Qu'avez-vous mis en œuvre à l'international depuis votre levée de fonds en juillet ?
Nous avons ouvert un bureau et lancé notre activité en Turquie en septembre ce qui demande un certain investissement marketing afin de nous faire connaître. La difficulté est qu'il faut d'abord expliquer ce qu'est le covoiturage car il n'y a pas de nom pour cela dans ce pays. En amont, il nous a fallu créer des groupes de discussion avec les conducteurs afin de comprendre leur perception du covoiturage. Ce travail préparatoire nous a permis, lors du lancement officiel, d'adopter le bon message, selon le niveau de maturité du pays.
Y a-t-il différentes façons de lancer son activité dans un autre pays ?
Oui, nous voyons trois options pour ouvrir un pays. D'abord, ce que l'on préfère : l'« acqui hire ». C'est ce que nous avons fait en Italie, Pologne et Russie. L'idée est de recruter une personne très motivée pour porter le projet. Au-delà des compétences, elle doit avoir un esprit entrepreneurial et croire plus que tout en la société. Le covoiturage est un marché assez complexe et peu juteux donc il nous fallait ce genre de profil.
Autre scénario : le spin-off. C'est le cas où un membre de l'équipe ayant cumulé une certaine expérience prend en charge le développement de l'activité dans un pays - nous avons procédé ainsi pour l'Allemagne et le Royaume-Uni. La dernière possibilité est le recrutement à partir de zéro. C'est forcément le plus dur. Pour la Turquie, que nous commençons à développer, il nous a fallu six mois pour trouver la bonne équipe. Bien sûr, nous nous faisons accompagner par des cabinets de recrutement. Mais nous regardons aussi LinkedIn.
Pouvez-vous nous raconter votre première installation hors de France ?
C'était l'Espagne et c'était fou ! Pourquoi ce pays ? Nous avions observé beaucoup de trajets transfrontaliers, mais aussi à l'intérieur du pays alors que le site n'était même pas traduit en espagnol. On sentait un potentiel mais sans être sûrs de rien. Je rappelle que nous ne gagnions pas encore d'argent en France, que nous n'avions que 200 000 membres et que nous n'avions pas non plus levé de fonds... Mais Fred (Frédéric Mazzella, le fondateur et PDG) souhaitait qu'on ait un ADN international tout de suite pour adopter les bons réflexes.
C'est risqué mais c'est le jeu. Si nous attendons trop, nous courons le risque qu'un autre acteur prenne le marché et qu'il soit difficile de le concurrencer ensuite. L'importance de démarrer très tôt est de penser international dès le début, au niveau technique, au niveau marketing mais aussi au niveau des mentalités.
Nous avons recruté une connaissance de Frédéric qui vivait à Madrid depuis dix ans. Son atout est qu'il avait un côté français qui facilitait notre collaboration. Pour faire décoller le projet, il a dû multiplier les relais presse, s'inscrire dans des guides... Bref la croissance a été très lente. La bonne nouvelle est que maintenant, chaque nouveau pays décolle plus vite que le précédent. Nous savons ce qui fonctionne. Par exemple : réussir à équilibrer l'offre et la demande sans se concentrer exclusivement sur notre produit.
Votre prochain pays cible est l'Inde ! C'est un pari un peu fou, non ?
Mais nous sommes fous (rires) ! En fait, il y a un besoin réel. L'essence est très chère, les transports sont saturés, les infrastructures de communication sont insuffisantes et les gens sont clairement à la recherche de nouveaux moyens de transport. « Trouvez-moi une place, je veux faire ce trajet ! » Ils veulent optimiser l'existant et en ça, BlaBlaCar peut répondre à ce besoin. Les tests sont positifs, l'équipe est confiante.
Alors nous n'allons pas couvrir tout le pays. Notre cible est la classe moyenne, qui a les moyens d'avoir une auto. Nous pensons qu'il y aura certains trajets populaires mais le principe de BlaBlaCar, c'est que tous les trajets sont possibles. Nous laissons les gens faire, notre déploiement se fait par capillarité. C'est déjà ce que nous faisons en Russie. L'axe Moscou-Saint-Pétersbourg est par exemple prisé car il est très cher en train.
Mais pourquoi êtes-vous toujours absents des Etats-Unis ?
Il n'y a pas d'intérêt à y aller. D'autres pays sont plus prioritaires comme la Turquie, qui est le septième pays où le carburant y est le plus cher, rapporté aux revenus de la population. Aux Etats-Unis, l'essence est bon marché, les distances entre les principales villes d'intérêt sont très grandes alors les gens préfèrent prendre l'avion et enfin, une fois qu'un covoitureur dépose une personne dans une ville comme Los Angeles, il n'y a pas assez de ramifications au niveau des transports en commun pour l'emmener à son domicile. La société Zimride a tenté de faire du BlaBlaCar aux Etats-Unis. Le résultat : elle a pivoté vers les VTC et s'appelle désormais Lyft.
Quels sont les ingrédients du succès de BlaBlaCar à l'international ?
Je ne vais pas vous le dire... (rires). La première chose est de créer une équipe locale. On le répète souvent mais c'est important car cela permet de rencontrer les futurs usagers, de créer un réseau et de comprendre les leviers de la confiance - c'est un moteur chez nous. Nous demandons à nos équipes locales de faire du covoiturage afin de rencontrer de premiers clients. Ce sont possiblement de futurs membres de BlaBlaCar.
Un autre pays peut-il faire office de laboratoire pour un nouveau service ?
C'est ce que nous faisons un peu en Turquie. Contrairement à la France où BlaBlaCar existe historiquement par son portail Web, nous n'avons lancé qu'une application mobile en Turquie. Notre but est de nous donner une identité mobile en premier, et de ne pas la voir en complément du site Web. Sinon nous avons refondu notre appli et nous sentons une forte accélération : 50% des nouveaux inscrits sont d'abord mobiles.
Est-ce que les investisseurs jouent un rôle important dans l'internationalisation ?
Très important ! Ils regardent à la loupe ce qui se passe dans les autres pays et sont spécialistes en acqui hires. Ce sont nos investisseurs qui nous ont présentés à nos fondateurs pour la Pologne, l'Italie et la Russie. Ils nous aident aussi à structurer la société au niveau du QG. Chaque mercredi à 11h30, nous tenons une réunion avec les collaborateurs pour présenter tous nos projets. Ce sont nos « BlaBla Talks ».
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