté partagée qu'aux appareils et systèmes sclérosés. Râler pour dénoncer ne suffit pas toujours. Vouloir la cogestion Patron/Syndicat est très malsain.

A la CFTC d'apporter cette humanisation manquante dans les entreprises, socle indispensable à toutes les évolutions et à toute vie sociale.

Enfin, l'entreprise doit être un lieu de performances, de talents, de solidarité et d'humanité tout à la fois : ce n'est pas antinomique. Et, c'est ce qui différencie la CFTC.

AB - Patrice DIOCHET, merci pour votre intervention.
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