Google, Linux, Microsoft, Opera, Meta… Voilà que les grands noms de la tech jouent les Avengers avec un super projet censé servir les intérêts du web. Vraiment ?

Google, Linux, Microsoft, Opera et Meta s’unissent autour de Chromium : alliance historique ou calcul stratégique ? © Tada Images / Shutterstock
Google, Linux, Microsoft, Opera et Meta s’unissent autour de Chromium : alliance historique ou calcul stratégique ? © Tada Images / Shutterstock

À défaut de lever le pied sur son monopole critiqué, Google vient d’officialiser la création d’un super-groupe de travail inédit. Baptisé « Supporters of Chromium-Based Browsers » et cautionné par la Fondation Linux, ce projet vise à offrir à Chromium un cadre neutre et un financement durable pour garantir son développement, ses innovations et sa pérennité. Parmi les premiers participants confirmés figurent Meta, Opera et Microsoft. Une alliance qui promet, sur le papier, un web plus collaboratif, mais qui soulève déjà des questions sur l’équilibre réel des forces en présence.

Une collaboration prometteuse pour l’open source

C’est dans des communiqués officiels respectifs que la Fondation Linux et Google ont annoncé la création des Supporters of Chromium-Based Browsers. Soutenue par Microsoft, Meta et Opera, l'initiative vise à garantir un financement durable et un cadre neutre pour soutenir les projets open source liés à Chromium, tout en stimulant l’innovation dans le secteur de la navigation.

« Nous franchissons une nouvelle étape dans l’autonomisation de la communauté open source », a déclaré Jim Zemlin, directeur exécutif de la Fondation Linux, en insistant sur la nécessité de lever les freins à l’innovation et d'assurer les ressources nécessaires pour que Chromium continue de prospérer.

Dans le détail, les participants s’engagent à apporter des contributions techniques et à travailler collectivement à l’amélioration de la plateforme. Parisa Tabriz, vice-présidente de Chrome, décrit cette initiative comme « une opportunité importante de créer une plateforme durable pour soutenir les leaders de l'industrie, les universitaires, les développeurs et la communauté open source dans l’innovation continue de l’écosystème Chromium ». Microsoft, pour sa part, souligne également l’importance d’une collaboration au service d’un web ouvert et performant.

L’ambition affichée est claire : mutualiser les efforts pour réduire la fragmentation des projets open source gravitant autour de Chromium, tout en préservant leur indépendance. Côté internautes, les promesses sont tout aussi séduisantes : des navigateurs plus efficaces, des fonctionnalités enrichies et une meilleure expérience web. Bref, un modèle selon lequel tout le monde semble sortir gagnant. Enfin, en théorie.

Une super alliance Google-Opera-Microsoft : voilà qui devrait contrarier les plans de Safari et Firefox © Primakov / Shutterstock
Une super alliance Google-Opera-Microsoft : voilà qui devrait contrarier les plans de Safari et Firefox © Primakov / Shutterstock

Le paradoxe Chromium : ouverture ou centralisation déguisée ?

Si cet élan collaboratif marque un tournant évident pour l’open source, il ne résout pas les tensions sous-jacentes à Chromium. À commencer, bien sûr, par le monopole de Google.

Depuis 2008, le géant de Mountain View s’est imposé comme le principal architecte de Chromium. En 2024, il a signé 94 % des contributions, soit plus de 100 000 commits en une seule année. Une présence massive qu’il revendique volontiers, tout en saluant les efforts croissants des nouveaux participants pour investir « dans la santé de l’écosystème Chromium ».

Mais au-delà des chiffres et des contributions, la question est moins celle du partage que celle de l’équilibre. Même sous gouvernance neutre promise par la Fondation Linux, difficile de faire abstraction de l’influence technique et stratégique de Google. Sa position centrale dans le projet lui permet de modeler les priorités et orientations de Chromium. Et en concentrant leurs efforts autour de cette base commune, les navigateurs alternatifs ne font qu’accentuer leur dépendance à l’égard du principal intéressé. En clair, ce cadre collaboratif, aussi prometteur soit-il, risque d’accroître l’influence de Google sur l’avenir technologique du web, même si l’entreprise s’en défend.

Total des contributions au projet Chroimum depuis 2015. Sans surprise, Google participe à hauteur de plus de 90% depuis 10 ans © Google

Ce qui nous amène à un second enjeu tout aussi problématique : celui de la diversité technologique du web. En s’imposant comme base unique officielle, Chromium homogénéise progressivement le paysage des moteurs de rendu. Par effet de ricochet, cette standardisation, bien qu’efficace sur le plan technique, pourrait contribuer à réduire les marges de manœuvre de moteurs alternatifs comme Gecko (Firefox) ou WebKit (Safari), pourtant essentiels à la préservation d’approches diverses dans le développement web.

En bref, le vrai danger réside dans la centralisation de l’écosystème technologique autour d’un seul modèle, au détriment d’une concurrence saine et d’innovations issues de visions réellement indépendantes. À terme, c’est tout l’équilibre du web qui pourrait s’en trouver fragilisé, alors que sa richesse repose justement sur sa diversité.

On rappellera enfin que Google ne fait jamais rien de désintéressé, et que la création des Supporters of Chromium-Based Browsers ne doit très certainement rien au hasard. Alors que le Département de la Justice américain milite pour une séparation de Chrome en vue de casser les pratiques anticoncurrentielles de Mountain View, cette initiative tombe à pic et offre à Google un argument de poids : loin de la machine infernale qu’on l’accuse d’être, l’entreprise serait en réalité soucieuse du bien commun. Une manœuvre habile pour tenter d’apaiser les régulateurs tout en maintenant, sinon en renforçant, son emprise sur le web. Sacrée Google.

À découvrir
Navigateur Web : le Top 7 en 2025

30 décembre 2024 à 09h34

Comparatifs services