Quand, en 2010, l'université de Tokyo et de prestigieux centres de recherche japonais se sont intéressés au robot Nao de la société française Aldebaran, toute la diplomatie hexagonale au Japon s'en félicitait haut et fort devant micros et caméras. On se souvient même, à cette occasion, d'une conférence de presse à l'ambassade de France pour louer tant et plus les performances de l'industrie technologique française que représentait Aldebaran. On aurait pu penser que vendre des robots aux Japonais, c'était comme vendre des glaces aux Esquimaux, pourtant, une société française toute jeune y parvenait. Il n'y avait pas de mal à vanter un tel exploit, au contraire, car personne ne dira qu'il est mauvais que les Japonais portent un oeil intéressé sur le savoir-faire et les idées de jeunes pousses du Vieux continent. Mais il y a moins de monde du côté des services de l'Etat pour parler aujourd'hui quand il s'agit de commenter le rachat de 95% (autant dire l'intégralité) du même Aldebaran par le géant des télécoms SoftBank, montée au capital qui s'accompagne du départ du fondateur de la firme de robotique, Bruno Maisonnier. C'est paraît-il à sa demande qu'il quitte le navire. D'aucuns avancent cependant qu'il y aurait eu des tiraillements entre SoftBank et lui.
« Je vends mes parts pour permettre à Aldebaran d'aller plus loin encore avec SoftBank et pour me permettre de me dégager de l'opérationnel en prenant de la hauteur : il se passe tellement de choses fondamentales dans le monde politique, technologique, qui doivent être intégrées aux fondations de la robotique du futur. J'ai besoin de temps pour y réfléchir, j'ai des livres à écrire et des gens à rencontrer à travers le monde », a justifié dans un communiqué M. Maisonnier. Aldebaran Robotics a conçu avec l'aide de SoftBank le robot Pepper que vante le patron de SoftBank, Masayoshi Son, à tout bout de champ, sans jamais dire que le concepteur initial est français.
Aldebaran a aussi donné naissance à un troisième robot appelé Romeo « destiné à approfondir les recherches sur l'assistance aux personnes âgées ou en perte d'autonomie ». M. Maisonnier restera officiellement conseiller auprès de Softbank Robotics et de M. Son considéré en son pays comme un gourou des télécoms. Dans le langage abscons des entreprises japonaises, « conseiller spécial » veut souvent dire qu'on laisse l'homme libre de faire ce qu'il veut à condition qu'il s'abstienne de dire de mal de la société à l'extérieur et on le gratifie d'un salaire pour cela, mais il n'a aucune fonction. Des patrons virés finissent souvent « conseillers spéciaux ».
C'est un Nippon, Fumihide Tomizawa, actuel PGD de SoftBank Robotics et présent dans le groupe depuis 2000 (après trois ans chez le concurrent NTT) qui va prendre la tête d'Aldebaran. Fondée en 2005, cette entreprise, jugée exemplaire parmi les nouvelles pousses françaises, emploie 450 personnes. Son siège est en France, mais elle possède aussi des bureaux en Chine, au Japon et aux Etats-Unis. Désormais, Aldebaran est donc une filiale d'une société nippone. Faut-il s'en féliciter et considérer que c'est une réussite et un exemple à suivre ? Si tel était le cas, les responsables français de l'exportation de l'industrie française daigneraient peut-être répondre à quelques questions pour expliquer cette réussite. Leur refus net de commenter, au prétexte qu'il s'agit « d'affaires de sociétés privées » dit en creux leur sentiment d'avoir failli.
Après tout, il y a cinq ans aussi Aldebaran était une société privée, ce qui n'empêchait pas les diplomates de s'attribuer le mérite de ses premiers succès au Japon. Si c'est désormais perçu comme un échec, il ne faut le cas échéant pas blâmer les Japonais (qui ont l'intelligence d'investir dans les sociétés présentant un potentiel), mais bien ceux qui, du côté français, n'arrivent pas à protéger et garder leurs fleurons ou leurs jeunes firmes prometteuses. Pourquoi Aldebaran n'a pas trouvé de société française de la taille d'un SoftBank pour l'aider ? C'est là qu'il y a matière à s'interroger. Et Aldebaran n'est qu'un exemple des petites entreprises françaises qui se jettent volontiers dans les bras de Japonais aux tiroirs-caisses bien remplis parce que personne en France ne les soutient financièrement. Elles sont plus d'unes dans ce cas dans le domaine des nanotechnologies.
Hasard ou non, ce changement dans la filiale française de robots de SoftBank intervient alors qu'Aldebaran vient de mettre fin au support technique de sa première créature commerciale, le lapin connecté Karotz et que les 300 premiers robots Pepper proposés aux développeurs au Japon ont été attribués en une minute vendredi. « Le nombre de commandes a dépassé la quantité disponible dès l'ouverture de la vente en ligne à 10h00 », a expliqué SoftBank. Le prix du robot seul est fixé à 214 000 yens (1 585 euros) l'unité. Les applications déjà développées et en partie à venir, octroyant à la créature de nouvelles fonctionnalités, sont à payer en sus pour 575 000 yens (4 260 euros) en 36 mensualités. Est aussi proposée une garantie optionnelle pour 380 000 yens (2 820 euros) à régler en 36 fois. Le coût total toutes options comprises dépasse ainsi 1,16 million de yens (8 665 euros). Pour un particulier cela peut sembler cher, mais en tant que plateforme de développement pour des professionnels, ce n'est rien comparé au coût habituel d'un robot et de sa plateforme logicielle, dixit des professionnels du secteur. Robot semi-androïde blanc d'un peu plus d'un mètre de haut, monté sur roulettes, Pepper s'appuie sur l'intelligence artificielle déportée en réseau. En théorie, il est capable d'entretenir une conversation avec une personne en tenant compte des sentiments qu'elle exprime, à condition que cette dernière ne dévie pas trop de la direction dictée par le robot qui est surtout très malin. Il communique aussi à distance avec ses pairs à travers un réseau d'échange de données pour que chacun enrichisse ses connaissances et réagisse de mieux en mieux vis-à-vis des humains.
Un millier de Pepper ont déjà été commandés par le groupe Nestlé au Japon pour devenir assistants-vendeurs de machines à café dans des enseignes d'électroménager. D'autres jouent un rôle similaire dans quelques boutiques de SoftBank. « Pepper est le premier robot à vraiment comprendre les hommes », se plaît à souligner le fondateur et patron de SoftBank, Masayoshi Son, ajoutant que « les enfants de demain sauront dès la naissance communiquer avec des robots ». La prochaine livraison d'un lot de Pepper est prévue cet l'été, a assuré SoftBank qui risque de réserver aussi ces futurs spécimens à des développeurs d'applications afin de doter cet engin de nombreuses fonctionnalités.
Ce n'est peut-être pas encore demain la veille que Pepper sera dans les foyers, en dépit des nombreuses publicités de SoftBank qui laissent penser le contraire.