Live Japon : Pourquoi Apple distance Sony, selon Y. Sakito

Karyn Poupée
Publié le 11 août 2012 à 12h32
Pourquoi Apple a pris le pas sur Sony? C'est la question que se posent aujourd'hui avec amertume nombre de Japonais pour qui le fleuron nippon de l'électronique était censé être indépassable. C'est aussi la question à laquelle prétend répondre un ex-dirigeant d'Apple au Japon, Yoshihaki Sakito, dans un ouvrage intitulé "Moi, je ne copie personne" - boku ha dare no mane mo shinai-, un homme dont toute la philosophie est contenue dans sa théorie de la self-innovation, à appliquer à ses risques et périls, comme le souligne le mangaka japonais J.P. NISHI.

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A bien y réfléchir, toutes les marques japonaises d'électronique se concurrencent en alignant au même moment des produits similaires. Pour sortir de cette impasse, il faut innover, mais cela exige un autre schéma de pensée, lequel serait celui de feu Steve Jobs selon M. Sakito.

« Ce n'est pas en copiant les produits qui rencontrent du succès que l'on innove », assène l'homme qui entama sa carrière chez Sony, avant d'accéder en 2004, après plusieurs étapes ailleurs, au poste de directeur d'Apple au Japon et de transformer un objet dont on disait qu'il n'allait pas se vendre dans l'archipel, l'iPod mini, en carton. On le crédite même d'avoir alors redressé la marque à la pomme au pays du Soleil-levant où elle était à ce moment en perte de vitesse. L'homme raconte aussi que lorsqu'il rencontra Steve Jobs lors d'un entretien précédent son embauche, il lui fit alors involontairement l'apologie de l'ordinateur portable extra-fin Vaio 505 Extreme que Sony venait alors de mettre sur le marché... objet qui in fine a peut-être inspiré le Mac Air quatre ans plus tard.

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S'il vénère Steve Jobs, comme nombre d'autres, M. Sakito a cependant une phrase définitive : « ni vous ni moi ne sommes Steve Jobs ». Par conséquent, « ce n'est pas en essayant de l'imiter mais en inventant par soi-même une méthode propre susceptible d'émouvoir les gens qu'il faut avancer », ce que l'homme appelle la « self innovation ».

C'est cette méthode que lui-même a employé pour relever le logo Apple au Japon. L'une des raisons de l'insuccès initial de la gamme iPod dans l'archipel était l'adoption massive du support Mini-Disc (MD) et des baladeurs allant de pair, des objets qui inversement étaient boudés à l'étranger. Pour inverser la tendance, M. Sakito a lancé le slogan « Adieu le MD !  »et vanté le côté « accessoire de mode » de l'iPod mini décliné en cinq couleurs éclatantes.
Cette stratégie fit un malheur. Le magasin Apple Store du quartier de Ginza, ouvert en 2003, retrouva la pleine forme dès le jour de la sortie de l'objet.

De façon générale, M. Sakito estime que trois facteurs clefs de la réussite de Steve Jobs (et d'Apple par voie de conséquence) font défaut aux dirigeants japonais et que c'est sur eux qu'il faut insister pour que naissent en ce pays des génies comme Steve Jobs:
- exploiter les 5 sens (sensibilité)
- réfléchir par soi-même (créativité)
- activer les autres (activité)

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Rien qu'à lire les titres des chapîtres de l'ouvrage de M. Sakito, l'on est tenté de s'exclamer , « tiens, oui, au fait, pourquoi ? », ou bien « bon sang, mais c'est bien sûr. » Exemples: « combien de boutons de la télécommande de TV utilisez-vous vraiment ? », « pourquoi les oreillettes blanches sont-elles devenues à la mode , ». Et l'on comprend ainsi que ce sont ce genre de questions qui ont conduit à la simplicité et la convivialité des objets Apple, tout comme c'était le cas chez Sony auparavant.

Lorsqu'une entreprise veut développer un nouveau produit, elle s'interroge sur les besoins du consommateur. Mais il s'écoule plusieurs années avant qu'elle ne puisse mettre au point un concept qui y répondent. Si bien que pour être en pointe, les chercheurs et créateurs doivent imaginer ce qu'à l'avenir désireront les clients, et ce en s'appuyant sur leur propre imagination. « Autrefois, Sony était doué pour ce faire », souligne M. Sakito. Mais ces dernières années, c'est une entreprise qui peine à sortir des produits révolutionnaires, sans doute par frilosité, par peur du risque et absence de consensus interne. Si bien que ceux qui sortent sont des « résultats de compromis » peu attractifs. Steve Jobs, lui, visait la perfection sous toutes les coutures et inculquait ce goût du soin et du détail à ses équipes. En outre, il décidait. Quand il disait non, c'était définitif.

