Live Japon : Samsung, chevalier blanc ou cheval de Troie ?

Karyn Poupée
Publié le 09 mars 2013 à 20h27
« Même si vous me détestez, ne détestez pas les produits Sharp, s'il vous plaît ». De qui cette prière ? Du responsable du compte officiel Twitter du groupe Sharp. Et pourquoi ? Eh bien parce que ce dernier se fait étriller depuis le début de cette semaine par de nombreux internautes Japonais ? Pour quelle raison ? Parce que Sharp a osé, selon eux, un crime de lèse-majesté: s'allier à un rival, qui plus est sud-coréen..., en l'occurrence Samsung.

La raison ? Les usines de dalles d'écrans à cristaux liquides (LCD) de Sharp, pour les TV et plus encore pour les smartphones et tablettes, ne tournent pas à pleine capacité. Alors Samsung se pose en client-sauveur... comme un soi-disant bon client qui viendrait prendre le matériel d'une petite boutique périclitante.


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Comptes plombés, harcelé par ses banquiers, le groupe d'électronique japonais Sharp, à court d'argent, a annoncé mercredi 6 mars une alliance avec le géant sud-coréen Samsung, un redoutable concurrent qui va ainsi devenir son cinquième actionnaire dans le cadre d'une collaboration portant sur les écrans à cristaux liquides. Sansung fait ses emplettes au Japon, au rayon technologies. En janvier, il s'est offert une partie (5%) de la société nippone Wacom, numéro un mondial des palettes graphiques.

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Selon les termes de l'accord conclu avec Sharp, détaillé dans un communiqué, le groupe japonais va émettre des nouvelles actions au profit de Samsung qui va investir 10,38 milliards de yens (85 millions d'euros) pour prendre 3% du capital du pionnier nippon de l'affichage LCD.

Via sa filiale au Japon, Samsung va ainsi devenir le plus important détenteur étranger de titres Sharp par l'acquisition de 35,8 millions d'actions au prix unitaire de 290 yens. Ce tarif est basé sur le cours de clôture de l'action mardi à la Bourse de Tokyo (299 yens) et très inférieur au niveau auquel se trouvait le titre le jour de l'annonce (341 yens), après un bond de 14% dû à des fuites dans la presse. Il est toutefois bien plus élevé que le cours le plus bas auquel est tombée l'action Sharp ces dix dernières années: 142 yens, au mois d'octobre 2012.

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Sharp promet d'utiliser cet argent frais d'ici à 2015 pour investir dans les équipements de production d'écrans d'appareils nomades intégrant les nouvelles technologies les plus performantes (IGZO), et pour rationaliser ses méthodes industrielles. Acculé à freiner ses dépenses et trouver des fonds, Sharp, qui a récemment changé de patron, souhaite aussi consolider son assise financière mise à mal par une concurrence effrénée sur les téléviseurs dont les prix ont dévissé de même que ceux de leurs pièces-maîtresse, les dalles LCD, une spécialité de Sharp.

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« Nous avons fait face à des circonstances difficiles à cause de la cherté de la devise japonaise et de la chute des prix des produits numériques », a reconnu le groupe nippon qui, après avoir enduré une perte nette record de 376 milliards de yens (3,1 milliards d'euros) l'an budgétaire passé, s'attend à un déficit de 450 milliards de yens lors de l'exercice qui sera achevé le 31 mars.

Ce groupe centenaire d'Osaka (ouest) fournissait déjà des écrans LCD à Samsung mais l'alliance conclue permettra de renforcer cette relation, c'est du moins ce que prétendent les deux protagonistes.

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Le pionnier japonais s'engage à approvisionner à long terme Samsung en écrans tant pour les téléviseurs LCD que pour les appareils nomades (smartphones, tablettes, ordinateurs portables). Samsung a précisé de son côté dans un communiqué distinct qu'il n'interviendra pas dans les décisions de la direction de Sharp, « sous quelque forme ou moyen que ce soit », ce qui est censé rassurer les Nippons les plus inquiets. On se souvient d'un temps pas si lointain où les deux s'accusaient mutuellement de vols de technologies brevetées.

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Le mastodonte sud-coréen espère dit-il simplement que son investissement va « solidifier la confiance mutuelle avec Sharp et contribuer à améliorer la rentabilité du groupe japonais », lequel était depuis des mois en quête de soutiens financiers et de clients pour améliorer le rendement de ses usines.La transaction devrait être effectuée ce mois-ci. Sharp avait déjà accepté en décembre une injection de fonds et l'entrée à son tour de table du groupe américain de composants Qualcomm (à hauteur de 2,6% pour 164 yens par action), dans le cadre de développements conjoints de technologies d'écrans LCD.

