À trois mois d'écart, le soviétique Alexeï Leonov et l'américain Ed White ont tous les deux ouvert l'écoutille de leur capsule spatiale pour sortir dans le vide et flotter, à des centaines de kilomètres du sol. Des expériences uniques, nécessaires pour le programme spatial de leur pays, mais dangereuses, aussi.
Retour en 1965. Juste avant le tout premier vol habité du programme Gemini qui prépare les Américains aux opérations qu'ils devront un jour mener autour de la Lune, les Soviétiques ont sorti un coup de maître de leur manche avec la sortie spatiale d'Alexeï Leonov. D'abord parce qu'il s'agit d'un nouveau vol de leur capsule Voskhod. Et en occident, on en sait peu sur cette dernière et ses capacités. Est-elle un équivalent de Gemini ? En tout cas, elle apparaît clairement comme plus capable que la première génération soviétique. Elle peut embarquer jusqu'à 3 cosmonautes et même être équipée d'un sas pour une sortie spatiale… Les Américains ne savent pas à ce moment-là que Voskhod est un programme conçu dans l'urgence et qui n'a malheureusement pas de possibilité d'évolution. Néanmoins, la sortie d'Alexeï Leonov fut le résultat d'un ingénieux système, assez unique.
Voskhod, simplicité à l'extrême
Voskhod 2 est une toute petite capsule, et comme elle reprend la quasi-totalité des systèmes de Vostok, elle n'est pas prévue pour être dépressurisée. Impossible donc pour l'équipage, composé d'Alexeï Leonov et de Pavel Belaïev, de « simplement » fermer leur combinaison étanche et d'ouvrir l'écoutille vers l'extérieur. À la place, les ingénieurs soviétiques ont conçu un système de sas gonflable nommé Volga. Replié au décollage, ce dernier est déplié une fois en orbite, et pressurisé. Le fonctionnement est donc assez simple sur le papier : pressuriser Volga, ouvrir l'écoutille, se mettre dans le sas, fermer l'écoutille, puis dépressuriser et ouvrir l'écoutille de l'autre côté, sur l'espace. Mais ce n'est pas si simple. Et du moment où l'écoutille de la capsule est fermée, Alexeï Leonov est seul avec sa radio et sa caméra. En sachant que son scaphandre « Berkout » est lui aussi pratiquement un modèle unique !
Tout s'est bien passé ! Promis.
La première sortie spatiale au monde démarre ainsi, exactement comme prévu, le 18 mars 1965. Les premières minutes se passent extrêmement bien, et le cosmonaute décrit ce qu'il voit, mais aussi la confiance qu'il a dans son matériel et sa combinaison. Après 8 minutes à flotter près de la capsule, uniquement retenu par un câble de sécurité (le scaphandre Berkout a sa propre réserve d'oxygène), Alexeï Leonov revient dans le sas, marqué à jamais par la vue de la rotondité de la Terre, l'immensité du paysage. « Le ciel était d'un noir profond et le silence extraordinaire ».
Les images feront elles aussi le tour du monde, et les agences soviétiques comme américaines savent désormais qu'il est possible de sortir et de pratiquer des activités extravéhiculaires. À un gros détail près : les soviétiques n'ont rien publié des ennuis et des dangers vécus par Leonov.
En effet, lors des interviews qu'il a pu faire, en particulier dans la dernière décennie de sa vie, les souvenirs du cosmonaute emblématique de l'URSS étaient bien différents de ce qu'il a déclaré à la presse juste après le retour de la capsule. Si les premières minutes se sont en effet bien déroulées, A. Leonov a rapidement senti son scaphandre gonfler par endroits, et se rigidifier. Il a même eu un peu de mal à respirer, tandis qu'il a trouvé bien difficile de se ramener jusqu'au sas en attrapant le filin. Mais le plus complexe fut de se retourner au sein du sas gonflable pour en fermer l'écoutille. À l'encontre des consignes officielles, le cosmonaute n'a pas trouvé d'autre moyen pour retrouver sa mobilité que d'abaisser la pression au sein de sa combinaison. Une manœuvre qui a payé, avant un retour sur Terre quelque peu rock'n'roll lui aussi, avec un déclenchement manuel du système de rétrofusées et une petite marge de 380 km par rapport au point d'atterrissage prévu. Des ennuis cependant typiques des vols habités de l'époque.
Une seule sortie, ou le début d'une série ?
