La fusée H-2B, la plus puissante a avoir décollé de Tanegashima, n'est plus en fonction. Crédits JAXA
La fusée H-2B, la plus puissante a avoir décollé de Tanegashima, n'est plus en fonction. Crédits JAXA

Tout au Sud de l'île de Tanegashima, le Japon prépare ses fusées les plus impressionnantes à s'élancer vers l'orbite. Un site impressionnant, où le pays travaille sur la prochaine génération de ses lanceurs… Mais qui dispose déjà d'une riche histoire !

Pourtant le Japon en a un autre, de centre spatial….

Des débuts sans Tanegashima

Lorsque le tout premier satellite japonais, Ohsumi atteint l'orbite le 11 février 1970, le centre spatial de Tanegashima… n'existe pas. Eh oui, le site historique japonais se situe sur la plus au Sud des quatre îles constituant le Japon, Kyūshū. Il est installé dans une zone isolée, de petites montagnes pointues au bord de mer : c'est le complexe d'Uchinura. Mais là-bas, la place est limitée. Les installations, qui sont taillées dans la roche, sont plus adaptées aux fusées suborbitales ou aux petits lanceurs comme Lambda 4S, qui justement vient d'envoyer ce fameux premier satellite (après 4 tentatives ratées)… Mais le lieu ne convient pas à l'accord que les autorités japonaises viennent de passer avec leurs homologues américains. En effet, au début des années 70, les différentes puissances spatiales autour du monde accélèrent vers l'orbite basse : la course à la lune est terminée, la course commerciale va commencer. Et plutôt que d'avoir à dessiner de zéro des lanceurs de satellites, le Japon a pu compter sur son plus grand partenaire, les Etats-Unis.

La fusée en question s'appellera donc Nippon-1 (ou N-1) et elle est dérivée de l'architecture américaine Thor-Delta, dont elle reprend tout le premier étage, et une partie du reste. Pour en revenir au centre spatial de Tanegashima, il fallait un nouveau site pour pouvoir assembler le lanceur, tester les nouveaux moteurs japonais et faire décoller les fusées. De préférence un peu plus au Sud, pour pouvoir profiter au maximum de l'effet de fronde terrestre et viser la grande nouveauté de l'époque : l'orbite de transfert géostationnaire.

La fusée N-1 japonaise. Crédits JAXA
La fusée N-1 japonaise. Crédits JAXA

Encore une base spatiale !

La nouvelle base est donc installée au Sud de l'île de Tanegashima sur une grande superficie (environ 10 km2, ce qui reste minuscule comparé aux complexes géants d'autres nations spatiales), qui comprend à l'origine une première zone de lancement adaptée au N-1, l'OLC ou Osaki Launch Complex, un grand centre de contrôle, des stations de suivi et d'imposantes installations qui entourent la zone de tests moteurs. Le tout premier décollage a lieu en 1975. Aujourd'hui, la zone de lancement est remplacée par le Yoshinobu Launch Complex, qui accommode deux pas de tirs.

Visuellement, Tanegashima est un petit paradis tropical avec un magnifique paysage côtier, de grandes plages de sable fin, d'imposants rochers noirs qui plongent dans la mer et des vues uniques sur le site de Yoshinobu, qui s'avance vers l'Océan pour surplomber les vagues. Le paysage oscille entre la nature et les grandes installations qui garnissent tous les sites orbitaux de grande échelle au monde : mats parafoudres, bâtiment d'assemblage, large plateforme en béton pour accueillir la fusée, carnaux pour évacuer les gaz au décollage… Au fil du temps, la N-2, qui n'est autre qu'une fusée Delta II américaine sous licence, remplace la N-1 sur le site de Tanegashima. Mais ensuite, le Japon va les remplacer par des lanceurs plus puissants et surtout, conçus dans le pays. Cela coïncide avec la monté en capacité de Mitsubishi Heavy Industries (MHI), qui devient progressivement l'acteur principal du secteur spatial japonais.

Chaque année quelques tirs !

Quatre lanceurs japonais vont encore se succéder à Tanegashima jusqu'à aujourd'hui, avec H-1, puis H-2 et son évolution H-2A, qui est toujours en service. Il y a aussi la version « super lourde » H-2B, qui ne sera utilisée que 9 fois, et uniquement pour transporter le cargo japonais Kounotori vers la Station Spatiale Internationale. 9 succès d'affilée, cependant ! Le centre spatial de Tanegashima aura vu décoller 63 fusées purement japonaises vers l'orbite, et n'a plus connu d'échec depuis 2003, en sachant qu'aucune catastrophe n'a impacté les infrastructures sur place. Au fur et à mesure, le site est resté spécialisé sur les lanceurs les plus imposants, car les « petites » fusées continuent de décoller depuis Uchinura.

Le problème majeur de Tanegashima reste que la base dans son ensemble n'a pas été conçue pour autre chose que des vols taillés sur mesure. Ce qui ne pose aucun problème lorsqu'il faut préparer une sonde interplanétaire comme les missions Hayabusa ou la sonde émiratie Hope (Al-Amal) partie visiter Mars. Mais cela reste peu adapté pour des opérations commerciales ou pour une cadence de vol excédant 6 à 7 campagnes de vol par an. Le marché sur place n'est pas vraiment ouvert à la concurrence, et le rythme des lancements est donc fixé en accord entre l'industriel MHI et le gouvernement japonais, qui est l'opérateur et le client quasi-exclusif des vols depuis Tanegashima, que ce soit pour sa branche civile, l'agence spatiale japonaise JAXA ou bien ses forces armées (les discrets satellites optiques, radar et de communication japonais forment une flotte très capable).

Les deux sites de lancement très rapprochés à Tanegashima. Tout est pourtant optimisé pour une efficacité maximale... Crédits JAXA

Il manque donc les moyens pour que Tanegashima puisse se donner l'ambition de devenir une base commerciale concurrentielle avec le Centre Spatial Guyanais ou la Space Coast, qui reste la référence. D'autant que le newspace japonais n'y a pas encore tout à fait ses entrées.

Le futur en ligne de mire

Tanegashima continue cependant de se transformer au rythme du spatial japonais. Sur place, les installations sont déjà prêtes pour accueillir le nouveau lanceur H-3, qui devrait décoller pour son vol inaugural en 2022. Plus puissant, plus modulaire et moins coûteux, il est censé faire entrer le Japon dans une ère plus ouverte aux contrats et aux clients internationaux. Pour l'instant, cela ne s'est pas encore traduit par une avalanche de contrats, car il reste tout à prouver… mais la base change et se tient prête à accélérer le rythme. A terme, deux pas de tirs seront adaptés à H-3 et le bâtiment d'assemblage vertical devrait pouvoir accueillir de quoi supporter deux campagnes en parallèle jusqu'à un certain point. Le long de l'océan, où la météo est parfois capricieuse, on entendra encore longtemps les fusées faire vibrer l'air des îles au Sud du Soleil Levant…

La fusée H-3, future star de Tanegashima. Crédits JAXA