Etienne Costes, Greenwich : “Le contenu devient un produit d’appel pour vendre l’accès”

Jérôme Bouteiller
Publié le 23 janvier 2008 à 12h07
Directeur associé chez Greenwich Consulting, société de conseil en télécoms, Etiennes COSTES revient sur la consolidation du paysage français des télécommunications, les nouvelles stratégies des opérateurs face à l'essor du mobile et du haut débit et sur l'épineuse question du financement de ces nouveaux réseaux...

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Etienne Coste
JB -Face à Orange, opérateur intégré, et au nouvel ensemble constitué par SFR et , pensez vous que le marché français accouchera d'un 3e voire d'un 4e pôle de consolidation ? Free et surtout Alice peuvent-ils rester indépendants ? Après leur MVNO, Bouygues Telecom et Numéricâble pourraient-ils renforcer leur partenariat ?

EC -10 mai 2007, l'opérateur Neuf Cegetel annonce avoir finalisé l'accord qui lui permet d'acquérir 100% de T-Online France, propriétaire de la marque Club Internet. 31 Août 2007, les fonds d'investissement Altice et Cinven, actionnaires de Numericable, annoncent qu'ils vont acheter l'opérateur B2B . 26 septembre 2007, Neuf Telecom annonce la revente du réseau de Club Internet à Bouygues Telecom. Décembre 2007, les rumeurs d'OPA de Neuf par SFR se confirment ... En 2007, la consolidation du marché télécom français attendue depuis quelques années s'est accélérée. Deux leçons sont à tirer de cette ébullition du marché :

Prime à la taille : la structure du marché français de l'Internet, caractérisée par des prix de l'accès particulièrement bas, donne une prime très forte à la taille pour financer les coûts d'acquisition, les innovations technologiques (notamment le triple play) et des réseaux (très haut débit) pouvant faire face à la demande exponentielle de bande passante de la part des clients. L'un des catalyseurs de ce « Meccano » des réseaux aura probablement été le positionnement des principaux ISP sur la fibre optique. Les petits ISP, ayant déjà fortement investi pour déployer des réseaux de dégroupage importants, ne se sont probablement pas vus capables de franchir la marche du très haut débit nécessitant à nouveau des centaines de millions d'euros d'investissements. Cette règle devrait s'appliquer à Alice dont la base de clients est certes importante mais ne permet pas de dégager le cash-flow suffisant pour continuer à investir dans le très haut débit.

La convergence des réseaux fixes-mobiles est une réalité stratégique avant de devenir une réalité pour l'utilisateur final : la première demande des clients en termes de convergence réside dans le besoin d'être traités de façon unique et de payer moins cher. Et pourtant, les opérateurs sont persuadés que l'expérience client de demain sera multi-usage (voix/data), multi-réseaux (fixe-mobile) et multi-device (téléphone fixe, mobile et PC). Et si les MVNOs ont pris une place significative dans le paysage mobile français, les opérateurs restent convaincus qu'il leur faut maîtriser leurs réseaux d'accès (fixe et mobile) pour contrôler les services qu'ils proposent à leurs clients. Deux réseaux intégrés sont en train de se mettre en place : Orange et Neuf-SFR. Bouygues Telecom, en faisant l'acquisition du réseau de Club Internet a passé un message fort sur sa volonté de se positionner comme un opérateur intégré. Ce mouvement pourra-t-il se faire sans un rapprochement, de quelque nature soit-il, avec un des deux ISP restant sur le marché (Numericable ou Free) ?

JB -Face aux trois réseaux 3G+ des opérateurs cellulaires, quelle sera la stratégie d'Iliad ? Un opérateur virtuel ? Un réseau alternatif s'appuyant sur le femto cell, le Wifi et le Wimax ?

EC -2006 avait fait naître de grandes espérances pour les réseaux alternatifs wireless Wimax et Wifi Mesh et les femto cells. A l'inverse, 2007 aura vu les premières crises des consortiums WiMax (notamment dissolution du Maxtel). Et même si certains constructeurs, Nortel par exemple, ont annoncé les premières expérimentations réussies de trafic voix en hand over, des doutes subsistent sur la capacité de cette technologie à concurrencer les réseaux cellulaires. Le marché attend encore qu'un opérateur lance sur le marché une offre commerciale concluante sur ces réseaux.

JB -Fixe ou mobile, le haut débit tient-il ses promesses en termes de revenus pour les opérateurs ? Les consommateurs dépensent-ils plus que prévu, notamment dans les services premium ?

EC -Si les réseaux fixes et mobiles se rapprochent, les stratégies marketing fixes et mobiles convergent également. Deux tendances se sont affirmées en 2007 :

Le contenu devient un produit d'appel pour vendre l'accès : VOD, TV sur mobile, forfaits de musique illimitée (fixe et mobile), bouquets de TV ... La stratégie issue de l'Internet est basée sur l'intégration de services pour lutter contre l'érosion des revenus de l'accès. La dernière étape consistera probablement à baser la grosse partie des revenus de l'opérateur sur la qualité de ces contenus en monétisant l'audience tant sur les réseaux fixes que mobiles. Le challenge des opérateurs est désormais de capter une partie de ces revenus face aux acteurs de l'Internet (Google, , ...) qui se lancent à l'assaut de la mobilité.

L'accès illimité devient la norme : l'ADSL a imposé l'illimité comme un standard de la consommation de services Télécoms. Accès Internet, VOIP, Musique illimitée, ... Cette particularité très française s'est étendue en 2007 aux réseaux mobiles. 2006 avait vu le développement des offres voix illimitées (notamment les offres illimitées tous réseaux de type Néo), la data mobile est à son tour devenue illimitée pour pousser l'adoption du haut débit mobile. Les offres Illimithycs de SFR et I-Phone d'Orange ont reçu un accueil extrêmement encourageant sur le marché. Les différentes pièces du puzzle du haut débit mobile se mettent en place : des réseaux à bande passante acceptable, des terminaux permettant des usages MMM proches du PC (exemple de l'I-Phone) et des tarifications débridant l'usage.

JB -Apple domine les services premium tandis que Google est incontournable dans la publicité interactive. Les opérateurs seront-ils partenaires ou concurrents directs des acteurs issus de l'internet ?

EC -Pour la première fois en 2007, un manufacturier de devices, Apple, a réussi à obtenir un partage de la valeur généré par l'usage des réseaux mobiles. Dans le même temps, Google est en train de s'imposer comme le moteur de recherche mobile de référence, avec une volonté forte de capter une partie significative des revenus d'audience mobile. Ces menaces sont sérieuses pour les opérateurs mais ils disposent de solides défenses pour y faire face :

La maitrise du réseau, des plates-formes de service et du device management impose aux constructeurs et aux éditeurs à travailler avec eux plutôt que contre eux. L'exemple d'Apple qui préfère ralentir le lancement de l'I-Phone pour le baser sur des partenariats avec des opérateurs en est un bon exemple. Le positionnement de Microsoft et de Google va également en ce sens.

La maîtrise du client final leur permet également de maîtriser les produits et services qui sont mis dans les foyers et les poches des clients. La maîtrise de la tarification leur permet également de rythmer la massification des nouveaux marchés.

On peut donc imaginer que nous nous orientons plutôt vers la constitution de clusters stratégiques entre les différents partenaires de la chaîne de valeur qui se feront et se déferont en fonction des stratégies de chacun.

JB -Etienne Coste, je vous remercie.
Jérôme Bouteiller
Par Jérôme Bouteiller

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