Live Japon : livre numérique, du manga surtout

Karyn Poupée
Publié le 24 avril 2016 à 14h23
Le Japon est, à bien des égards, le pays des paradoxes : on y voit encore des hommes-sandwichs, qui affichent leurs publicités au pied d'écrans géants, on utilise encore des maquettes en carton dans les émissions de TV enregistrées dans des studios tout 4K. Et l'on pourrait ainsi multiplier les exemples de low-tech dans la high-tech.
C'est aussi le pays où l'on prend parfois de l'avance avant d'accuser un considérable retard. Le Japon a ainsi été le premier pays où l'on a vu apparaître des nouvelles sur mobiles, il y a 15 ans. Mais aujourd'hui, le Japon est à la traîne dans l'adoption des livres numériques. Énormément d'ouvrages ne sortent encore qu'en version imprimée, et pour ceux qui sont publiés également en version électronique, un décalage de trois mois ou plus est généralement appliqué.

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Pour autant, parce que le marché de l'édition est au Japon encore extrêmement important, en chiffres absolus, le montant que représente le numérique n'est pas négligeable. Le total des ventes des ouvrages numériques a atteint 126 milliards de yens (un milliard d'euros) entre avril 2014 et mars 2015 et une progression de l'ordre de 30% était attendue pour l'année suivante (avril 2015 à mars 2016). Le marché des livres imprimés était en 2014-2015 de 750 milliards de yens (6 milliards d'euros).
Ce sont les mangas qui se taillent la part du lion dans le total, avec environ 80% des ventes d'ouvrages numériques. De fait, dans les trains, il est fréquent de voir des passagers lire des mangas sur leur smartphone, et pas seulement des jeunes comme c'était le cas il y a plusieurs années.

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Les liseuses (Kindle, Kobo) sont peut-être moins fréquentes que dans les pays occidentaux, mais les smartphones à très grand écran (de la taille de celui des iPhone 6 plus/6s Plus) sont très prisés.
La lecture des mangas sur mobile, avant l'arrivée des smartphones, était déjà une pratique chez les aficionados du genre, et un marché parallèle s'est développé sur ce support, avec des mangas érotiques et des « autoproduits » (équivalents des fanzines appelés dojinshi qui existent depuis des décennies et sont commercialisés via des circuits parallèles). La création des mangas directement sur tablettes et ordinateurs favorise ce mouvement. En revanche, pour les mangas à grand tirage, il a fallu beaucoup plus de temps pour qu'ils paraissent en version numérique, et encore pas tous. Certains mangaka (et non des moindres) sont encore très réticents et refusent que leurs ouvrages soient publiés pour les smartphones. Exemple: Naoki Urasawa (20th century boys, Pluto, Master Keaton, Billy Bat, etc.).

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L'auteure de ces lignes l'avait rencontré en 2008 et 2009 et il expliquait alors ne pas souhaiter que ses mangas soient publiés en version numérique, car l'écran n'est pas fait pour lire des bandes dessinées qui ont été pensées et créées pour un ouvrage en papier de taille supérieure. L'autre raison, et c'est sans doute la principale, est qu'il y a avec le manga papier la notion de la double page (mihiraki), celle que l'on découvre en tournant et qui est faite pour en mettre plein la vue. Or, cet effet est impossible sur un écran qui ne peut reproduire à la fois qu'une page en taille décente. Urasawa n'a pas changé d'avis depuis ,et il n'est pas le seul. Un autre géant du genre, Takehiko Inoue (Slam Dunk, Vagabond, etc.), partage la même opinion.
Il y en a, en revanche, qui sont d'un avis totalement contraire et qui ont même rendu gratuites les versions numériques de leurs mangas : c'est le cas de Shuho Sato, l'auteur de Black Jack ni yoroshiku. Tous les tomes ont été proposés en téléchargement pour zéro yen, un coup de pub en même temps qu'un coup de gueule à la suite d'une mésentente avec la maison d'édition.

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Ces divergences de point de vue entre les auteurs sont problématiques pour les éditeurs de magazines de prépublication. En effet, au Japon, avant d'être proposés en tomes reliés, la grande majorité des mangas sont publiés en feuilleton dans des périodiques (hebdomadaires, mensuels, bimensuels, bimestriels ou trimestriels). Chaque magazine contient à chaque numéro un nouvel épisode pour chacun des 15 à 20 mangas différents en cours. Or, ces derniers temps, de nombreux magazines de mangas (notamment ceux de la maison d'édition Kodansha) sont proposés en version numérique en même temps que celle publiée en kiosque, avec un mode d'abonnement qui assure ainsi des revenus récurrents aux éditeurs. Mais comme quelques auteurs refusent que leur oeuvre soit dans la version numérique, certains magazines en version électronique sont amputés d'une partie du contenu qui figure pourtant dans la version papier. C'est le cas par exemple de Morning. Le manga en cours, Billy Bat, de Naoki Urasawa, est absent de la version numérique.

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En dépit de ce handicap, les éditeurs de magazines (et pas seulement ceux de périodiques de mangas) sont de plus en plus actifs sur le volet numérique et les ventes de magazines numériques ont ainsi fait un bond de 88% en 2014-2015 pour atteindre 14,5 milliards de yens (116 millions d'euros), ce qui reste très faible au regard des 850 milliards de yens (6,8 milliards d'euros) pour les versions papier mais montre une tendance prometteuse. Les ventes numériques devraient avoir encore fortement grimpé ces douze derniers mois, grâce notamment, à des offres « kiosques » de lecture illimitée sur la base d'un forfait mensuel, proposées par les opérateurs de services mobiles comme NTT Docomo, pour un coût de l'ordre de 3 à 4 euros par mois. C'est l'équivalent du streaming musical, mais pour les magazines.

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Selon la société Impress, qui enregistre les ventes de livres et autres publications numériques, le marché devrait s'élever en 2019 à 289 milliards de yens (2,3 milliards d'euros) pour les livres et 51 milliards de yens (410 millions d'euros) pour les magazines.
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