Google rétropédale sur la mort des cookies tiers : longue vie aux annonceurs ! © slyellow / Shutterstock
Google rétropédale sur la mort des cookies tiers : longue vie aux annonceurs ! © slyellow / Shutterstock

Après quatre ans de tergiversations et moult péripéties, Google ne supprimera pas les cookies tiers dans Chrome. Un brusque rétropédalage finalement pas si surprenant.

La nouvelle est tombée cette nuit : en dépit de nombreuses années à chercher une alternative aux cookies tiers (les FLoC ont longtemps fait la une avant d'être remplacés par Topics dans la Privacy Sandbox), Google capitule et confirme qu'elle ne supprimera pas les cookies tiers dans Chrome. De là à dire que l'entreprise cède aux doléances des annonceurs et jette définitivement l'éponge, il n'y a qu'un pas.

Mais penser que le géant du Web renoncerait aussi facilement à consolider une base de données privées lucrative reviendrait à se mettre le doigt dans l'œil. Eh oui, si Google abandonne un tel projet, c'est sûrement qu'elle a un plan.

Quatre ans pour rien ?

C'est dans un post de blog que la firme de Mountain View a officialisé son annonce. À la lumière d'une nouvelle approche, l'entreprise a décidé de ne pas supprimer les cookies tiers dans son navigateur. À la place, elle envisage une « nouvelle expérience dans Chrome » pour offrir aux internautes un moyen de faire un choix éclairé concernant la manière dont sont collectées leurs données de navigation, choix qu'ils pourront modifier à n'importe quel moment.

Cette décision intervient quatre ans après le déploiement de la Privacy Sandbox, initiative développée par Google pour remplacer les fameux cookies tiers. Toujours dans son post, la firme explique avoir reçu de nombreux feed-back de l'ensemble des acteurs du Web, internautes, annonceurs, développeurs, éditeurs. L'autorité de la concurrence et des marchés britannique (CMA) ainsi que l'Information Commissioner's Office (ICO) ont également participé aux consultations.

En bref, Google semble avoir travaillé d'arrache-pied et en concertation pour trouver une alternative plus respectueuse de la confidentialité, et voilà que tout est fini. Enfin, presque. Car si la firme renonce à mettre un terme aux cookies tiers, elle compte bien continuer à travailler sur sa Privacy Sandbox. Et si rien de concret n'a été communiqué au sujet de cette fameuse « nouvelle expérience dans Chrome », quelques indices d'hier et d'aujourd'hui laissent penser que l'entreprise n'abandonnera pas aussi facilement une manne aussi rémunératrice que celle des données privées des internautes.

Google promet une nouvelle expérience de navigation dans Chrome... Mais rien qui ne soit de bon augure pour les données privées © Tada Images / Shutterstock
Google promet une nouvelle expérience de navigation dans Chrome... Mais rien qui ne soit de bon augure pour les données privées © Tada Images / Shutterstock

Langue de bois et privacy-washing

Un paragraphe, d'abord, révèle clairement les intentions de Google concernant l'avenir de sa Privacy Sandbox. « À mesure que cette situation évolue, il reste important pour les développeurs de disposer d'alternatives préservant la confidentialité. Nous continuerons de mettre à disposition les API Privacy Sandbox et à investir dans celles-ci […] », peut-on lire dans l'annonce officielle.

La Privacy Sandbox, Google aurait en effet tort de s'en priver. Introduite en 2019, elle devait permettre aux internautes de bloquer les cookies tiers, et donc de mieux protéger leurs informations personnelles vis-à-vis des annonceurs. La firme de Mountain View manie d'ailleurs la langue de bois à la perfection. Dès 2023, une pop-up fait irruption sur Chrome, expliquant aux internautes que la Privacy Sandbox renforce leur confidentialité en empêchant les sites web de recourir à des pratiques abusives (les cookies tiers) pour collecter leurs données à des fins de suivi et de publicités ciblées. En cliquant sur le bouton pour fermer cette fenêtre à vocation purement informative, la Privacy Sandbox est activée par défaut, arrachant un consentement non éclairé à l'internaute.

