L'ère numérique au service de la surveillance permanente. © cunaplus / Shutterstock
L'ère numérique au service de la surveillance permanente. © cunaplus / Shutterstock

Quand la surveillance dépasse les bornes et met à mal la sécurité des étudiants. C'est à Walnut que ça se passe, une municipalité à l'est du comté de Los Angeles.

Le Mt. San Antonio College (Mt. SAC) est l'un des plus grands établissements d'enseignement supérieur technique et professionnel de Californie. Fondé en 1945, plus de 26 000 étudiants viennent y suivre des cours aujourd'hui. Il est désormais un immense terrain de jeu pour la surveillance et la collecte de données. Les futurs diplômés se retrouvent ainsi immergés au cœur d'un colossal dispositif de contrôle : surveillance logicielle des examens ou lecture des plaques d'immatriculation, ces technologies sont conduites à leur maximum.

Les conséquences sur la vie des étudiants sont nombreuses et ce système de supervision influence les décisions des administrateurs de l'établissement, des professeurs et même des forces de l'ordre. Une infrastructure aux relents orwelliens, qui prouve encore une fois que certains États américains sont prêts à développer des montagnes d'ingéniosité pour contrôler leur jeunesse. Un état de fait qui n'est pas sans rappeler la censure organisée dans les bibliothèques scolaires avec ChatGPT. Petit tour d'horizon de ce paysage sécuritaire parfaitement inimaginable.

Souriez, vous êtes analysés

Un des étudiants du San Antonio College, Eric Nativitad, 32 ans, est aux premières loges de ce gigantesque mécanisme de monitoring. Sa journée est analysée du matin au soir : des entreprises comme Instructure, Google et Facebook surveillent ses activités en ligne et collectent en permanence ses données personnelles. T2 Systems (entreprise fournisseuse de solutions de gestion de parking) et la police du campus gardent un œil sur tous ses déplacements en voiture. Les GAFAM ne sont plus les seuls à se nourrir de ces informations.

« Il n'y a pas un moment de la journée où tout cela ne cesse de m'occuper l'esprit », raconte-t-il, désabusé. Eric a eu peur tout au long du semestre d'être soumis au logiciel de détection faciale utilisé pour la surveillance à distance par Mt. SAC. Une omniprésence de l'espionnage qui inquiète également ses compagnons d'études.

"We want you to join the panopticon". © Ground Picture / Shutterstock
"We want you to join the panopticon". © Ground Picture / Shutterstock

Liberté académique ou prison numérique ?

La raison officielle de ces mesures : l'optimisation de l'enseignement. Dans la réalité, c'est tout à fait oppressant pour les élèves du Mt. SAC. Un logiciel utilisé par celui-ci, Canvas, permet aux professeurs d'ajuster leurs programmes éducatifs. Dans les faits, cela se traduit en revanche par une transmission de ces données à des entreprises tierces. L'atmosphère générale est à la méfiance, et les étudiants adaptent leur comportement pour éviter de se faire remarquer par ces nombreux outils. Intrusive et anxiogène, cette vigilance omniprésente est difficilement supportable au quotidien pour les élèves. Troquer la liberté d'étudier contre la contrainte permanente se paie au prix fort.

La guérilla de la confidentialité, une bataille perdue d'avance ?

Face à cette situation, la résistance s'organise. Natividad, et d'autres de ses condisciples, plaident pour un changement. Des initiatives existent, mais elles sont minoritaires. À l'Université du Michigan, le site Web ViziBLUE a été créé en 2020. Ce dernier permet aux étudiants d'avoir accès et de visualiser leurs informations collectées par l'institution. D'autres campus ont également été le siège de manifestations pour lutter contre l'utilisation de logiciels de surveillance à leur insu. Notamment contre un programme qui collectait des données grâce à l'utilisation de la reconnaissance faciale et localisait leurs domiciles.

Noah Apthorpe travaille à l'Université de Colgate comme professeur assistant en informatique. Il se penche notamment sur des thématiques telles que la confidentialité et la conséquence de la récolte de données au sein des universités. De son point de vue, les effets sont très néfastes pour les étudiants : « Nous sommes habitués à un environnement où tout est systématiquement enregistré, ce qui rend notre capacité à opérer des changements très complexes à mettre en place ». Canvas, par exemple, recueille des informations et est utilisé pour faire du profiling des étudiants afin de dresser des profils types.

Le constat est très alarmant et la situation au Mt. SAC soulève des questions éthiques cruciales. Pour le moment, la balance entre les avantages de la technologie et le respect du droit à la vie privée est largement défavorable pour les universitaires. Jusqu'où ces institutions sont-elles capables d'étendre ces dispositifs ? Quelle sera leur limite ? Ce qui est certain, c'est que les pratiques actuelles méritent d'être réévaluées tant leurs impacts au long terme sont méconnus.

Comme l'avait écrit Georges Orwell en 1949 dans son roman de renom,1984 : « ils ne pouvaient vous arracher vos pensées. La pensée était le dernier domaine de la liberté ». Dans un passé pas si éloigné, nos pensées demeuraient un bastion, un refuge considéré comme inviolable. Toutefois, elles se retrouvent désormais sous l'œil minutieux d'outils qui les scrutent constamment et mettent en péril notre autonomie intellectuelle.

Source : The Markup