EDF va construire une centrale hydroélectrique en plein milieu de la mégapole saoudienne Neom. Ce qui sonne comme une bonne blague ne l'est pas, le projet « Nestor » est bien une réalité.
Quel projet plus mégalomane que celui de Neom, ville futuriste aux accents dystopiques en train d'émerger du désert près de la frontière avec la Jordanie et l'Égypte ? Cette idée, annoncée en 2017 par le prince héritier d'Arabie Saoudite Mohammed bin Salman a déjà de quoi donner des cheveux blancs aux écologistes. Eh bien pour que ces derniers finissent définitivement chauves, il ne manquait plus que l'annonce de la signature d'un contrat entre EDF et l'Arabie Saoudite pour la construction d'une centrale hydroélectrique au cœur de Neom. C'est chose faite, souhaitez la bienvenue au projet « Nestor » !
Nestor, le projet de trop de la part d'EDF ?
L'information vient d'être révélée par la cellule d'investigation de Radio France. Si le projet fait la fierté des dirigeants, côté salarié, ce n'est pas le même son de cloche. Pour rappel, Neom est un projet visant à créer une mégalopole de 26 000 km2, soit environ la taille de la Belgique ou du Belize. L'Arabie Saoudite veut faire en sorte que ce lieu soit un véritable hub dédié à l'innovation, au tourisme et au travail.
Un projet à 500 milliards de dollars, que ses promoteurs aiment décrire comme « futuriste » ou « ambitieux ». Selon d'autres points de vue (plus rationnels), c'est une véritable catastrophe écologique. Le projet Neom regroupera en son sein plusieurs sous-ensembles : un port flottant, une île touristique, un complexe industriel et la fameuse ville The Line.
C'est donc bien au cœur de ce projet démesuré qu'EDF va construire sa future centrale hydroélectrique qui servira à alimenter The Line. En réalité, c'est une station de transfert d'électricité par pompage-turbinage (STEP). EDF explique : « The Line est censée fonctionner uniquement avec des énergies renouvelables, le vent et le soleil, raconte un bon connaisseur du projet au sein d'EDF. Or l'éolien et le photovoltaïque sont des énergies intermittentes. Pour qu'il y ait de l'électricité, même quand il fait nuit ou qu'il n'y a pas de vent, ils ont besoin de notre STEP ». Une technologie propre qui intéresse les Saoudiens puisque The Line est censée être un projet de ville durable et respectueuse de l'environnement.
Voilà déjà plusieurs années qu'EDF est sur le coup. En 2021, l'entreprise avait déterminé le site précis qui pourrait accueillir la centrale. Les deux années suivantes ont été celles des études de faisabilité. Une sombre affaire d'assassinat commandité d'un journaliste opposant au régime (Jamal Khashoggi) en 2018 avait pourtant lourdement terni l'image de l'Arabie Saoudite à l'international. Mohammed bin Salman (accusé de cet assassinat par le renseignement américain) lui-même avait déclaré : « personne n'investira dans Neom pendant des années ». C'était sans compter EDF, qui, malgré cette sombre affaire, a proposé dès 2019 au pays d'examiner les sites propices à l'implantation d'une centrale hydroélectrique.
Divergences internes et questions éthiques
Il va sans dire que le projet Nestor suscite quelques tensions au sein d'EDF. Un malaise, même, que les salariés ressentent face à l'engagement de leur entreprise dans un projet qualifié d'écocide. Jean-Yves Ségura, représentant syndical, a été interrogé par Radio France. Celui-ci a expliqué avoir contacté la direction d'EDF en mai 2022 à propos de ce projet ; une alerte qui a été « classée sans suite ».
Selon un sondage mené par le syndicat FO auprès de 860 salariés au mois de novembre 2022, « 73% d'entre eux souhaitent qu'EDF quitte le projet. 17 % considèrent qu'EDF doit continuer ». Pour beaucoup, ce projet est complètement déconnecté de la réalité et des besoins de la population saoudienne et va à l'encontre des valeurs de l'entreprise. Face à la grogne, la direction semble toutefois inébranlable dans son engagement. Un ingénieur d'EDF Hydro s'est confié sur l'ambiance qui règne à bord à propos du projet Nestor : « Notre direction nous a fait comprendre que si on voulait avancer professionnellement et financièrement dans l'entreprise, il valait mieux qu'on accepte de travailler sur Neom ». Le message est on ne peut plus clair.
Le contrat finalisant administrativement le projet Nestor a été signé au début de l'année 2024 et la mise en route de la centrale est prévue pour 2029. Il arrive parfois que les ambitions technologiques dépassent les considérations éthiques ; EDF et sa future aventure saoudienne illustre parfaitement ce constat.
Source : France TV