L'industrie japonaise du divertissement pour adultes vit un moment charnière. FANZA, acteur majeur du secteur, vient de lancer une offensive juridique contre MissAV, une plateforme qui cumule plus de 300 millions de visites mensuelles. Mais comme souvent lorsqu'il s'agit de censurer du contenu numérique, le processus est plus complexe qu'en apparence.
Dans l'Hexagone, MissAv est clairement une plateforme pornographique de niche et reste bien loin derrière les mastodontes que sont Pornhub, Xhamster, Xvideos ou Xnxx. Le quatuor de tête de 2023 selon Statista. Si ceux-ci, depuis quelques jours, sont soumis aux nouvelles règles d'accès dictées par l'ARCOM, au pays du Soleil Levant, c'est une autre bataille qui a lieu.
Le marché japonais du divertissement pour adultes présente une particularité notable : les contenus y sont soumis à une réglementation stricte imposant la censure des visages des actrices/acteurs. Face à cette contrainte, un écosystème parallèle s'est développé, incarné notamment par MissAV. Cette plateforme s'est forgé une place prépondérante en proposant des contenus non censurés, devenant ainsi l'un des 15 sites les plus consultés au Japon et se hissant parmi les 60 domaines les plus fréquentés au monde. Toutefois, son trône s'est vu vaciller quelques heures durant.
Un modèle économique menacé par le piratage en ligne
FANZA, filiale du groupe technologique DMM et autre acteur majeur du contenu pour adultes en ligne au Japon, opère selon un modèle strictement encadré. L'entreprise limite volontairement l'accès à ses services depuis l'étranger et respecte les normes de censure locales.
À l'opposé, MissAV, s'est construit une audience internationale en diffusant sans autorisation des vidéos adultes japonaises (JAV) non censurées, sapant directement le modèle économique des producteurs légitimes.
Elle a fréquemment été associée au piratage de contenu protégé par des droits d'auteur, ce qui a attiré l'attention des autorités, d'autres acteurs du secteur et des organisations de protection des droits de propriété intellectuelle.
C'est justement FANZA qui a engagé une procédure judiciaire à l'encontre de la plateforme avec pour objectif de mettre un terme aux activités de MissAV qui, selon l'entreprise, menace la pérennité du secteur. En effet, les revenus générés par les plateformes légales financent la production de nouveaux contenus, un argument que FANZA met particulièrement en avant auprès du public japonais. En d'autres termes, moins d'argent sera investi dans la production de nouveaux films ou photos, ce qui pourrait à terme entraîner une diminution de la qualité et de la quantité de contenu disponible.
Le jeu du chat et de la souris
La confrontation s'est accélérée lorsque FANZA est parvenue à obtenir le contrôle des domaines MissAV.com et ThisAV.com (autre site pour adultes très populaire, administré par les mêmes personnes ou organisations). Les visiteurs se sont alors retrouvés face à un message d'avertissement en plusieurs langues, rappelant le caractère illégal de la diffusion non autorisée. « Le domaine que vous avez consulté était un site qui gérait des vidéos téléchargées illégalement. Par conséquent, ce domaine a été confisqué par le biais de procédures légales. Nous tenons à vous rappeler qu'enfreindre les droits d'auteur et télécharger des vidéos sans autorisation constitue un crime. Utiliser de tels sites encourage le délit de téléchargement illégal ».
Pour le public japonais, un message spécifique les redirigeait vers la plateforme officielle de FANZA (voir ci-dessous).
Cependant, les administrateurs de MissAV ont rapidement démontré qu'ils n'allaient pas se laisser faire. En quelques heures, ils ont organisé une migration entière de leur infrastructure ; un processus qui s'est déroulé en trois temps. D'abord, l'abandon des serveurs de noms Cloudflare, probablement visés par l'injonction juridique, puis le basculement vers les serveurs de leur registrar Namecheap (entreprise qui vend et gère des noms de domaine internet), et enfin la redirection du trafic vers un nouveau domaine, MissAV.ws.
En conservant le contrôle effectif de leurs noms de domaine, les opérateurs de MissAV ont donc pu déjouer la stratégie de FANZA. L'hypothèse privilégiée suggère ainsi que l'injonction ne visait que les services de Cloudflare, laissant une marge de manœuvre aux administrateurs du site.
Il est possible, mais non confirmé, que Cloudflare ait été contraint d'intervenir contre MissAV à la suite d'une procédure légale. Si c'était vrai, les responsables de MissAV pourraient toujours garder la main sur leur domaine et le rediriger en contournant les serveurs compromis.
Dans tous les cas, MissAv reste, au moment de la rédaction de cet article, bel et bien accessible. En revanche, nul doute que celui-ci restera un moment dans le collimateur de FANZA et des ayants droit. Dans ce genre d'affaire, il ne faut pas oublier que pour ces derniers, ces actions sont aussi des tests grandeur nature pour perfectionner leurs stratégies juridiques et techniques. Réussir à neutraliser une plateforme de l’envergure de MissAV pourrait leur donner un gros avantage dans de futures batailles contre le piratage. Une facette non négligeable en plus de l'argument financier.
Source : TorrentFreak