Le rover franco-allemand est prêt pour son départ vers les lunes de Mars avec l'ambitieuse mission japonaise MMX. Si tout se passe bien, il sera le premier à se poser, puis à rouler sur Phobos en 2027. À la clé, de nombreuses informations sur ce monde inconnu et des images exceptionnelles.
Alors, nous lui avons rendu une dernière visite à Toulouse, histoire de lui souhaiter bonne chance.
Propreté maximale
Pour aller voir le rover IDEFIX, il faut montrer patte blanche. Pour cela, il faut d'abord se rendre au CNES à Toulouse, dont l'accès est rigoureusement contrôlé, puis entrer dans la salle blanche. Combinaison, masque, charlotte, surchaussures : l'attirail est complet pour que nous soyons certains de limiter au maximum notre impact et de ne pas contaminer le rover franco-allemand.
Ce dernier trône au centre de la pièce, replié et sécurisé. Il est déjà installé sur son dispositif de déploiement, qui sera fixé sous le ventre de la sonde japonaise MMX (Martian Moon eXploration). Cette dernière le déposera sur Phobos, la plus grande des deux lunes de Mars, et on a l'impression que cela pourrait avoir lieu demain. L'atmosphère de la pièce est contrôlée, et pourtant, il y a de l'émotion ici, et de la fierté aussi. Guillemette Lamy, la responsable de l'intégration d'IDEFIX, nous a patiemment détaillé ses différentes fonctions. Il fallait bien en profiter, car le rover est complet, et il quittera bientôt la France.
Un petit bijou prêt à se déplier
IDEFIX est compact, avec 40 centimètres de long et 30 de haut, et une masse de seulement 25 kilos. Il sera attaché sur MMX par le dessous, tandis que sur le dessus, on retrouve trois panneaux solaires repliés (50 à 75 watts) et de petites protections en nid-d'abeilles, qui serviront à le protéger des chocs lorsqu'il arrivera sur la surface.
Sur les côtés, il y a ses roues à aubes, bien différentes de celles des autres missions spatiales. Il s'agit autant de s'accrocher à la surface de Phobos pour l'adhérence que d'en remuer si possible les premiers centimètres de poussière pour que les instruments puissent les photographier. Pour cela, IDEFIX est bien doté, et il est bardé de caméras, même si elles étaient recouvertes de protections lors de notre visite (sous le ventre, vers les roues, à l'arrière…). Il a même une double vision stéréo sur l'avant, pour que les pilotes au CNES et en Allemagne puissent voir Phobos en 3D.
1, 2, 3, explorez !
Dans les premières heures de sa mission, IDEFIX sera autonome. « On ne peut pas prévoir quelle sera son orientation lorsqu'il s'arrêtera sur la surface de Phobos, il devrait même rebondir sur la surface », détaille Guillemette Lamy. Les ingénieurs du CNES l'ont donc doté d'une séquence dite de déploiement universelle, qui lui permettra de se retrouver debout sur ses roues, quel que soit le sens dans lequel il se sera posé. Panneaux, roues, caches, tout est prévu pour qu'en quelques heures, IDEFIX puisse se redresser tout seul, charger ses batteries et communiquer avec la mission japonaise MMX.
Le rover franco-allemand, qui prendra en novembre la route pour le Japon, n'est qu'un élément de l'ambitieuse « Martian Moon eXploration », étalée sur plus de 6 ans. Après son assemblage dans les salles du CNES, IDEFIX commencera son voyage dès cette semaine à quelques centaines de mètres de là chez Airbus Defence & Space, pour de derniers tests électromagnétiques dans un environnement contrôlé.
