À la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, Myawaddy est devenue l'épicentre d'un vaste réseau de cybercriminalité où des milliers de personnes sont séquestrées pour arnaquer des victimes à travers le monde.

Myawaddy, une ville inconnue des Français, s'est imposée ces dernières années comme la plaque tournante mondiale des arnaques en ligne. Le documentariste chinois Wu Dong, qui travaille sur place, raconte sur la plateforme Weixin ces immenses centres où des travailleurs forcés mènent des fraudes sophistiquées sous le contrôle de seigneurs de guerre locaux. Si elles ciblent principalement la Chine, elles visent aussi désormais l'Occident et l'Europe, comme le rapporte Courrier International.
Une affaire qui révèle l'ampleur du phénomène des arnaques depuis Myawaddy
L'acteur chinois Wang Xing est devenu le visage médiatique de cet immense trafic. Comment ? En ayant été piégé au début de l'année par une fausse offre de tournage en Thaïlande. Attiré par la promesse d'un rôle, il s'est retrouvé kidnappé et transporté clandestinement à Myawaddy, où il a été forcé de travailler dans un centre de cyberfraude avec d'autres victimes de diverses nationalités.
Sa libération rapide, survenue le 7 janvier dernier grâce à l'intervention de la police thaïlandaise alertée par sa compagne, reste exceptionnelle. Dès le lendemain, les familles de 174 autres ressortissants chinois kidnappés dans des circonstances similaires ont publié une pétition pour retrouver leurs proches disparus, puisque sans nouvelles jusqu'à présent.
Quand l'affaire a éclaté, le colonel Saw Chit Thu, commandant des gardes-frontières d'une milice locale, a déclaré, furieux, que les trafiquants d'êtres humains seraient fusillés s'ils étaient arrêtés. Et cela se ferait non pas par justice, mais par crainte de voir ce scandale perturber sa lucrative « machinerie », tous les centres étant contrôlés par des seigneurs de guerre locaux.
Des titulaires de master et doctorat sont désormais recrutés de force
La cyberfraude s'est considérablement professionnalisée sur place. Ces centres recrutent désormais des profils hautement qualifiés, notamment des titulaires de master et doctorat, pour concevoir des arnaques ciblant un public instruit et fortuné. Et vous imaginez bien que l'essor de l'intelligence artificielle a radicalement transformé le secteur.
Les traducteurs automatiques et les technologies d'échange de visage vidéo par IA permettent aujourd'hui des impostures quasi parfaites. Un parent peut recevoir un appel de quelqu'un s'exprimant avec exactement la même voix et les mêmes intonations que son enfant. Cette sophistication exige donc une main-d'œuvre de plus en plus qualifiée.
Imaginez qu'à ses plus belles heures, Myawaddy a compté plus de 70 grands complexes, qui ont employé parfois plusieurs milliers de personnes en même temps. Aujourd'hui, il n'en reste « qu'une » dizaine assez imposants. D'ailleurs, ils ont été construits le long de la rivière frontalière, à l'écart des zones d'habitation, pour les gérer en vase clos et faciliter une fuite éventuelle.
Derrière les écrans : l'humanité complexe des arnaqueurs
Dans son enquête, Wu Dong a progressivement gagné la confiance de ces cybercriminels pour révéler la complexité humaine de ce système. Loin de l'image monstrueuse qu'on leur attribue, les cybercriminels présentent des contradictions frappantes. L'un d'eux pratiquait l'escroquerie sentimentale le jour tout en échangeant des mots doux avec sa propre petite amie le soir par exemple.
Un autre cas marquant est celui d'un garçon de 16 ans originaire du Jiangxi, issu d'une famille défavorisée, d'abord recruté pour faire de la contrebande. Malgré son peu d'éducation, il passait ses soirées à apprendre les techniques de hameçonnage vocal. Son rêve est de vivre dans une grande famille chaleureuse, et de trouver un « grand frère » pour le guider.
Paradoxalement, beaucoup de ces arnaqueurs sont croyants. Ils vénèrent Bouddha et visitent régulièrement les temples. Ils font aussi des dons à leurs villages natals, tout en escroquant leurs victimes. Cette espèce de dualité interroge sur les racines de ce phénomène. Au menu, se mélangent les tristes ingrédients de pauvreté, de manque de perspectives et de normalisation de la fraude comme moyen de survie dans les communautés les plus vulnérables.
22 mars 2025 à 20h13