L'humanité a tissé avec les métaux lourds une relation ambivalente. Du plomb des canalisations romaines à leur surutilisation pendant l'ère industrielle, en passant par l'omniprésence du cuivre dans nos appareils électroniques ; ces éléments ont grandement contribué au développement de nos sociétés contemporaines. À un certain prix.

 Les métaux lourds ont tendance à s'accumuler dans les organismes vivants et à se concentrer dans la chaîne alimentaire. © Aha-Soft / Shutterstock
Les métaux lourds ont tendance à s'accumuler dans les organismes vivants et à se concentrer dans la chaîne alimentaire. © Aha-Soft / Shutterstock

L'ASEF (Association Santé France Environnement) définit les métaux lourds de cette manière sur son site : « Les métaux lourds sont généralement définis comme des éléments métalliques naturels dont la masse volumique est supérieure à 5 000 kg/m3 ». Une définition en apparence simple, mais qui ne fait pas l'unanimité dans la communauté scientifique.

« Je préfère parler d'éléments », explique le Professeur Manish Arora, vice-président de médecine environnementale à l'École de Médecine Mount Sinai de New York. Si on rapproche fait souvent le lien entre métaux lourds et toxicité, cette distinction sémantique reflète une réalité plus complexe : la toxicité d'un élément ne dépend pas de sa masse, mais d'interactions multiples avec notre physiologie.

Des éléments aux deux visages

Certains métaux comme le fer, le cuivre et le zinc sont indispensables au fonctionnement de notre organisme. Ceux-ci participent au transport de l'oxygène, à la synthèse des protéines et aux réactions enzymatiques. Leur accumulation excessive peut néanmoins entraîner des dysfonctionnements graves : troubles rénaux, dommages au foie, problèmes digestifs ou maladies cardiovasculaires.

D'autres éléments, tels que le plomb, l'arsenic, le cadmium (largement utilisé dans les appareils électroniques comme les ordinateurs portables des années 1990-2000) et le mercure, n'ont aucune fonction biologique bénéfique. Kelly Bakulski, professeure associée d'épidémiologie à l'Université du Michigan, répertorie leurs effets délétères : l'arsenic provoque des cancers de la vessie et des poumons, le mercure altère les fonctions cognitives, le plomb perturbe le développement neurologique.

L'Organisation mondiale de la Santé a documenté que l'arsenic induit également des lésions cutanées et accroît les risques cardiovasculaires. Les enfants exposés pendant la grossesse ou la petite enfance peuvent ainsi conserver des déficits intellectuels et comportementaux permanents.

 Certains métaux lourds peuvent endommager le système nerveux central, entraînant des troubles cognitifs, des troubles de l'apprentissage et même des maladies neurodégénératives. © Jarun Ontakrai / Shutterstock
Certains métaux lourds peuvent endommager le système nerveux central, entraînant des troubles cognitifs, des troubles de l'apprentissage et même des maladies neurodégénératives. © Jarun Ontakrai / Shutterstock

Une piste inattendue : le lien avec l'autisme

Les recherches des dernières années établissent des corrélations entre l'exposition aux métaux lourds et les troubles du spectre autistique. Une étude publiée en juillet 2023 dans la revue Environmental Health par l'équipe de Kelly Bakulski a démontré qu'une exposition au cadmium durant les deux premiers trimestres de grossesse augmente le risque pour l'enfant de développer une forme d'autisme.

Les travaux du Professeur Arora sur des jumeaux et des fratries ont prouvé que les personnes atteintes d'autisme présentent en plus une particularité dans leur métabolisme des métaux. Ceux-ci sont plus vulnérables à l'absorption d'éléments toxiques pendant les phases critiques du développement enfantin.

Cette découverte a malheureusement conduit à des interprétations erronées. La thérapie par chélation, qui vise à éliminer les métaux lourds de l'organisme, a été proposée comme traitement de l'autisme sans aucun fondement scientifique. La chélation est un processus chimique qui utilise des molécules appelées agents chélateurs pour capturer et éliminer certains ions métalliques de l'organisme. Ces agents se lient aux métaux lourds comme le plomb, le mercure ou le cadmium, formant des complexes qui peuvent ensuite être supposément excrétés par les reins ou les intestins.

Stephen James, chercheur au Southwest Autism Research and Resource Center de Phoenix, souligne qu'aucune étude randomisée n'a prouvé son efficacité. Cette pratique s'est même révélée mortelle : en 2005, un enfant autiste de cinq ans est décédé d'un arrêt cardiaque suite à une hypocalcémie (concentration anormalement basse de calcium dans le sang) provoquée par la chélation.

Une contamination environnementale généralisée

L'industrialisation a disséminé depuis des dizaines d'années les métaux lourds dans notre environnement quotidien au même titre que les polluants éternels (PFAS). Les anciennes peintures au plomb libèrent des poussières toxiques dans les habitations vieillissantes et certaines céramiques ou faïences anciennes peuvent contenir des émaux à base de plomb. Cet élément peut ensuite migrer dans les aliments si les objets sont utilisés pour la cuisson ou la conservation des aliments.

L'alimentation aussi constitue une autre source d'exposition : le riz concentre l'arsenic, les poissons, surtout les plus grandes espèces, accumulent le mercure. Les sols cultivés à proximité de sites industriels ou de mines peuvent être contaminés par des métaux lourds, qui peuvent ensuite être absorbés par les plantes et se retrouver dans notre assiette. « On baigne constamment dans un cocktail d'expositions. Impossible d'y échapper : on respire, avale ou absorbe toutes sortes de substances toxiques, que ce soit par l'air, l'eau, la nourriture, la fumée, ou même un produit de soin douteux » insiste le Professeur Arora

Les métaux lourds présentent ainsi des dangers plus nuancés que leur simple toxicité directe. Leur impact sur notre santé dépend de multiples facteurs : forme chimique, voie d'exposition, interactions avec d'autres substances et moment de l'exposition dans notre développement. Les recherches sur leur rôle dans l'autisme illustrent parfaitement cette complexité : ce n'est pas leur présence qui pose problème, mais plutôt leur interaction avec notre métabolisme à des moments précis du développement.