Trois internautes américains viennent d’être condamnés à verser jusqu’à 90 000 € chacun pour avoir partagé des vidéos pour adultes sur BitTorrent. Derrière ces jugements, une stratégie bien rodée devenue un business lucratif.

Un simple téléchargement peut coûter très cher  © Matthieu Legouge
Un simple téléchargement peut coûter très cher © Matthieu Legouge

Un simple téléchargement peut coûter très cher. Cette semaine, trois internautes américains ont été condamnés à verser jusqu’à 97 500 dollars (environ 90 000 euros) à Strike 3 Holdings, un mastodonte de la production de films X. Leur faute ? Avoir utilisé BitTorrent, et ainsi partagé des dizaines de vidéos pour adultes sans autorisation.

Si le piratage en peer-to-peer est en déclin, certaines entreprises continuent d’en faire un terrain de chasse très rentable.

Strike 3 Holdings : un mastodonte du porno… et de la chasse aux pirates

Depuis plusieurs années, Strike 3 Holdings mène une guerre sans relâche contre ceux qui profitent illégalement des contenus pour adultes produit par ses divers studios — Slayed, Blacked, Vixen, Tushy, etc. Cette société américaine est aujourd’hui le plaignant le plus actif dans les affaires de droits d’auteur aux États-Unis, avec plus de 15 000 plaintes déposées, dont 4 000 rien qu'en 2023, devant les tribunaux fédéraux.

La méthode est toujours la même : repérer des adresses IP ayant partagé leurs films via BitTorrent, obtenir des données sur ces pirates présumés auprès des fournisseurs d’accès, puis intenter des poursuites. Très peu de ces affaires vont jusqu’à un vrai procès. La majorité se termine par un règlement confidentiel, à l'amiable... ou un jugement par défaut, comme cette semaine en Géorgie.

Aux États-Unis, ce type de jugement intervient lorsque l’accusé ne répond tout simplement pas à la plainte dans les délais légaux. Dès lors, la partie plaignante peut demander au juge de statuer sans contradiction. Sans défense en face, les faits présentés sont rarement remis en question, et le tribunal accorde bien souvent les dommages demandés. Autrement dit, ignorer une assignation, même si l’on pense être innocent ou mal identifié, revient presque systématiquement à perdre. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans les trois cas récents, où les internautes n’ont pas daigné se présenter, laissant le champ libre à Strike 3.

Résultat : le juge a statué en l'absence de toute contestation, accordant à Strike 3 les dommages qu’il réclamait. Les montants restent "raisonnables" au regard de ce que la loi permet (jusqu’à 150 000 $ par œuvre piratée), mais les trois "pirates" devront tout de même respectivement régler 97 500 $, 86 250 $ et 26 250 $ selon le nombre de films partagés (respectivement 130, 115 et 35 "œuvres" partagées illégalement).

Quand le téléchargement illégal devient un business judiciaire

Si Strike 3 Holdings enchaîne les plaintes, ce n’est pas seulement pour défendre ses droits d’auteur. Le modèle économique semble clairement orienté vers le rendement judiciaire. Peu médiatisées, ces affaires permettent au studio d’engranger des sommes importantes grâce à la crainte de procès publics et aux montants astronomiques potentiellement en jeu.

En théorie, la loi américaine permet de réclamer jusqu’à 150 000 dollars par œuvre en cas de piratage volontaire. Des montants astronomiques, rarement appliqués dans les faits. De son côté Strike 3 se montre plus "raisonnable" — du moins en apparence. Le studio réclame systématiquement le minimum légal de 750 dollars par film, un choix qui n’a rien d’innocent. En demandant peu, mais sur de nombreux titres, l’entreprise s’assure de rester crédible aux yeux du juge, surtout lorsque l’affaire se joue sans contradicteur. Une stratégie redoutablement efficace, qui lui permet de multiplier les condamnations.

Enfin, pour beaucoup d’internautes, répondre à ce type d’assignation est difficile, coûteux et souvent intimidant. Le risque de se retrouver exposé publiquement dans une affaire liée à des contenus X pousse bon nombre de personnes à payer sans faire de vagues.

Reste une réalité : le piratage via BitTorrent est en déclin, largement remplacé par le streaming illégal. Pourtant, des entreprises comme Strike 3 continuent de capitaliser sur un système judiciaire qui leur est favorable, en ciblant un public peu préparé à se défendre. Et tant que ce modèle restera rentable, la moindre erreur de téléchargement pourrait coûter très, très cher.