On penserait presque que le marché des navigateurs est plié. Google Chrome est en pôle position depuis des années et semble simplement écraser ses concurrents. Et pourtant, chez nous, quelques mouvements rebelles apparaissent ici et là.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. D'après StatCounter, en France, le mois dernier, Google Chrome affichait une part de marché de 63.32% devant Safari (16.77%) et Firefox (7.25%). Au niveau européen, la part de marché de Chrome serait de 61.68% et de 65.34% à l'échelle mondiale.
Des navigateurs sécurisés, des navigateurs dopés à l'IA, des navigateurs écologiques, des navigateurs pour le gaming, on ne compte plus les tentatives des acteurs du marché pour proposer une offre différente de celle de Google. Pourtant, si la majeure partie d'entre elles s'articule autour de Chromium, bien souvent celles-ci méritent bien le détour.
Chromium est-il trop puissant ?
À l'heure où Chromium domine le marché des navigateurs, on pourrait logiquement penser qu'il servira de base pour les innovations technologiques futures. Pourtant, avec son moteur Gecko, Mozilla résiste. La fondation a toujours misé sur la diversité et n'en démord pas. Interrogé par nos soins, Sylvestre Ledru, directeur de Mozilla France, affirme :
"Nous croyons que la diversité des moteurs offre un choix aux utilisateurs et renforce la qualité du web. Mozilla reste un leader en donnant la priorité à la vie privée et à la sécurité des utilisateurs. Ainsi, avoir Gecko nous a permis de montrer la voie avec des technologies comme WebAssembly, la protection contre le pistage, DNS-over-HTTPS, et des fonctionnalités de sécurité comme RLBox. Le processus de développement multipartite du Web est loin d'être parfait, mais il sert néanmoins de rempart puissant contre un agenda d'entreprise imposant de mauvaises idées au Web."
Chez Opera, qui a troqué son moteur Presto pour celui de Chromium en 2013, les décisions prises sur les standard du web restent bel et bien neutres. Jan Standal, vice-président au sein de l'entreprise norvégienne, indique ainsi :
"Chromium, malgré son influence, ne fixe pas ces normes à lui tout seul. Puisqu'il s'agit d'un projet open source, les contributions à Chromium proviennent de divers acteurs, y compris Google, mais aussi d'autres grands et petits acteurs du monde de la technologie. Google a une présence significative au sein du W3C, mais d'autres grandes entités y sont également présentes. Nous jouons tous un rôle dans la définition de ces normes afin de garantir que le web reste ouvert, accessible et sécurisé pour tout le monde".
Aux côtés de Mozilla, l'autre outsider, c'est Apple. La multinationale a choisi de conserver le moteur Webkit sur Safari. Sur mobile et tablette, le navigateur affiche une part de marché globale de 23.88%. Mais sur bureau, seulement à 8,8% (7% en France). Et Apple le sait, on l'a bien senti lors de la dernière WWDC. Beth Dakin, responsable de l'ingénierie de Safari chez Apple affirmait en présentant la version macOS du navigateur : "Si vous êtes passé à côté des dernières nouveautés implémentées au sein de Safari ces dernières années, c'est le moment d'y jeter un oeil". Comme si la firme de Cupertino savait que personne ne s'y intéresse vraiment. Et pourtant les innovations sont tout aussi alléchantes et étonnamment très similaires à celles proposées par un certain Arc Browser développé par The Browser Company.
Le W3C promet de conserver sa neutralité
Face à nos interrogations sur le fonctionnement de la mise en place des standards du Web et de leurs évolutions, Amy van der Hiel, porte-parole du W3C, affirme que l'organisme ne prend aucune position pour ou contre Chromium ou tout autre moteur de navigateur.
Google, Mozilla et Apple sont tous représentés dans nos organes de gouvernance, tout comme d'autres entreprises et organisations Membres (…) Les individus au sein du Conseil Consultatif participent en tant que contributeurs individuels et non en tant que représentants de leurs organisations. Les participants du Conseil Consultatif utilisent leur meilleur jugement pour trouver les meilleures solutions pour le Web, et non pour un réseau, une technologie, un fournisseur ou un utilisateur en particulier.
Le retour du ballot screen
Dans le cadre du DMA (Digital MarKeting Act), Alphabet, la maison mère de Google est identifiée comme un gatekeeper, c'est-à-dire une société dont la capitalisation boursière dépasse les 75 milliards d'euros ou générant plus de 7,5 milliards d'euros de revenus en Europe. Les gatekeepers doivent alors scrupuleusement respecter le règlement de la DMA établi pour favoriser la concurrence. En d'autres termes, c'est une loi anti-trust qui ne prend pas (uniquement) en compte la part de marché. Bon, dans le cadre de Google, c'est plutôt facile…Dans le cadre d'Apple, c'est plus une question de pognon
Le DMA a contraint les gatekeepers à présenter à leurs utilisateurs un écran les invitant à choisir un navigateur alternatif sur Android et iOS. L'idée d'un ballot screen n'est pas nouvelle. On en avait entendu parler sur Windows lorsque Opera Software et la fondation Mozilla pointaient les stratégies de Microsoft visant à imposer son navigateur Internet Explorer. Hasard du calendrier, l’obligation pour Google de présenter un ballot screen arrive tout juste 10 ans après que Microsoft s’en est débarrassé.
La réglementation européenne oblige par ailleurs Google et Apple à ouvrir leurs interfaces de programmation et leurs frameworks auprès de ces éditeurs tiers. Ce qui signifie qu'un utilisateur ayant par exemple choisi le navigateur Brave par défaut sur iOS aura la même expérience qu'avec Safari.