Il a aussi cédé la moitié de son ultra-moderne usine de dalles-mères pour grandes TV de Sakai (ouest) au patron du géant taïwanais Hon Hai, celui qui assemble les iPhone, iPad et autres produits-vedettes de l'américain Apple. Au départ, cette usine devait être gérée avec Sony, mais ce dernier n'a jamais pris la part de 33% qui devait lui revenir et a fini par laisser Sharp en plan, avec une capacité de production dépassant largement ses propres besoins, d'autant que le marché des téléviseurs LCD a marqué le pas, surtout au Japon. C'est Hon Hai, assembleur de TV pour X entreprises, qui est venu à la rescousse de Sharp, mais pas en tant que simple client, en tant que co-gestionnaire. En revanche, l'entrée prévue du mécène Hon Hai (connu sous son appellation commerciale Foxconn) dans l'actionnariat de Sharp semble désormais bien compromise. Un ultime rendez-vous devait avoir lieu cette semaine mais il a apparemment été annulé au dernier moment. L'échéance contractuelle pour aboutir est fixée; au 26 mars. Las, les négociations seraient en fait d'ores et déjà interrompues.

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L'arrivée soudaine de Samsung dans le jeu ne fait a priori qu'accentuer les difficultés de concrétiser cet accord de principe annoncé il y a près d'un an mais remis en cause par la chute de l'action Sharp du fait de ses résultats calamiteux. Le prix contractuel fixé était de 550 yens l'action. Elle tourne aujourd'hui autour de 300 yens. On comprend que Hon Hai ait envie de bénéficier d'un rabais, ou bien, et c'est là que le bât blesse, de technologies de pointe en échange de la somme qu'il était prévu d'investir.

Les internautes ne s'enthousiasmaient guère du mariage de Sharp avec Hon Hai, mais c'est peut-être encore pire concernant une firme sud-coréenne. Si les boursicoteurs et courtiers se réjouissent, des aficionados de la marque, eux, crient au loup.

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Les premiers estiment que l'apport de fonds et le soutien de Samsung sont une très bonne chose pour les affaires du pionnier des écrans à cristaux liquides. Avec un partenaire aussi costaud, doublé d'un client numéro un mondial des TV et smartphones, les usines de Sharp auront pour longtemps de quoi tourner à plein régime, arguent-ils.

Les férus des produits Sharp « made in Japan » sont moins sensibles aux questions pécuniaires mais plus sentimentaux voire, pour certains, un rien nationalistes, remuant aussi les querelles nippo-coréennes héritées de la guerre. « Annonce de la liquidation de Sharp », ironise un internaute avant de renvoyer vers le titre de la presse « Samsung investit dans Sharp ».

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« C'est la mort d'IGZO ! ». Beaucoup s'inquiètent aussi pour les technologies de Sharp, entreprise centenaire qui fut la première, au début des années 1970, à industrialiser la fabrication d'afficheurs à cristaux liquides, d'abord pour des calculatrices, jusqu'à d'immenses téléviseurs aujourd'hui.

Récemment, nombre de sociétés étrangères lorgnent sur sa technologie de dalles LCD IGZO, qui tire son nom des matériaux semi-conducteurs utilisés : oxydes d'indium, gallium et zinc. Ils permettent de créer des matrices de transistors en couches minces (TFT) plus fines et beaucoup moins voraces en énergie que celles réalisées en silicium amorphe pour les écrans dits a-Si TFT-LCD.

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« Pourquoi surgit Samsung, alors que Sharp s'entendait bien avec Apple ? Il va se faire bouffer ses technologies ! », s'énerve sur Twitter un nommé Zlidnet. Des analystes et journaux se posent en effet la même question : comment Sharp va-t-il jongler entre les deux ennemis qui ne se parlent que par tribunaux interposé. Apple est un des meilleurs clients des écrans de smartphones et tablettes fabriqués par Sharp, lequel s'est publiquement engagé mercredi à fournir Samsung de façon régulière et à long terme.

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« Le partenariat Samsung-Sharp pourrait avoir de mauvaises conséquences sur l'évolution des relations client-fournisseur entre Apple et Sharp, si le groupe américain craint des fuites d'informations sur ses produits », écrit un analyste du groupe d'informations économiques Nikkei. « Il sera intéressant de voir de quelle façon Sharp gère des liens aussi complexes avec Hon Hai, Qualcomm puis Apple et enfin Samsung », s'interroge aussi un analyste de Vivendi Capital.

D'aucuns pensent néanmoins que Samsung pourrait d'ores et déjà songer à prendre davantage de parts dans Sharp. Inversement, du point de vue stratégique, l'Etat japonais pourrait décider de venir au secours de Sharp dans le cadre de la stratégie de croissance de l'archipel et pour éviter la dispersion des technologies à l'étranger.

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A vrai dire, Sharp a déjà dans le passé reçu une offre publique, qu'il a refusée. C'était il y a à peu près deux ans, lors du projet de formation de l'entreprise Japan Display, dont le nom dit la vocation: l'entreprise d'écrans du Japon. Hitachi, Toshiba, Sony ont accepté de regrouper sous cette seule entité leurs activités de petits et moyens écrans, mais Sharp a refusé d'en être. A-t-il commis une erreur ?
Karyn Poupée
Par Karyn Poupée

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