La Terre, photographiée à travers le hublot de la mission Gemini II. La photo est prise automatiquement : il n'y a personne dans la capsule. © NASA
La Terre, photographiée à travers le hublot de la mission Gemini II. La photo est prise automatiquement : il n'y a personne dans la capsule. © NASA

Pour pouvoir préparer ses missions lunaires qui se profilent, la NASA dispose au début des années 60 d'une feuille de route détaillée, et de son nouveau véhicule expérimental, Gemini. Mais la mise en service de ce dernier fut prudente et progressive. Résultat, la fête fut de nouveau gâchée par les Soviétiques !

Fin 1962, malgré l'ambition du président américain Kennedy qui a réussi à dynamiser le pays pour « aller sur la Lune avant la fin de cette décennie », le programme habité américain est dans une position difficile. Le projet Mercury, qui s'achève en 1963 sur un succès éclatant, ne peut cacher que les Soviétiques ont un grand coup d'avance… Tandis que le programme Gemini, qui doit permettre de tester autour de la Terre toutes les technologies dont la NASA aura besoin pour ses missions lunaires, prend du retard. Les astronautes, en particulier ceux sélectionnés après les « Mercury Seven », trépignent d'impatience ! Reste que les débuts du projet sont prudents.

Il faut assurer pour la suite

Pour le comprendre, il faut se souvenir que Mercury était vraiment un projet très simple, dont l'objectif limité était bel et bien de montrer que les Américains pouvaient envoyer un humain en orbite (y compris 24 h d'affilée, comme le montre la dernière mission). Dans le même temps, la NASA qui n'a que 3 ans à la fin du programme, gère également avec l'US Air Force les vols de l'avion-fusée X-15, et plusieurs projets de sondes robotisées, dont les sondes Ranger vers la Lune, qui signent un échec après l'autre. L'objectif lunaire est fragile, d'autant que l'agence gère de front Gemini et Apollo, avec sa famille de lanceurs Saturn (en 1963, Saturn I vole déjà). Or, si la presse et le grand public sont concentrés sur les réussites du programme habité face à celles de l'URSS, le plus important est ailleurs. Il faut en effet que Gemini soit un véhicule fiable avant tout, pour tester plus tard les sorties spatiales, les missions longues, les rendez-vous, les amarrages en orbite et la navigation de précision.

Gemini, c'est aussi l'occasion de changer de salles de contrôle au moment ou l'électronique progresse à pas de géants ! (ici l'ancienne qui a servi pour Mercury et Gemini I, II et III) © NASA
Gemini, c'est aussi l'occasion de changer de salles de contrôle au moment ou l'électronique progresse à pas de géants ! (ici l'ancienne qui a servi pour Mercury et Gemini I, II et III) © NASA

Gemini I, vraie forme et fausse capsule

La toute première mission Gemini embarque une capsule qui a la bonne forme, mais qui est à peine représentative du programme. À l'intérieur, deux soutes à équipements sont installées et transmettent des données aux stations au sol. Mais il n'y a pas de support de vie, pas de sièges, pas de véritable tableau de bord. En réalité, il s'agit avant tout de certifier le lanceur du programme, la fusée de l'US Air Force Titan II : à la NASA, on hésite encore pour l'utiliser, de peur que ses vibrations soient trop importantes pour un vol habité.

Les capteurs vont enregistrer le vol tandis que l'infrastructure de suivi et de communication a été améliorée côté NASA. C'est donc un test important, même s'il est incomplet. Le comportement de la capsule en orbite n'est même pas si important : elle reste accrochée à l'étage supérieur de la fusée, ne dispose de batteries que pour tenir une heure ou deux, et son bouclier thermique est percé de trous. Eh oui, pas question que par malchance elle puisse survivre à son retour dans l'atmosphère et être récupérée par un pays du bloc de l'Est…

Des retards, et encore des retards

Ce premier décollage, avec la capsule Gemini I, a lieu le 4 avril 1964, et il est formateur pour toutes les équipes, pas tant pour le vol que pour les quatre mois de préparation et de retard autour de Cape Canaveral avant le lancement ! Mais l'objectif est rempli, c'est bien Titan II qui servira pour le programme Gemini. Il ne reste plus qu'à tester la capsule et les astronautes pourront commencer leurs missions. C'est là que les choses se corsent. Car si l'extérieur de la capsule ne posait pas problème, le reste des préparations pour les vols habités prend plus de temps.

Premier décollage de Titan II pour Gemini à Cape Canaveral. Le paysage change... © NASA

Gemini est un véhicule un peu hybride, il reprend la base des capsules Mercury en plus grand et beaucoup plus capable, mais il est aussi censé être un pont vers Apollo, aussi certains choix prennent du temps. Gemini II est un vol suborbital non habité, qui doit qualifier les systèmes internes de la capsule, ainsi que sa capacité à revenir amerrir en toute sécurité.

