Peut-on envoyer une sonde rattraper l'astéroïde interstellaire 'Oumuamua, qui a fait un petit tour dans notre coin du Système solaire en 2017 ? Selon plusieurs équipes, la réponse est positive… Mais si une ou plusieurs agences acceptent le défi, il faudra être particulièrement créatifs sur les trajectoires. Et patient.
Lorsqu'il est détecté à l'automne 2017, cet astéroïde a directement généré l'intérêt de toute une génération d'astrophysiciens. 'Oumuamua (ou 1I/2017) est en effet le premier à être avec certitude catalogué comme un objet interstellaire, il s'est formé autour d'une autre étoile. Les observations ont été multiples, mais à cause de la distance comme du fait qu'il a été remarqué relativement tard, nos connaissances sur cet objet sont limitées. On sait qu'il mesure environ 250 mètres de long et quelques dizaines de mètres de large, ce à quoi il faut ajouter ou retirer des marges d'erreur.
On en sait peu sur 'Oumuamua
Sa composition est inconnue et les télescopes n'ont pas observé de nuage de gaz environnant, ce qui exclut à priori le fait qu'il soit un type de comète. Pourtant, il a semblé (un peu) accélérer, que ce soit à cause du vent solaire ou d'un dégazage non détecté… Une sorte d'iceberg en azote gelé ? Un rocher riche en hydrogène ? L'autre option, qui a fait beaucoup rêver les amateurs de science-fiction, est celle d'une propulsion. L'astronome, autrefois réputé, Avi Loeb, a même perdu tout crédit scientifique auprès de ses pairs en exposant ses idées (sans preuve) d'une visite extraterrestre dans un livre et de nombreuses apparitions télévisuelles.
Néanmoins depuis qu'on a compris la nature de 'Oumuamua, une autre question demeure : est-ce qu'on ne pourrait pas envoyer une sonde l'examiner de plus près ?
Comment rattraper un astéroïde (loin) ?
Contre toute attente, il semble que la réponse soit… Oui ! Mais évidemment, il faut quand même s'arranger avec la physique pour disposer d'un petit véhicule capable d'accélérer et de rattraper l'astéroïde interstellaire. Un petit groupe de chercheurs de l'I4IS (Institute for Interstellar Studies) continue de proposer différentes variantes autour d'un projet que l'on appelle Lyra. Attention, il ne s'agit pas d'un package « clé en main » qu'une agence comme la NASA ou l'ESA pourraient accepter avec un budget, mais plutôt de pistes de réflexion pour construire une mission spatiale dédiée.
Le scénario au centre de l'étude vise un décollage en 2028. Mais après ? Eh bien, cela dépend de l'option de trajectoire et de technologie choisie. Lyra propose par exemple des variantes avec une voile solaire, d'autres avec propulsion conventionnelle. Mais dans tous les cas, il faut une trajectoire qui utilise au maximum les assistances gravitationnelles des planètes de notre Système solaire : 'Oumuamua est déjà loin, il faut énormément de vitesse pour espérer le rattraper dans une fenêtre temporelle raisonnable, c'est-à-dire en moins de 40 ans…
Un peu de billard
Les deux trajectoires privilégiées sont appelées JOM et SOM (Jupiter Oberth Maneuver et Solar Oberth Maneuver), et elles sont toutes les deux relativement extrêmes… Même si elles consistent toutes les deux en des mouvements de fronde successifs pour perdre puis gagner de la vitesse grâce à un « billard cosmique » avec les planètes du Système solaire.
La JOM permet une arrivée soit en 2050, soit en 2054, avec 5 survols et l'utilisation d'un imposant moteur à propulsion solide (au moins s'agit-il d'un modèle qui existe réellement), et ce parcours qui utilise l'assistance gravitationnelle de la Terre, de Venus et de Jupiter donnerait la meilleure fenêtre d'observation possible sur 'Oumuamua. Gare tout de même, il ne faudra pas se rater d'un cheveu sur les survols, qui comprennent tout de même une approche à 200 km de la surface de Vénus et même un passage à 200 km d'altitude au-dessus de Jupiter : il faudra un compartiment électronique blindé !
La SOM est, de son côté, l'option de trajectoire la plus exotique qui ait été proposée, digne d'un scénario « à la Kerbal Space Program ». Sa modélisation a d'ailleurs généré en ce début décembre plusieurs débats sur X.com (Twitter) pour savoir si oui ou non un tel scénario était du domaine du possible.
Il s'agit en effet, après un décollage sur un lanceur de forte puissance, d'utiliser un seul survol de la Terre pour un effet de fronde vers Jupiter. Jusque-là, tout va bien. Mais ensuite, la SOM utilise Jupiter pour un freinage massif, coupant quasiment toute vitesse interplanétaire. Ce qui a pour effet de faire « tomber » littéralement la sonde vers le Soleil. Et là, elle va accélérer ! L'effet de fronde, maximal avec une manœuvre au périhélie assurerait un tel gain de vitesse qu'avec une manœuvre à 10 fois le rayon solaire (7 millions de km) en 2037, la sonde aurait rattrapé puis dépassé 'Oumuamua 20 ans plus tard en 2057 !
SOM ou JOM, n'oublions pas que ceci tient plus de l'exercice de pensée que de la véritable préparation d'une mission. La sonde solaire Parker (NASA) qui « plonge » régulièrement vers le Soleil a dû s'équiper d'un bouclier particulier, et elle est bâtie toute entière pour se réfugier derrière avec ses instruments. Alors, 'Oumuamua en vaut-il la chandelle ? Ou bien faudrait-il plutôt attendre le prochain astéroïde interstellaire ?
Source : phys.org, étude sur la JOM