Faire vite, sans se précipiter
Pour les équipes du CNES qui s'occupent d'IDEFIX, c'est la fin d'une première course contre la montre. Le projet de rover, né entre 2016 et 2018, a été formalisé assez tard, et les équipes de la mission japonaise ont toujours martelé qu'elles souhaitaient décoller en 2024. Alors, l'approche technique, pour ce véhicule unique dans l'Histoire à tenter d'aller rouler en milligravité sur un petit corps, s'est inspirée d'un certain esprit start-up. Une majorité des composants sont issus des technologies développées pour les CubeSats, ces petits satellites destinés à l'orbite basse.
Le départ vers Mars devrait avoir lieu d'ici un an, avec un décollage sur le nouveau lanceur japonais H-3, ce qui n'est pas sans occasionner quelques sourires crispés dans l'équipe. La fusée H-3 n'est pas encore opérationnelle, son premier vol au printemps 2023 s'est soldé par un échec et la perte d'un précieux satellite d'observation.
Un trajet semé d'embûches
Après son décollage en septembre 2024, la mission MMX transitera d'abord vers Mars avant d'entrer en orbite de la planète rouge au premier semestre 2025. Progressivement, elle se rapprochera alors de Phobos, la plus grande de ses deux lunes, qui ne se trouve qu'à environ 6 500 kilomètres d'altitude.
Mars exerce une grande influence sur Phobos qui, comme la Lune avec la Terre, lui présente toujours sa même face (on dit que Phobos est en rotation synchrone). Mais il n'est pas vraiment possible d'entrer en orbite de Phobos. La petite lune de 22 kilomètres de diamètre environ est un « patatoïde » avec de grandes variations des champs de gravité à différents points de sa surface. MMX va donc s'en rapprocher comme elle se rapprocherait d'un véhicule en orbite de Mars, avant d'effectuer autour de Phobos une « quasi-orbite » qui, sur le long terme, se rapproche d'une rosace. Le CNES est d'ailleurs impliqué dans les opérations de contrôle de vol de MMX avec la JAXA, l'agence japonaise, comme nous l'explique Elisabet Canalias, experte en contrôle de trajectoire.
« La navigation autour de Phobos sera difficile, et dans notre équipe dédiée au contrôle de vol, nous travaillerons à la fois pour la sonde avec la JAXA, pour IDEFIX et pour le spectromètre imageur français MIRS, embarqué sur la sonde. » La première année que la mission MMX passera près de Phobos sera en effet consacrée à la découverte. Même s'il existe déjà des images et des relevés de la principale lune de Mars, il reste de nombreuses inconnues : sa topographie exacte, la répartition de son champ de gravité, sa composition et surtout, son histoire.
C'est d'ailleurs l'un des objectifs principaux de MMX : découvrir et prouver l'origine de Phobos, qui est soit issu d'une terrible collision entre Mars et un objet du Système solaire, soit un petit corps capturé en orbite de la planète rouge. En 2025 et 2026, les équipes vont donc analyser Phobos de loin, de près, sous toutes les coutures. Elles vont également sélectionner un site très particulier sur sa surface, qui servira pour déposer le rover IDEFIX, mais aussi pour aller récupérer des échantillons.
7 heures de terreur ?
Effectivement, MMX va prélever quelques grammes de Phobos. Mais attention, pas n'importe où. Et pas avant que le rover franco-allemand n'aille explorer le terrain. Après sélection du site, MMX fera plusieurs répétitions pour s'entraîner à descendre au raz de la surface. C'est au cours de l'une de ces répétitions, début 2027 (si tout se passe bien) que le rover IDEFIX sera largué, à 35 mètres de la surface.
Les premières heures de sa mission de 100 jours seront les plus importantes. Vous vous souvenez des « 7 minutes de terreur » des équipes de la NASA lors de l'atterrissage de leurs véhicules sur Mars ? Pour les équipes du CNES, l'arrivée d'IDEFIX sur Phobos pourrait bien se transformer en « 7 heures d'attente ». Il faudra en effet environ 70 secondes pour que le rover touche la surface, mais il faudra ensuite attendre qu'il soit immobile pour que sa séquence de déploiement commence. Entre-temps, la sonde MMX, indispensable relais, se sera éloignée, elle ne peut rester immobile au-dessus du site en permanence. Il faudra jusqu'à 7 heures pour prendre contact et commencer à recevoir des données d'IDEFIX.
