Selon le Centre canadien de protection de l'enfance (CCPE), Free, l'opérateur télécom français, constituerait la plus grande source d'images pédopornographiques. L'institution a mené une étude sur trois années, entre 2018 et 2020. Free nous apporte néanmoins des précisions suite à la publication du rapport.
Droit de réponse accordé au groupe Iliad (maison-mère de Free), en date du 14 juin 2021 :
1. Notre Groupe prend ces sujets liés à la protection de l’enfance très au sérieux et collabore activement avec les autorités françaises depuis des années pour identifier et supprimer les contenus illicites qui transitent via nos services.
2. Nous travaillons aussi régulièrement avec l’association française Point de contact et traitons avec la plus grande réactivité tous les cas qu’ils nous signalent.
3. Nous sommes également en contact avec le Centre canadien de protection de l’enfance qui nous signale régulièrement des contenus illicites que nous nous efforçons de traiter dans les meilleurs délais.
4. Leur méthode de signalement, qui nous remonte les contenus un à un par des mails dédiés, alourdit néanmoins le traitement des demandes et rallonge assez significativement les délais.
5. Nous l’avons signalé au Centre et nous allons continuer à collaborer avec eux afin de parvenir à court terme à un traitement des demandes aussi efficace que celui que nous avons instauré avec les autorités et les associations françaises.
Free se passerait bien d'une telle polémique. L'opérateur français a été épinglé par une vaste étude baptisée « Projet Arachnid », qui est une plateforme web qui détecte les images pédopornographiques connues. Guidée par un robot d'exploitation qui traite des dizaines de milliers d'images par seconde, la plateforme a été mise en place en janvier 2017 par le Centre canadien de protection de l'enfance (CCPE), qui fait remonter les défaillances de l'industrie de la technologie dans la lutte contre ce fléau de la prolifération des images d'abus pédosexuels sur Internet. L'organisme de bienfaisance vient de publier son dernier rapport, qui porte sur l'étude des années 2018, 2019 et 2020. Il a ainsi permis de détecter et vérifier plus de 5,4 millions d'images dans le monde, et d'adresser des demandes de suppression à plus de 760 fournisseurs de services électroniques du globe, parmi lesquels Free, mauvais élève en la matière.
Des images pédopornographiques en grande partie hébergées sur le Web visible
Projet Arachnid et les analystes de Cyberaide.ca ont trouvé des images pédopornographiques, préjudiciables ou violentes dans ou sur des sites d'hébergement d'images (Imgur, ImageShack, Flickr, PostImage), des fournisseurs issus du Cloud (AWS, Microsoft Azure, GoDaddy, etc.), des réseaux de diffusion de contenu (Cloudflare, Fastly, Akamai), dans les résultats et cache de moteurs de recherche (Google, Yahoo, Bing, Yandex), sur des services de messagerie ou forums (Reddit, Twitch, Discord, WhatsApp, etc.), sur des médias sociaux (Twitter, Instagram, Facebook ou Snapchat) ou des sites pornographiques (Pornhub, YouPorn, Xvideos).
Le CCPE a pu constater que la grande majorité des images détectées ne provient pas d'adresses en .onion du réseau Tor (le Web clandestin), mais bien de l'Internet ouvert. L'étude affirme toutefois que le dark web fait néanmoins office de principal véhicule pour diriger les internautes vers des endroits où trouver ces images sur le Web visible.
Les équipes canadiennes saluent le fait que 90 % des images signalées ont été supprimées dans les 24 heures. Elles n'expliquent cependant pas que « 10 % des images signalées sont restées en ligne plus de sept semaines (42 jours) avant de devenir inaccessibles ». Ce sont souvent les images d'adolescents plus âgés qui mettent le plus de temps à être supprimées. Ce qui inquiète plus particulièrement l'étude menée par Projet Arachnid, c'est que 48 % des images détectées (soit près de la moitié) étaient liées à un service d'hébergement de fichiers exploité par l'opérateur français Free : dl.free.fr.
Le service d'hébergement de fichiers de Free, dl.free.fr, pointé du doigt
L'opérateur français et filiale d'Iliad, Free, fait partie aux yeux de Projet Arachnid de ces opérateurs et acteurs qui contribuent plus que les autres à la distribution d'images pédopornographiques, que ce soit directement ou indirectement. Sur les trois années étudiées, le robot d'exploration est tombé sur plus de 18 000 fichiers d'archive. Ces derniers contenaient près de 1,1 million d'images pouvant être assimilées à des contenus pédopornographiques ou violents. Les fichiers, désormais supprimés, étaient directement hébergés sur le service public d'hébergement de fichiers de l'opérateur de Xavier Niel. Ils permettaient de diffuser anonymement des liens vers ces contenus pédopornographiques sur des forums en ligne.
Le rapport du CCPE indique que le robot Projet Arachnid a aussi bien détecté des liens vers ces fichiers tant sur le Web visible que sur des sites Tor. La multiplication des points d'accès aux fichiers d'archive a fait monter le nombre d'images répréhensibles détectées à plus de 2,7 millions sur les serveurs de Free.
Dès 2007, le service logé à l'adresse dl.free.fr avait essuyé les critiques de la ministre de la Culture française de l'époque, Christine Albanel, qui estimait alors que les opérateurs ne prenaient pas les mesures nécessaires pour lutter contre la diffusion illégale d'œuvres soumises au droit d'auteur. Elle avait directement pointé du doigt Free, affirmant que son service permettait aux internautes « de télécharger anonymement et massivement des contenus pirates sur dl.free.fr ». La ministre Albanel avait alors demandé à Maxime Lombardini, homme de confiance de Xavier Niel et directeur général d'Iliad à l'époque, de faire respecter la loi en limitant l'accès au service d'hébergement de fichiers (lancé en 2006), qui permettait l'échange de fichiers entre utilisateurs, ou en le supprimant tout bonnement. L'affaire était allée loin puisqu'à l'époque, le gouvernement avait menacé Free de le priver de licence 3G.
Un service abandonné à son sort ou presque
Le service d'hébergement de Free était très populaire. D'abord, il permettait la mise en ligne et le téléchargement d'un fichier sans aucune inscription ni données ni autres coordonnées. L'interface était aussi minimaliste, très facile à prendre en main. Et il était possible de protéger d'un mot de passe les fichiers de son choix, pour qu'ils ne soient consultés que par des destinataires donnés.
« Il est intéressant de noter que la page d’accueil du service d’envoi de fichiers de Free n’a pas changé d’apparence depuis 2008. Elle utilise d’ailleurs encore l’obsolète protocole de transfert hypertexte non sécurisé (HTTP), tandis que le site principal de Free, lui, utilise le protocole de transfert hypertexte sécurisé (HTTPS) », remarque l'institution canadienne, qui note également que le lien « Signaler un contenu illicite » de la page d'accueil aboutit à une belle erreur 404, en tout cas à la date du 18 mai 2021.
Selon les données transmises par Projet Arachnid, les liens pointant vers dl.free.fr sont très régulièrement détectés sur des forums de discussions du réseau Tor, où l'on retrouve les liens ainsi que les mots de passe qui ouvrent l'accès aux fichiers pédosexuels, directement téléchargeables et donc sujets à de nouvelles copies.
Si l'immense majorité des fichiers incriminés a fait l'objet d'une suppression de la part de Free, le Project Arachnid a constaté que près de 3 000 fichiers d'archive ayant pourtant fait l'objet de demandes de suppression sur les trois années d'étude étaient encore publiquement accessibles au 18 mai 2021.
Source : Project Arachnid