La justice européenne a tranché : refuser l'interopérabilité d'une application avec Android Auto peut constituer un abus de position dominante, un précédent qui risque de bouleverser l'écosystème des plateformes numériques.
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Invitée à statuer sur l'affaire opposant Google, pour Android Auto, à Exel X Italia au sujet de l'application JuicePass, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a livré sa décision. Dans un arrêt rendu le 25 février 2025, elle a confirmé qu'une entreprise en position dominante ne peut refuser l'interopérabilité sans justification valable, même lorsque sa plateforme n'est pas indispensable à l'application tierce.
Après avoir été condamnée par l'autorité de la concurrence italienne à régler une amende de 102 millions d'euros en 2021, Google a pris connaissance de la décision, qui pourrait bien redéfinir les obligations des géants technologiques envers les développeurs tiers.
Android Auto et JuicePass, un cas d'école pour l'écosystème automobile connecté
L'affaire a débuté lorsqu'Enel X Italia, le géant italien de l'énergie, a développé JuicePass. Il s'agit d'une application qui permet aux conducteurs de véhicules électriques de localiser et réserver des bornes de recharge. Enel, qui voulait améliorer l'expérience utilisateur, a alors demandé à Google de rendre JuicePass compatible avec Android Auto. La firme de Mountain View avait rejeté cette requête.
Quel était l'argumentaire de Google ? L'entreprise américaine expliquait que seules les applications multimédias et de messagerie pouvaient être intégrées à Android Auto. Elle avait ajouté qu'elle n'avait pas encore développé de modèle spécifique pour les applications de recharge. L'entreprise a également invoqué des préoccupations de sécurité, et la nécessité d'allouer rationnellement ses ressources de développement.
La CJUE a considéré que ce refus constituait un abus de position dominante. La juridiction estime qu'Android Auto a été créé pour permettre aux développeurs tiers d'enrichir son écosystème. Le simple fait que la plateforme rende l'application « plus attractive pour les consommateurs » suffit à qualifier l'abus, même si JuicePass pouvait techniquement fonctionner sans Android Auto.
La fin des jardins fermés : l'Europe impose l'ouverture des plateformes numériques
L'interopérabilité est devenue un facteur crucial de compétitivité dans l'économie numérique. Les géants comme Google, Apple ou Microsoft ont historiquement maintenu un contrôle strict sur leurs écosystèmes, en définissant unilatéralement quelles applications pouvaient s'intégrer à leurs plateformes et dans quelles conditions.
Cette décision de la CJUE nous montre l'inverse, en établissant que l'ouverture ne peut plus être sélective ou arbitraire, même pour des fonctionnalités non essentielles. La Cour reconnaît ainsi l'importance fondamentale de l'accès aux plateformes dominantes pour les entreprises tierces, et qu'elles sont la clé d'entrée sur des marchés entiers pour les développeurs indépendants.
Au-delà d'Android Auto, une jurisprudence qui redessine l'ensemble du paysage numérique
La décision du juge européen établit un précédent qui dépasse largement le cadre d'Android Auto. Désormais, les entreprises en position dominante devront justifier tout refus d'interopérabilité par des raisons techniques légitimes ou des problèmes de sécurité avérés. À défaut, elles devront impérativement développer les solutions nécessaires dans un délai raisonnable.
La Cour précise que ces entreprises peuvent exiger une « contrepartie financière appropriée » pour ces développements, pour assurer une sorte d'équilibre entre l'ouverture des plateformes et la protection des investissements des entreprises dominantes, en tenant compte du coût réel et du droit légitime d'en tirer un bénéfice.
Ironie de l'histoire, Google a finalement implémenté la fonctionnalité demandée pour JuicePass, tout en soulignant qu'elle ne concernait que 0,04% des voitures italiennes lors de la demande initiale. Malgré cette résolution, cette décision pourrait transformer de nombreux écosystèmes numériques fermés, des assistants vocaux aux consoles de jeux, offrant aux consommateurs davantage d'applications sur leurs interfaces préférées et aux développeurs de nouveaux canaux de distribution. Ce qui va, il faut le dire, dans le bon sens.