Les start-up européennes de défense connaissent un afflux de talents tech, y compris d'anciens employés de géants américains. Un phénomène porté par le patriotisme et l'attrait des technologies de pointe.

- La hausse des tensions géopolitiques incitent les talents tech européens à préférer les start-ups de défense locale.
- Un fort patriotisme attire d'anciens employés de géants US vers des entreprises technologiques axées sur la sécurité.
- Les investissements en défense explosent, avec un engagement croissant vers la souveraineté technologique européenne.
Avec des tensions géopolitiques croissantes, la guerre en l'Ukraine, les ingérences cyber de la Russie et un certain rejet de Donald Trump, l'Europe veut renforcer son autonomie stratégique. Alors, les start-up de défense du Vieux continent font le plein de cerveaux. Des ingénieurs européens qui auraient jadis migré vers la Silicon Valley choisissent désormais de mettre leurs compétences au service de la sécurité de l'Europe. Plus étonnant encore, certains talents reviennent même des États-Unis, attirés par un secteur en pleine effervescence où l'innovation technologique répond à une mission qui transcende la simple quête de profit.
La défense européenne, le nouveau terrain de jeu des talents de l'IA
« Il y a des personnes vraiment axées sur la mission, et ce qu'elles veulent faire dans leur vie, c'est avoir un impact et pas seulement gagner un gros salaire », explique auprès de Reuters Loïc Mougeolle, PDG de Comand AI, une entreprise installée à Paris et spécialisée dans l'IA pour les champs de bataille. Cette start-up française a déjà recruté des ingénieurs et chefs de produit provenant d'OpenAI, l'illustre créateur de ChatGPT, et de Palantir, géant américain de l'analyse de données, et ce malgré des salaires européens nettement inférieurs.
Selon le rapport Zeki sur les talents de l'IA, le nombre d'ingénieurs d'élite dans le secteur de la défense européenne est passé de 144 en 2014 à 1 700 en 2024, un gap impressionnant. Les investissements suivent d'ailleurs la même courbe ascendante, puisque 626 millions de dollars ont été injectés dans les entreprises de défense européennes en 2024, contre seulement 62 millions en 2022, d'après les données de PitchBook. La guerre en Ukraine a agi comme un catalyseur.
Pour Julian Dierkes, un doctorant de 27 ans à l'Université RWTH d'Aix-la-Chapelle qui travaille sur l'apprentissage par renforcement pour des applications de défense, la motivation est assez limpide. « Pour moi, dit-il, il est important que mes recherches en défense protègent les démocraties européennes. » Cette conscience nouvelle trouve un écho chez Michael Rowley, étudiant britannique de seulement 20 ans, qui a récemment refusé des offres dans la comptabilité et l'IA traditionnelle pour développer des technologies de suivi des mouvements de troupes.
Les start-up françaises et européennes de nouveau attractives
Autre profil intéressant, celui de Marie Inuzuka, 34 ans, descendante de survivants du bombardement américain de Nagasaki en 1945. Après avoir travaillé pour OpenAI et Palantir, elle a rejoint Comand AI en décembre dernier comme chef de produit. « La défense a toujours été très proche de mon cœur », confie-t-elle. L'entreprise française a levé 10 millions de dollars en décembre, tandis que l'Allemande Alpine Eagle, spécialisée dans la neutralisation de drones autonomes, a obtenu 11,4 millions en mars.
« Beaucoup des meilleurs chercheurs en IA du monde viennent d'Europe. Certains sont partis aux États-Unis, mais nombreux sont ceux qui reviennent travailler sur la souveraineté européenne », observe Jeannette zu Fürstenberg, directrice chez le capital-risqueur américain General Catalyst à Berlin. Tout cela est favorisé par certaines initiatives, comme le European Defense Tech Hub, co-fondé par Benjamin Wolba, qui connecte fondateurs tech, investisseurs et décideurs politiques à travers des hackathons organisés dans plusieurs capitales européennes.
La réticence traditionnelle des jeunes diplômés à travailler dans le secteur de la défense s'estompe donc. « Les jeunes commencent à réaliser que la liberté n'est pas gratuite », souligne Stelios Koroneos, fondateur de variene.ai, une start-up grecque de défense.
Les plans de réarmement européens, avec une mobilisation prévue de 800 milliards d'euros par l'Union européenne, offrent des perspectives prometteuses. Le plus rassurant sans doute, c'est que même avec des salaires inférieurs aux géants américains, ces start-up attirent par leur proposition de valeur unique : donner du sens à l'expertise technologique.