Voilà des propos qui ne manqueront pas de soulever quelques controverses ; Surtout en ce moment, où la création musicale par l'intelligence artificielle menace les fondements mêmes de la créativité humaine et de l'expression artistique.
C'est dans un entretien accordé au podcast 20VC, que Mikey Shulman, fondateur et PDG de Suno AI, a dévoilé sa vision pour le moins inhabituelle et, selon le point de vue, un peu crispante, de la création musicale. Pour rappel, Suno AI est une entreprise spécialisée dans la génération musicale par intelligence artificielle qui a développé un outil assez impressionnant baptisé Suno. D'abord disponible sur Discord en septembre 2023, un site fut rapidement créé, puis l'été dernier, une application dédiée.
Il est de bon ton de rappeler également que Suno AI fait partie des deux entreprises avec Udo à avoir été poursuivie en justice par Sony, Warner et Universal pour violation massive de droits d'auteurs au mois de juin dernier.
L'apprentissage musical : un obstacle ou une richesse ?
Le dirigeant de Suno AI défend une approche radicalement différente de la création musicale. « Si vous voulez impacter la façon dont un milliard de personnes vivent la musique, vous devez construire quelque chose pour un milliard de personnes », affirme Shulman. Selon lui, la création musicale doit être mise dans les mains de tout le monde.
Il considère que les contraintes actuelles – temps d'apprentissage, maîtrise instrumentale, complexité des logiciels – constituent des freins plutôt que des étapes enrichissantes du processus créatif. Il va même plus loin en arguant : « Je pense que la majorité des personnes n'apprécient pas la majeure partie du temps qu'il passent à créer de la musique ».
Shulman est-il musicien lui-même pour alléguer de tels propos ? Difficile à dire, son parcours professionnel n'étant pas spécialement relié à ce domaine. Après avoir réussi son doctorat en physique en 2015 à Harvard, il s'est dirigé vers la data-science et le machine-learning pour Kensho Technologies et a fondé Suno en 2022. Au vu de ses affirmations, on pourrait intuitivement en déduire que Shulman n'a peut-être jamais touché une guitare ou un piano de sa vie. Ou alors, s'il l'a fait, il n'a pas réussi à passer le cap de la gamme majeure. Mais ce n'est que pure spéculation.
La technologie face à l'essence de l'art
Face à ces propos, l'interviewer Harry Stebbings établit un parallèle très juste avec une autre pratique : « C'est comme la course. Il est difficile de courir, c'est douloureux. Ce n'est pas particulièrement agréable, mais on finit par aimer cela, on s'améliore, on progresse, et quand on parle avec des coureurs, ils adorent ». Un constat que l'on pourrait calquer d'ailleurs avec n'importe quel autre loisir, sport ou savoir faire.
Shulman lui répond alors : « Mais la plupart des gens abandonnent cette activité parce qu'elle est difficile, et donc je pense que les personnes que vous connaissez qui pratiquent la course représente une portion biaisée de la population ». Un discours qui sous-tend une affirmation qui peut apparaître comme méprisante, voire insultante pour les musiciens : la difficulté et le dépassement de soi ne constituent donc pas, selon lui, des éléments fondamentaux de l'épanouissement artistique. Une vision technocentriste et quelque peu réductrice de l'art.
C'est en réalité toute l'approche de Suno AI qui transpire à travers la vision de son dirigeant : pour démocratiser la création artistique, l'accessibilité immédiate doit l'emporter sur l'apprentissage. Si pour le moment, les morceaux générés par IA sonnent toujours un peu faux, il arrivera bien un jour où ceux-ci seront bien plus convaincants. Se poseront alors ces questions : comment garantir que ce type de musique conserve une dimension artistique ? Que signifiera être musicien, une fois ces outils suffisamment maturés ?
Source : 404 Media