La différence principale entre l'exploit de Leonov et la tentative qui se préparait pour les Américains au cœur de leur propre programme spatial, c'est que les astronautes de Gemini ont besoin, pour pouvoir poser le pied sur la Lune, de montrer qu'ils peuvent sortir et manœuvrer à l'extérieur en toute sécurité. Avec fiabilité, et régulièrement. L'URSS réalise donc un pied de nez public et l'une de ses dernières « grandes premières » avant les Américains, mais c'est avant tout un coup de com… Reste que les USA ont un souci au moment du décollage d'Ed White et de James McDivitt, c'est qu'ils ne savent pas à quel point les sorties spatiales peuvent être difficiles. Prudent, le responsable du bureau des astronautes, Deke Slayton, a tout de même demandé à White de suivre un programme de musculation.
Gemini, le prix de l'émerveillement
3 juin 1965, Gemini IV décolle et atteint l'orbite sans problème. À bord de Gemini, les choses sont différentes de Voskhod. En effet, on l'a déjà évoqué dans d'autres articles, la capsule est incroyablement exigüe, c'est quasi uniquement un cokpit, et chaque astronaute dispose d'un hublot vers l'extérieur et d'une écoutille. C'est donc l'ensemble de Gemini qui est dépressurisé pour la première sortie spatiale américaine. Il s'agit même, plus ou moins, d'une sortie double. En effet McDivit ne « sort » pas à proprement parler, mais il est dans son scaphandre, dans le vide spatial… à l'intérieur.
Ed White, pour sa part, a énormément de problèmes avec son écoutille. Il a de la chance, son collègue peut l'aider, car il a déjà vécu un souci similaire de ressort de blocage lors d'une simulation en chambre à vide. À la 3e orbite de la mission (qui dura quatre jours), le voilà qui s'élance, une caméra 16 mm à une main, et un genre de pistolet éjectant de l'oxygène sous pression pour manœuvrer. Pour flotter à quelques mètres de Gemini, pendant que James McDivitt prend des photos et que les images de sa sortie en direct génèrent un engouement direct sur toute la planète, c'est largement suffisant.
En réalité, l'astronaute est totalement émerveillé par son expérience et ne se rend presque compte de rien. Il cumule les erreurs en se laissant dériver, utilise bien vite tout le carburant de son « pistolet » à air et ne rapporte pas spécialement de problème alors qu'il a du mal à se servir de ses gants pour serrer et ouvrir les doigts. À cause d'un problème de micro (seul McDivitt peut faire relais avec le sol), il se laisse flotter durant 23 minutes, soit presque 10 de plus que ce qui était convenu ! Et encore, Ed White a tenté de négocier pour prendre plus de photos depuis l'extérieur, affirmant que l'ordre pour le faire rentrer est « le moment le plus triste de toute sa vie ». Au final, le temps qu'il rejoigne l'écoutille et commence à tenter de la fermer (il y a le même souci qu'à l'ouverture) les deux astronautes sont hors de portée des contacts radio et dans une zone de nuit. Ed White a même perdu un « sur-gant » blanc, et le matériel qui devait être éjecté hors de la capsule reste à l'intérieur. Heureusement qu'il n'y a pas eu plus de problèmes ! Pourtant, là aussi, le retentissement public est au rendez-vous.
Était-ce bien représentatif ?
Et presque de la même façon qu'avec la sortie d'Alexeï Leonov, celle d'Ed White donnera confiance aux responsables de l'agence américaine. Le rapport de l'astronaute est dithyrambique, et pourtant il reste énormément à faire pour pouvoir travailler sereinement à l'extérieur de son véhicule… même pour Gemini. La preuve viendra un peu plus tard, lorsque les équipes souhaitent utiliser pour la première fois un équipement de manœuvre extérieur : attaché de l'autre côté de la capsule Gemini, le « sac à dos », première version du futur MMU, est pour ainsi dire hors de portée. Le « pistolet à air » n'est pas pratique. La combinaison doit être modifiée plusieurs fois. Et cela sans même mentionner que les astronautes sont confrontés à des échardes coupantes sur les flancs de la capsule, qui n'offre pas ou presque de surface où s'attacher. La courbe de progression est énorme !
Néanmoins, les USA vont énormément s'améliorer, en quelques mois et années seulement, et ces sorties de test dans le programme Gemini ont effectivement servi à préparer les très longues et éprouvantes aventures sur la surface lunaire. Du côté soviétique, à part une autre petite sortie de test en 1969, les premières véritables sorties spatiales « utiles » n'auront pas lieu avant 1977, plus de 12 ans après Alexeï Leonov.