Pour cela, les équipes de la NASA et les astronautes se préparent pour la fin de l'été, mais à Cape Canaveral, l'année 1964 n'est pas tendre, et en août puis septembre, deux ouragans touchent la région. Plus ennuyeux encore, alors que le programme a déjà pris du retard et que le vol Gemini II n'est plus prévu qu'en décembre 1964, l'Union soviétique fait voler sa « nouvelle capsule » Voskhod avec trois cosmonautes !

L'URSS vole la vedette

En réalité, l'URSS a joué un coup de poker gagnant. Voskhod est une capsule minuscule, qui a très peu de nouvelles capacités, reprenant en réalité énormément d'éléments de Vostok, y compris le compartiment pressurisé. Elle n'était prévue que pour deux, et elle est très loin de disposer d'autant d'options que Gemini, mais pour une « première » et un coup de com' réussi, les Soviétiques ont à nouveau marqué les esprits.

La NASA continue d'avaler des couleuvres dans la presse, et fait finalement voler sa capsule vide Gemini II le 19 janvier 1965. Elle grimpe à 171 km d'altitude, permet de valider le design des contrôles, manœuvre correctement et se pose sans incident majeur ! Et cette fois, elle est vraiment prête pour ses premiers occupants, car lors de plusieurs comptes à rebours simulés au sol, les astronautes du programme Gemini ont répété les procédures des futurs lancements.

Les pilotes et les simulateurs ont beaucoup aidé à préparer un véhicule réussi (mais à l'intérieur... minuscule) © NASA

L'URSS va refaire son « mauvais coup » quelques mois plus tard, alors que Gus Grissom et John Young se préparent pour le tout premier vol habité de Gemini. En effet, il y a eu un débat à la NASA sur les objectifs de ce vol : nombreux sont ceux qui supportent l'idée d'une « grande première » avec Gemini III. Et dans l'absolu… Ce serait tout à fait possible. Eh oui, le design de la capsule est validé, ce qui signifie qu'il y a tout à fait de quoi garder les scaphandres fermés, dépressuriser l'intérieur, ouvrir une ou les deux écoutilles des occupants et réaliser une IVA : même sans « sortir » ou se laisser flotter à plusieurs mètres, le poids des images historiques serait phénoménal…

Mais depuis plusieurs mois, la NASA a déjà d'autres plans pour ce premier vol habité, qui doit simplement qualifier la capsule et ses capacités à changer son orbite. Pas question de rester plusieurs jours là-haut, ni d'ouvrir les portes, ni de cabrioles à l'extérieur. Les astronautes qui s'y préparent sont les suivants, ceux de Gemini IV, avec un matériel particulier. Mais ça, tout le monde ne l'a pas cru. En particulier les Soviétiques : depuis qu'ils connaissent les capacités des capsules Gemini, ils préparent leur propre mission avec Voskhod pour une première sortie dans l'espace.

Décollage pour Gemini II, pour le dernier vol non habité du programme. © NASA

Pas de sortie spatiale pour Gemini III

Et comme le programme américain ne se cache pas, Voskhod-2 aura lieu quelques jours à peine avant la première mission habitée Gemini. Une fois de plus, c'est un cosmonaute soviétique (Alexei Leonov) qui fait la Une le 18 mars… Il ne s'écoulera pas une semaine de plus avant le décollage de Grissom et Young à bord de Gemini III le 23 mars ! Cette dernière est sur une orbite volontairement très basse, pour que la capsule puisse revenir dans l'atmosphère d'elle-même en cas de problème de propulsion.

Au cours de leurs 3 orbites et moins de 5h de vol, les deux astronautes vont tester les réglages d'attitude (l'orientation), les communications avec le sol, donner leur ressenti sur le décollage, et le plus important, tester les propulseurs principaux pour les changements d'orbite. Tout se passe remarquablement bien à bord, et John Young peut sortir de la poche de sa combinaison le désormais célèbre sandwich de « corned beef » qu'il avait embarqué sans le dire à personne. Anecdote cocasse pour laquelle l'astronaute se fit tout de même taper sur les doigts : s'agissant d'un vol d'essai, il aurait été mal vu que cela crée un court-circuit ou une panne à cause d'une miette mal placée…

L'une des rares photos de la Terre prises lors de la mission Gemini III. Peu seront exploitables, l'appareil est mal réglé et les clichés sont relativement flous. © NASA

Gemini : les affaires reprennent !

Malgré un amerrissage un peu court (85 km du point prévu à cause de l'aérodynamique mal calculée lors du passage en haute atmosphère), Gemini III est un succès. La NASA observe et apprend, il y a quelques modifications qui seront apportées dès le vol suivant. Et aux États-Unis, le vol réussi fera tout de même la Une, même si les Soviétiques les ont une fois de plus dépassés juste avant la ligne d'arrivée. Pour ce qui est des vols habités, c'est même l'une des dernières fois : en 20 mois seulement, l'agence américaine fera voler 7 missions Gemini supplémentaires, et montrera enfin tous ses progrès techniques pour préparer Apollo. Cela méritait bien des débuts à tâtons…