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De plus, il savait donner un sens émotionnel aux objets en forçant l'imaginaire d'autrui. M. Sakito est un apôtre de cette apprentissage de l'usage des 5 sens auquel il faut selon lui habituer les enfants dès leur plus jeune âge. Par ailleurs, lorsqu'il donne des conférences, l'homme a une approche des plus intéressantes, pour prouver l'évidence qu'au quotidien et dans son travail on a tendance à oublier, aboutissant, par exemple dans le cas de Sony, à une perte de force. Et de citer Einstein, « la démence est de faire et refaire sans arrêt la même chose en espérant des résultats différents ». Prenant l'exemple qu'il connaît le mieux, celui de l'iPod Mini, il montre la publicité qui au Japon a accompagné le lancement du produit et où l'on ne voit que des silhouettes de personnes dansant avec ferveur les oreillettes vissées sur la tête, le tout faisant ressortir une seule chose: « c'est jouissif » et suscitant l'envie. Le site web conçu spécialement pour ledit iPodmini alignait pour sa part des photos de situations toutes plus enviables les unes que les autres. Et pour courronner le tout Apple s'était offert le soutien de top-models. Et face à cela, qu'à fait Sony ?« Eh bien le groupe a lancé un nouveau modèle de Walkman à mémoire avec pour slogan : "équipé d'un écran organique électroluminescent" ». Tout est dit : là où Apple a su jouer sur les sentiments et les sensations perceptibles par tous, Sony a répondu en insistant sur les caractéristiques techniques compréhensibles par les seuls initiés. Osons ici une analyse que ne formule pas nécessairement M. Sakito : Sony est restée une entreprise innovante tant que ses fondateurs, et notamment Akio Morita, ont été aux commandes ou que ceux qui les ont contoyés de près ont piloté la maison.

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Lorsqu'il a impulsé la création du premier Walkman à cassette sorti en 1979 et devenu pour les Japonais « le produit électronique du siècle », M. Morita avait une envie « que l'on puisse écouter confortablement de la musique en balade », et notamment en train ou en avion comme on le ferait à la maison. Les caractéristiques techniques du produit ont découlé de cette volonté. Et si le Walkman a tant cartonné, ce n'est pas parce que l'on en a vanté la stéréophonie, mais parce qu'il a changé le mode de vie et qu'on en a montré le plaisir d'utilisation. A écouter en outre M. Sakito, le succès d'Apple tient aussi énormément à la communication faite autour des produits. L'on raconte que récemment ce disciple de Steve Jobs a soupiré en voyant un slogan publicitaire de l'opérateur de téléphonie mobile NTT Docomo pour une tablette Galaxy du groupe sud-coréen Samsung. Motif : malgré les années et les échecs, les entreprises nippones continuent d'appuyer leurs argumentaires promotionnels sur les fonctionnalités et spécifications des produits plus que sur les sensations qu'ils procurent à l'usage. Résulta t: la cible est très limitée, car hormis les technolophiles, qui s'intéressent vraiment à toutes les capacités techniques d'un smartphone ou d'un ordinateur ? La plupart des gens choisissent d'abord en fonction de l'esthétique du produit, de la façon dont il se manipule, de l'affinité qu'on a d'emblée ou non avec lui.

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Selon M. Sakito, ce n'est pas parce qu'on est Japonais qu'on ne peut pas réussir à la façon du fondateur d'Apple. Car Steve Jobs n'est, assure-t-il, pas un pur produit du système d'enseignement supérieur américain, mais une exception qui a su cultiver avant tout la façon de toucher les cinq sens. De ce fait, un deuxième Steve Jobs peut potentiellement voir le jour dans n'importe quel pays, Japon compris, et c'est ce que souhaite M. Sakito en donnant désormais des cours portant sur la façon d'exploiter les facultés sensorielles humaines. Ce qu'il faut cependant pour que ses voeux s'exaucent, c'est un environnement où chacun se sente plus libre de créer et d'agir à sa propre façon, sans copier un modèle, et c'est ce qui relève sans doute le plus du défi dans la société japonaise où un nombre croissant de jeunes ont tendance à vouloir imiter une personnalité plutôt qu'à se forger la leur.
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