La proposition de loi Narcotrafic pourrait obliger les messageries comme Signal, Olvid et WhatsApp à créer des failles de sécurité pour les autorités. De quoi provoquer la colère d'associations comme La Quadrature du Net.

Les associations de défense de la vie privée des consommateurs se lèvent contre la proposition de loi dite "Narcotrafic" © Microsoft Designer, pour Clubic
Les associations de défense de la vie privée des consommateurs se lèvent contre la proposition de loi dite "Narcotrafic" © Microsoft Designer, pour Clubic

Sous couvert de lutte contre le trafic de stupéfiants, la proposition de loi d'Étienne Blanc et Jérôme Durain, déjà adoptée à l'unanimité au Sénat, sera débattue au mois de mars à l'Assemblée nationale. Baptisé « loi Narcotrafic », le texte va bien au-delà de son objectif affiché et inquiète les défenseurs des libertés numériques. La Quadrature du Net sonne aujourd'hui l'alarme, en lançant une campagne de mobilisation contre ce qu'elle qualifie d'une des lois « les plus dangereuses pour les libertés publiques proposées ces dernières années ».

Le chiffrement des messages privés menacé par la loi Narcotrafic

La proposition de loi en question prévoit d'obliger les services de messagerie chiffrée comme Signal, WhatsApp ou le Français Olvid à introduire des accès dérobés (ou « backdoors ») pour les autorités. Ces portes d'entrée secrètes compromettraient fondamentalement le principe même du chiffrement de bout en bout, qui garantit que seuls l'expéditeur et le destinataire peuvent lire les messages échangés.

Le chiffrement de bout en bout fonctionne comme un coffre-fort numérique dont seuls vous et votre correspondant possédez les clés. Créer une « porte dérobée » pour les autorités revient à installer une faille volontaire dans ce système de protection.

Or, comme le soulignent l'ANSSI, l'agence française de la cybersécurité, et le Comité européen de protection des données, toute faille peut être exploitée non seulement par les autorités, mais aussi par des acteurs malveillants.

Cette mesure pourrait donc contraindre les services comme Signal à quitter le territoire français ou à tout le moins à diminuer leur niveau de sécurité pour tous leurs utilisateurs, comme Apple a dû le faire récemment au Royaume-Uni. Cela affaiblirait considérablement la protection de la vie privée de millions de Français qui utilisent ces applications quotidiennement pour des communications parfaitement légitimes.

La proposition de loi qui sera débattue à l'Assemblée nationale remet en cause le principe même du chiffrement des conversations © ArtemisDiana / Shutterstock
La proposition de loi qui sera débattue à l'Assemblée nationale remet en cause le principe même du chiffrement des conversations © ArtemisDiana / Shutterstock

Comment les militants pourraient être ciblés par les nouvelles mesures de surveillance

Au-delà des messageries, la loi autoriserait également les forces de l'ordre à activer à distance les micros et caméras de vos appareils connectés. Cette technique d'espionnage, qui repose sur l'exploitation de failles de sécurité, transformerait de fait votre téléphone, ordinateur ou tout autre appareil connecté en potentiel mouchard.

Cette mesure, largement retravaillée par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, constituerait alors une nouvelle escalade dans la surveillance numérique. Elle poursuit la légalisation des logiciels espions (comme ceux de NSO-Pegasus ou Paragon) en utilisant les failles des appareils connectés, alors que son application soulève de graves questions sur le respect de la vie privée.

Mais on a oublié le détail le plus inquiétant : ces dispositifs s'inscriraient dans le cadre juridique de la « criminalité organisée ». Il s'agit d'un régime bien plus large que le seul trafic de stupéfiants. L'historique récent montre que ces outils ont déjà été utilisés contre des mouvements sociaux. On peut citer par exemple les Gilets jaunes, les opposants au projet de Bure, les militants aidant les personnes exilées à Briançon, ou encore les actions contre le cimentier Lafarge à Bouc-Bel-Air et à Évreux.

Des techniques de surveillance secrètes qui échappent au contrôle judiciaire

La loi introduit également un mécanisme appelé « dossier-coffre » (ou « procès-verbal distinct »), qui séparerait du dossier pénal les procès-verbaux liés aux techniques de surveillance. Ces PV ne seraient accessibles qu'aux enquêteurs sous contrôle du procureur ou du juge d'instruction. Et cela empêcherait les avocats et les personnes concernées d'en prendre connaissance, portant ainsi atteinte au droit de se défendre.

Revenons sur l'une des dispositions controversées de ce texte : l'extension des « boîtes noires ». Non, on ne parle pas des enregistreurs de vol embarqués dans les avions, mais bien ces algorithmes d'analyse massive des données qui scrutent toutes nos communications sur internet.

Créés en 2015 pour lutter contre le terrorisme, ces dispositifs de surveillance restent entourés d'un secret total. Depuis leur mise en place, aucune information concrète n'a été communiquée sur leur fonctionnement réel ou leur efficacité supposée, malgré leur caractère hautement intrusif.

Alors avant la discussion en séance publique prévue le 17 mars prochain au Palais Bourbon, l'unanimité du vote au Sénat – y compris à gauche – surprend et inquiète. La Quadrature du Net appelle les citoyens à contacter leurs députés avant le débat parlementaire pour les alerter sur les dangers de cette proposition de loi qui, sous prétexte de combattre le narcotrafic, menace malgré tout de faire basculer la France dans l'ère de la surveillance numérique généralisée. Un mal pour un bien ? Chacun se fera son avis.