Les scientifiques ont compilé des décennies de données sur les espèces animales d'une plaine sous-marine située au milieu du Pacifique. Débordante de vie, elle représente également une manne financière considérable pour l'industrie minière.
Ces activités, destructrices pour l'environnement, mettent en évidence le fossé profond qui sépare les intérêts économiques et écologiques dans de nombreux secteurs, même en 2023.
Une nature sauvage intacte
La zone de Clarion-Clipperton (CCZ) s'étend sur plusieurs milliers de kilomètres entre l'archipel hawaïen et la côte mexicaine, à une profondeur de quatre kilomètres. En raison de son isolement, c'est l'un des endroits les plus vierges de la planète, et sa biodiversité est tout simplement spectaculaire.
Les chercheurs y ont identifié 5 578 espèces différentes, dont 92 % sont nouvelles pour la science. Et, de nombreuses autres pourraient encore être découvertes à l'avenir. Selon une étude menée par Muriel Rabone, écologiste des grands fonds au Natural History Museum de Londres, la majorité des espèces présentes sont des crustacés et des crevettes, suivis de vers, d'oursins et d'éponges.
Si les habitats de cette région sont observés depuis de nombreuses années, les recherches se sont intensifiées ces derniers temps. Grâce notamment aux nouvelles techniques de séquençage de l'ADN, mais également à la multiplication des expéditions de recherche. Ces dernières, en particulier, ont été fortement encouragées par l'industrie minière.
En effet, la CCZ est en passe de devenir une des plus grandes régions d'exploration minière au monde. Elle contient de nombreux métaux précieux tels que le cuivre, le nickel, le cobalt, le fer, le manganèse et des terres rares. Si ces éléments sont toujours indispensables au fonctionnement de l'appareil à partir duquel vous lisez cet article, leur extraction, déjà néfaste pour l'environnement en surface, représente un danger considérable pour les fonds marins.
Des milliers d'espèces menacées
Malgré tout, l'industrie minière y a déjà déposé de nombreuses revendications, le tout sous l'égide de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM), l'organisme intergouvernemental qui en régit l'exploitation. Cette activité est appelée à s'intensifier dans les années à venir, et c'est ce que Muriel Rabone et son équipe cherchent à limiter.
Pour eux, « de nombreuses zones de la CCZ ne sont pratiquement pas échantillonnées, et ce manque de données contribuera à une sous-estimation de la diversité de la région dans son ensemble ». Cela pourrait avoir un impact significatif sur le jugement des décideurs. Puis, ils ajoutent : « Comme des opérations minières pourraient être imminentes, l'application des données sur la biodiversité dans la gestion de l'environnement, en particulier l'évaluation du risque d'extinction des espèces, est un élément essentiel à prendre en considération ».
Les risques environnementaux sont divers. Si les fonds marins sont très sensibles aux perturbations physiques causées par l'exploitation minière, la mise en suspension de grandes quantités de sédiments nuit à de nombreux organismes, même en dehors des zones concernées. De plus, une autre étude publiée dans Frontiers in Marine Science révèle que « les sons produits par de telles opérations, y compris les véhicules télécommandés sur les fonds marins, chevauchent les fréquences de communication des cétacés ». En résumé, rien de très positif.
Cette dernière étude explique que « les perturbations, quelle que soit leur ampleur, risquent d'y être durables et irréversibles ». Cela pourrait inciter l'ONU à intervenir, puisque selon sa Convention sur le droit de la mer, aucun « dommage grave » ne peut être causé à l'environnement par les activités minières. Encore faut-il que cette définition soit bien comprise par tous…
Source : Vice