Troisième film d'une trilogie documentaire post 11 septembre portée par Laura Poitras, Citizenfour dérange. La documentariste a pu capter le cheminement de la plus grande affaire d'espionnage à échelle mondiale : de la prise de contact initiée par l'ex-employé de la NSA, rouage échappé de la machine (pseudonyme Citizen Four), aux répercussions politiques de ses révélations tonitruantes.
Au cœur du film, huit jours d'échange et d'interview entre Edward Joseph Snowden, la réalisatrice Laura Poitras, Ewen MacAskill et Glenn Greenwald, tous enfermés dans une chambre d'hôtel à Hong Kong. C'est ce dernier, journaliste politique pour The Guardian et avocat, qui sortira les affaires successives au grand jour. Une histoire que l'on connait plus ou moins suivant son attachement à la question, mais que le documentaire remet en bonne place dans les esprits : la vie privée est affaire de tous.
De la haute trahison à l'Oscar
Outre la dizaine de récompenses obtenues l'an dernier dans les festivals indépendants, la surprise fut l'Oscar du meilleur documentaire obtenu le 22 février dernier. Un Oscar reçu à la barbe du gouvernement Obama par la réalisatrice, le journaliste Glenn Greenwald, et la compagne de Snowden. Reconnu d'utilité publique par l'ensemble des critiques, Citizenfour cumule également de vraies qualités cinématographiques.Si le film fait preuve d'une indéniable pédagogie et prend le temps d'assembler les pièces du puzzle de l'identité numérique de chacun - de nos « metadata -, arrive le moment où il ne peut s'empêcher de choquer. Ce choc, c'est « seulement » la réalité, la proximité, le fait de vivre avec Ed Snowden, l'homme.
Pour rappel, il ne s'agit en rien d'une reconstitution, les images sont celles tournées quelques heures avant la sortie des affaires. Il a alors 29 ans et ose mettre sa vie entre parenthèses afin de partager et d'expliquer au monde, par l'intermédiaire des trois journalistes présents, la récolte planétaire d'informations personnelles orchestrée par la NSA.
Snowden se révèle tel quel. Entre angoisse et détermination, il apparait réaliste, mais aussi profondément croyant, en l'humain... et en la puissance d'Internet. C'est le geek superhéros, l'administrateur système aux « Privileged Access », espion de série B malgré lui, la paranoïa de la haute trahison en plus.
« Je manipulerai un Rubik's Cube pour que vous puissiez m'identifier »
Ce film ferait un incroyable polar s'il n'était malheureusement pas réel. Le rythme instauré par Laura Poitras force la tension. Un rythme matérialisé par de longs plans sur les infrastructures de surveillances ou, en huis clos, sur un Snowden silencieux, qui contrastent avec la pugnacité des journalistes, Greenwald en particulier. La musique vient renforcer cette impression, les initiés reconnaîtront la patte de Trent Reznor et Atticus Ross de Nine Inch Nails, qui avaient notamment signé la bande originale de The Social Network ou de The Girl with the Dragon Tattoo.Si la forme prise par ce documentaire permet au plus grand monde de se l'approprier, il ne s'agit pas non plus d'un documentaire pop-corn. Comprenez par-là que les deux heures du film nécessitent l'entière attention du spectateur. En outre, Citizenfour ne force pas la bonne morale, il l'ose. Il ose rappeler à tout un chacun que la liberté d'expression n'est valable que par le respect de la vie privée.