Un second souffle ?
Suite à l'application du DMA le 6 mars dernier, les choses commencent à évoluer, quelque 400 millions d'utilisateurs ont soudainement l'opportunité d'installer un nouveau navigateur en un clic.
Selon The Next Web, Chez Opera Software, on a constaté une croissance de 63% des utilisateurs. La part de ces derniers ayant configuré Opera en tant que navigateur par défaut sur iOS a quant à elle augmenté de 39%.
Au mois de mars, le navigateur Aloha, fondé en 2016, spécialisé dans le respect de la vie privé et reposant sur un modèle de souscription, a enregistré une croissance de 250%. Selon Reuters, Ecosia, DuckduckGo, ou encore Vivaldi ont annoncé avoir observé les premiers effets de ce fameux écran.
Même constat chez Brave qui, d'après Bleeping Computer, a connu sa plus forte hausse d'utilisateurs actifs en mai dernier, atteignant les 78,95 millions d'internautes mensuels, soit une augmentation de 7,3% par rapport à avril. Là encore, le DMA aurait eu un effet direct sur la configuration par défaut du navigateur sur iOS, dont le nombre d'installations – jusqu'ici relativement stable – a bondi de 37% après le 6 mars.
Alors, solution miracle au monopole des géants du web, le DMA ? Eh bien, pas totalement si l’on se penche sur la répartition des parts de marché dans le monde depuis le début de l’année 2024. Un peu plus de trois mois après le déploiement du ballot screen, Chrome caracole toujours en tête des navigateurs sur mobile avec plus de 65,94% de pdm contre… 64,75% en janvier dernier. Si l’on compare les résultats entre fin février (65,92%) et fin mars (65,29%), on note en effet une très légère baisse, mais rien qui ne puisse réellement mettre à l’épreuve l’hégémonie Google. La dynamique repart même à la hausse pour le mois d’avril et se confirme en mai. Et si l’on zoome à l’échelle nationale, l’évolution suit exactement la même courbe, aussi bien en France qu’en Allemagne. La tendance générale en Europe ne fait même pas état de cette minuscule décroissance temporaire. C’est dire.
Côté Apple, les parts de marché pour Safari mobile sont aussi très stables dans le monde, fluctuant entre 23,5% et 25 %. En Europe, l’évolution est un peu plus marquée, alors que le navigateur enregistre une baisse continue depuis le début de l’année. De 29,34% de pdm sur iOS fin janvier, il détenait "seulement" 27,53% de pdm à la fin du mois de mai.
Et les autres navigateurs dans tout ça ? Rien à signaler. La courbe est aussi plate qu’un marais vendéen.
Beaucoup de bruit pour pas grand-chose
Comment expliquer une telle dissonance entre ce que rapporte la concurrence et ce que démontrent les statistiques d’utilisation ? Premièrement, tout dépend du nombre précis d’internautes ralliés à la cause d’un navigateur. Prendre 250% de croissance en Europe sur la base de 10 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices actifs par mois dans le monde, c’est toujours très impressionnant dans l’absolu, mais beaucoup moins extraordinaire une fois contextualisé. Chez Aloha comme chez Opera, on s’est d’ailleurs bien gardé de donner le nombre exact de fidèles européens, avant et après l’entrée en vigueur du DMA. Une manière d’enjoliver l’état réel des choses, à n'en pas douter.
On peut ensuite s’interroger sur la réelle efficacité d’un ballot screen, c’est-à-dire d’une fenêtre contextuelle supplémentaire, à l’heure où nous sommes tous et toutes assaillis par les encadrés RGPD plus ou moins réglos.
Qui, aujourd’hui, est encore en mesure d’accepter ou de refuser la collecte des cookies quand de plus en plus de pop-ups nécessitent de configurer manuellement des dizaines de cas d’usage et des centaines de fournisseurs ? Et que dire de certaines pratiques encore plus abusives, ne laissant d’autres choix que de donner ses informations personnelles ou de payer pour accéder au contenu d’une page web ? Plus grand monde, hélas. Le consentement n’est plus éclairé, mais arraché. Résultat des courses : la majorité des internautes clique sur le bouton le plus pratique, mais pas le plus vertueux.
C’est un peu ce qui se joue à l’échelle du ballot screen, et ce sur quoi comptent Google et Apple. À force d’être inondés de fenêtres annexes entravant la navigation, utilisateurs et utilisatrices n’y prêtent plus attention. De ce point de vue, il manque au DMA un paramètre qui aurait pu renforcer son efficacité, ou, au contraire, démontrer ses limites et pousser les autorités à envisager des solutions de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles plus efficaces : la possibilité d’exiger un retour chiffré sur les performances d’un tel écran de choix.
Mais là où le problème semble insoluble, c’est quand on embrasse une vision générale de l’évolution d’Internet sur 20 ans. Deux décennies, c’est le temps dont a bénéficié Google pour s’imposer partout dans la sphère web, du navigateur au moteur de recherche, en passant par tout un écosystème d’applications le rendant indispensable à la majorité des internautes, particuliers et professionnels. Dans une moindre mesure, Apple a aussi bénéficié d’un boulevard pendant plus de 15 ans. Demander au grand public de choisir entre deux entités omniprésentes et des alternatives parfois peu connues, sans l’éduquer ni lui donner les clés de compréhension de ce qui se joue, c’est comme organiser des élections présentant deux candidats surexposés médiatiquement durant des années aux côtés d’adversaires qu’on découvre le jour du scrutin. Et sur ce point, pas sûr que le DMA et son ballot screen soient finalement d'une grande aide.
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