En grattant un peu le vernis, il faut se rendre à l'évidence. Comme souvent lorsqu'il est question de gros sous, tout n'est que privacy-washing. Les données privées ne bénéficient pas réellement d'une meilleure confidentialité, elles changent simplement de gestionnaire. Alors qu'avec les cookies tiers, les annonceurs récupèrent directement les informations dont ils ont besoin pour personnaliser leurs campagnes publicitaires, la Privacy Sandbox replace Google au centre de l'équation. Les données sont collectées par Chrome, qui se charge ensuite de les transmettre aux entreprises de l'Ad Tech.

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L'enjeu est double pour Google. D'une part, l'entreprise peut monétiser davantage de données auprès des annonceurs. D'autre part, elle renforce son contrôle et assoit son plein monopole dans la gestion et le traitement des données privées. Pour une entreprise qui tire près de 80 % de ses revenus de la publicité, s'accapare toutes les technologies du Web et n'hésite pas se servir de sa prédominance pour pousser ses services auprès des internautes, au mépris des diverses lois réglementant la concurrence, la Privacy Sandbox s'impose comme un coup de maître, plus lucratif qu'il ne coûte en développement, maintenance, scandales et contraventions.

Google et annonceurs : 1 ; vie privée : moins que zéro

Discutable d'un point de vue éthique, la Privacy Box l'est tout autant en matière technique, puisqu'elle a également échoué à répondre sans failles à ses propres objectifs de confidentialité. Plus tôt cette année, une ébauche de rapport rédigée par la CMA et l'ICO, les mêmes autorités avec lesquelles Google explique simplement avoir tenu des concertations, a fuité dans le Wall Street Journal.

Les premières observations sont accablantes. On y apprend que la Privacy Sandbox offrait une surface d'attaque critique permettant à des tiers d'identifier les internautes, pourtant rendus anonymes grâce à la confidentialité différentielle promise par la techno de Google, et de les suivre en tant que visiteurs uniques sur les sites web qu'ils visitaient. Pire encore, sur les 12 vulnérabilités mises à jour par les chercheurs de l'ICO et de la CMA, Google n'en a corrigé qu'une seule et a continué ses activités comme si de rien n'était.

Google n'a corrigé qu'une seule des 12 failles de sécurité relevées dans sa Privacy Sandbox © Alexandre Boero / Clubic

Mais voilà, aujourd'hui, Google change de cap et agite le drapeau du renouveau. Faisons table rase du passé, n'est-ce pas, et jetons-nous dans cette « nouvelle expérience » aussi vague que creuse. Car, concrètement, que laisse transparaître le renoncement à la fin des cookies tiers dans Chrome ? Pas que du bon, hélas. Le géant du Web a certes fait part de sa volonté de laisser un choix libre et éclairé à l'internaute pour l'avenir de son navigateur, mais on pourrait sans peine imaginer qu'il s'agisse encore une fois d'un subterfuge pour promouvoir automatiquement sa Privacy Sandbox comme seule alternative fiable auprès des utilisateurs et utilisatrices de Chrome.

Entre la peste (cookie tiers et identification des internautes par les sites web et annonceurs) et le choléra (anonymisation des données par les API de Google qui conserve un monopole sans partage sur les informations de ses utilisateurs et utilisatrices, et concentre de plus en plus données privées que l'entreprise est en mesure d'identifier et d'exploiter comme bon lui semble), le dilemme est cornélien.

Mais le bruit court aussi que Google pourrait bien finir par revendre sa Sandbox. Chez nos confrères et consœurs de Digiday, on estime que la rumeur n'est pas aussi improbable qu'elle le semble à première vue. La décision consistant à renoncer à la suppression des cookies tiers intervient conjointement à l'annonce publique des résultats trimestriels de test de la technologie. Et justement, ces résultats sont tout sauf mauvais, puisque les dépenses des annonceurs ont connu une reprise de plus de 85 % dans Google Display Ads et Display & Video 360, le ROI plafonne à plus de 95 %, et les performances du remarketing atteignent les 50 %.

Quelle que soit la suite donnée pour la Privacy Sandbox, les éditeurs et annonceurs peuvent enfin souffler. Les internautes, toujours moins.

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