L'astronomie moderne nous offre parfois des surprises d'une magnitude extraordinaire. Tapi au cœur d'une galaxie rouge lumineuse, un colossal monstre gravitationnel sommeille depuis des éons.

Les observations récentes dirigées par Carlos Melo-Carneiro de l'Institut de Physique de l'Université Fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil ont mis au jour un trou noir vraiment pas comme les autres. Sa masse est estimée à…. 36 milliards de fois celle de notre Soleil. Presque de quoi faire passer le célèbre trou noir M87* pour un poids plume ; un véritable titan parmi ses semblables.
Un monstre bien caché
Si les trous noirs stellaires – résultant de l'effondrement gravitationnel d'étoiles particulièrement massives en fin de vie – sont relativement communs dans l'écosystème galactique, les trous noirs supermassifs (TNSM) constituent le centre névralgique de pratiquement toutes les galaxies d'envergure. Le cas qui nous intéresse transcende cependant ces catégories conventionnelles par son extraordinaire masse.
En l'absence de définition universellement acceptée, les spécialistes désignent généralement comme « ultra-massifs » les trous noirs excédant cinq milliards de masses solaires. Avec ses 36 milliards de masses solaires, l'entité trônant au centre de LRG 3-757 s'impose donc comme l'un des objets les plus massifs jamais identifiés dans l'histoire de l'observation astronomique. On peut très bien s'en apercevoir sur l'animation produite par la NASA (vidéo en tête d'article).
L'identification de ce colosse gravitationnel doit son succès à un phénomène relativiste prédit par Einstein dès 1936 : l'effet de lentille gravitationnelle. Le Cosmic Horseshoe (Fer à cheval cosmique en français), découvert en 2007, est un exemple parfait de ce phénomène astrophysique. La galaxie LRG 3-757, située en position d'avant-plan, courbe si intensément l'espace-temps environnant que la lumière émise par une galaxie d'arrière-plan subit une amplification et une distorsion considérables, engendrant ainsi un anneau presque parfait observable depuis nos instruments terrestres.
La galaxie LRG 3-757 est, en elle-même, déjà asse remarquable. Appartenant à la catégorie rare des galaxies rouges lumineuses (Luminous Red Galaxies, LRG), elle émet une luminosité infrarouge extraordinaire et sa masse est cent fois supérieure à celle de notre Voie lactée.

Un trou noir qui défie les lois cosmiques
« Les trous noirs supermassifs se trouvent au centre de chaque galaxie massive, leurs masses étant étroitement liées à celles de leurs galaxies hôtes à travers une co-évolution sur le temps cosmique », expliquent les chercheurs dans leur publication. Cette corrélation, formalisée sous l'appellation de relation MBH-sigmae, établit un rapport mathématique entre la masse du trou noir central et la dispersion des vitesses stellaires dans la région centrale d'une galaxie – cette dernière constituant une mesure de la vitesse moyenne des étoiles et de sa variabilité autour de cette moyenne.
L'observation systématique des galaxies a prouvé que plus un trou noir est massif, plus la dispersion des vitesses stellaires dans sa galaxie hôte est élevée. Cette corrélation est constante et montre qu'il existe bien une interconnexion entre l'évolution des galaxies et la croissance de leurs trous noirs centraux.
Cependant, ce gigantesque trou noir se distingue précisément par sa déviation de cette relation fondamentale. Selon les données collectées par l'équipe de Carlos Melo-Carneiro, cet objet se situe approximativement 1,5 sigma au-dessus de la relation MBH-sigmae standard. Cette anomalie n'est pas sans précédent – elle confirme une tendance émergente observée dans les galaxies les plus massives de l'univers, suggérant l'existence d'une relation MBH-sigmae potentiellement non-linéaire aux masses les plus élevées.
D'où vient de trou noir ? Plusieurs hypothèses ont été envisagées : la première hypothèse situe LRG 3-757 au sein d'un « groupe fossile » – configuration représentant un stade tardif d'évolution galactique où l'activité de formation stellaire a pratiquement cessé, d'où la qualification de galaxies « rouges et mortes ». Ces structures, vestiges de fusions galactiques précoces, pourraient suivre des trajectoires évolutives distinctes par rapport aux galaxies locales, expliquant potentiellement la masse extraordinaire de ce trou noir.
Une seconde explication invoque le phénomène de « scouring ». Lors de la fusion de deux galaxies extraordinairement massives, la formation d'un système binaire de trous noirs supermassifs peut entraîner l'expulsion dynamique d'étoiles des régions centrales de la galaxie fusionnée. Ce mécanisme réduirait effectivement la dispersion des vitesses stellaires sans modifier substantiellement la masse du trou noir résultant, engendrant ainsi la déviation observée.
Une troisième hypothèse voudrait que ces objets ultra-massifs pourraient constituer les reliques de quasars extrêmement lumineux ayant connu des épisodes d'accrétion particulièrement rapides et intenses dans l'univers primordial. Lorsque celui-ci n'avait seulement qu'une fraction de son âge actuel.
Quoi qu'il en soit, il est possible que d'autres corps célestes gigantesques de ce type nous attendent encore. Le téléscope Euclid devrait découvrir des centaines de milliers de nouvelles lentilles gravitationnelles au cours des cinq prochaines années, aidé par l'Extremely Large Telescope, qui lui, nous permettra d'étudier de manière plus détaillée de la dispersion des vitesses stellaires.
Source : Universe Today