Toutes les données seront précieuses
Les équipes du CNES et du DLR allemand espèrent opérer IDEFIX un peu plus de 3 mois sur la surface. Ce dernier, pour ne pas sauter et rebondir à chaque déplacement, bougera extrêmement lentement, avec une vitesse de pointe de 1 millimètre par seconde ! Son objectif idéal est de parcourir environ 30 à 100 mètres, en fonction de la topologie du terrain, totalement inconnue pour l'instant.
La mission de l'orbiteur et du rover enthousiasme d'ailleurs les chercheurs, à l'image de Patrick Michel (CNRS), responsable scientifique pour IDEFIX. Il explique ainsi :
« Toutes les données que l'on pourra obtenir viendront améliorer nos connaissances de Phobos, qui sont parcellaires pour le moment. C'est une lune avec des caractéristiques incomprises, et des mesures ont parfois montré des résultats ambigus. D'où proviennent ces canyons, sortes de griffures qui courent sur sa surface ? Ces ravins et ces cratères ? Et pour la surface, rien ne vaut une mission comme celle d'IDEFIX. Cela passera par l'atterrissage lui-même. IDEFIX va-t-il rebondir ? Va-t-il soulever de la matière ? S'enfoncer dans le sol ? Nous aurons forcément des surprises, à l'image de ce qu'ont pu mesurer les missions Hayabusa2 et OSIRIS-REx sur d'autres petits corps du Système solaire. Nous sommes très intéressés pour observer le comportement du sol, ses propriétés thermiques, sa porosité, sa cohésion, les types de grains, la potentielle présence d'eau… »
MMX conduira MIRS jusqu'à Deimos
La coopération française sur la mission MMX ne s'arrêtera pas avec la fin de vie du rover IDEFIX après 3 mois, puisqu'il y a également l'instrument MIRS (MMX InfraRed Spectrometer), qui servira tout au long de la mission à identifier la nature des sols que va survoler la sonde, y compris l'endroit où elle va se poser pour récolter ses échantillons.
Avant la fin 2027, MMX, avec ses quelques grammes de matière, va abandonner IDEFIX sur Phobos et se propulser sur une orbite plus haute afin d'aller rendre visite à Deimos, l'autre lune de Mars. Elle s'y consacrera plusieurs mois, une fois de plus sans entrer en orbite, mais en la survolant à différentes reprises et altitudes. Ce sera là une chance de plus pour les équipes de MIRS de récolter de nombreuses données scientifiques, car Deimos est à peu près aussi méconnue que sa grande sœur.
L'instrument, qui a été élaboré au CNES, mais qui dépend de six laboratoires français répartis entre Paris, Bordeaux, Toulouse, et Marseille, mobilise 40 chercheurs et 80 ingénieurs. Ironiquement, même si MIRS aura une mission moins spectaculaire que celle du rover IDEFIX, l'instrument est crucial pour la mission MMX, et il fait grosso modo la même taille.
La mission MMX se terminera, si tout va bien, en une apothéose technique. Après l'étude de Phobos, puis de Deimos, la sonde va se scinder en trois parties, et son cœur, qui contiendra les échantillons prélevés sur Phobos, prendra le chemin de la Terre en 2029. Il s'agira quoi qu'il arrive de la toute première récolte de matière du système martien, mais les scientifiques espèrent aussi qu'ils auront des preuves supplémentaires sur l'origine des lunes Phobos et Deimos. D'ici là, IDEFIX sera bien loin de nous et de sa salle blanche. Il n'y a plus qu'à lui souhaiter de belles découvertes !
Source : Eric Bottlaender pour Clubic (visite au CNES)