Plus d'un mois après le vol et l'atterrissage réussi du prototype de Starship SN15, le site de SpaceX au Texas se transforme à grande vitesse. Fini les essais dans l'atmosphère : cette fois l'entreprise vise l'orbite. Un changement d'échelle qui révèle les ambitions du programme.
Mais peut-être pas la fin des explosions…
Ca marche, on passe à la suite
Le 5 mai dernier, le petit incendie sur le site d'atterrissage du prototype Starship SN15 n'était pas encore totalement dissipé que les questions sur l'avenir du programme florissaient déjà. Et pour cause, une nouvelle page venait de se tourner : depuis le mois d'octobre 2020 et la première apparition d'un Starship « complet », SpaceX s'était lancé dans une suite d'essais de vols atmosphériques avec un profil particulier. Un décollage classique à la verticale avec trois moteurs allumés, puis l'extinction progressive de ces moteurs avant d'arriver, entre 10 et 12 kilomètres d'altitude, au basculement du grand véhicule à l'horizontale.
Dirigé par ses plans canards à l'avant et ses ailerons à l'arrière, Starship rallumait alors ses moteurs, revenant à la verticale du site pour une manœuvre de freinage à haut risque à l'issue de laquelle il devait se poser. Il fallut cinq essais pour que le prototype SN15 réussisse l'ensemble de ces manœuvres chorégraphiées. Avec un véhicule intact après son premier vol, SpaceX pouvait alors faire évoluer le programme dans plusieurs directions.
Starship tout seul, c'est fini ?
Après un tweet d'Elon Musk qui laissait penser que Starship SN15 volerait à nouveau, personne ne fut surpris de voir les grandes grues mobiles déplacer l'imposant véhicule depuis la « dalle » d'atterrissage jusqu'à un socle de lancement situé quelques centaines de mètres plus loin. Mais soit les priorités ont changé, soit le modèle n'est plus représentatif des futurs Starship, à moins qu'il y ai eu quelques dégâts invisibles sous la jupe de Starship… Toujours est-il qu'après quelques jours le 24 mai, les équipes de SpaceX ont démonté les trois moteurs Raptor pour les envoyer en camion sur le site de test à McGregor (Texas) et évaluer leur état sur place.
Et pas question de les remplacer : Starship SN15 a rapidement quitté le site de lancement pour un « stockage de longue durée » dans un coin du tentaculaire site de production de SpaceX à Boca Chica. Il pourrait y rester en exposition à la verticale, mais si on suit l'exemple les autres exemplaires ayant survécu à leurs vols l'année dernière, il est plus probable qu'il soit ferraillé.
Direction l'orbite
L'option retenue, c'est en fait de faire foncer le programme Starship vers l'orbite. Ainsi, il aura visiblement suffi d'un seul test d'atterrissage réussi pour donner la confiance nécessaire aux équipe pour passer à l'étape supérieure. Et quel changement !
En effet un vaisseau Starship ne peut atteindre l'orbite seul : il faut pour cela qu'il décolle sur un premier étage taillé à sa démesure, SuperHeavy. Et il semble que SpaceX n'a pas retenu l'option de faire un SuperHeavy « de test » supplémentaire. Celui qui est en cours d'assemblage devrait bel et bien accueillir 29 (oui, vingt-neuf) moteurs Raptor et décoller de Boca Chica avec un exemplaire de Starship équipé, lui, de trois moteurs classiques et trois moteurs adaptés au vide.
Tout ça, en sachant que l'étage SuperHeavy devra lui aussi revenir se poser ! Plus qu'un changement d'échelle, nous sommes face ici à une progression terriblement ambitieuse. Désormais, le prochain vol depuis le site du Texas ne sera plus celui d'un prototype atmosphérique de 50 mètres de haut, mais d'un lanceur orbital de 120 mètres.
Le profil du premier vol orbital est d'ailleurs connu, car SpaceX a du demander des autorisations aux autorités américaines afin d'en valider différents éléments… Si toutefois le projet ne change pas d'ici l'été, Starship devrait décoller avec SuperHeavy et se diriger vers l'orbite basse. Et tandis que le premier étage reviendra se poser en mer sur une plateforme au large des côtes (pas question de risquer le site de lancement cette fois-ci), Starship utilisera ses moteurs pour atteindre la vitesse orbitale et tester quelques manœuvres.
Toutefois, le vaisseau de SpaceX ne devrait pas couvrir une orbite entière. Il devrait en effet freiner au-dessus de l'Asie du Sud-Ouest pour traverser l'atmosphère et se poser à la verticale… Dans l'océan Pacifique, juste au large de Hawaï. De quoi récupérer un maximum de données, et viser une mission plus ambitieuse encore tout en minimisant les risques, que ce soit pour les occupants de Boca Chica ou pour le public en général. Et peut-être aussi de simplifier l'obtention d'une autorisation de vol de la part de la pointilleuse FAA (on n'attend pas moins d'une agence nationale) qui observe de près les essais.
Festival bétonnières et grues 2021
Mais pour que le programme Starship atteigne cette nouvelle phase, il faut que le site de lancement soit modifié de fond en comble afin d'accueillir les opérations orbitales. Depuis le mois d'avril, et même avant le décollage du prototype SN15, une véritable armada d'ouvriers s'active pour transformer ce qui n'était il y a quelques mois qu'une zone dégagée en un ensemble de lancement. Un programme qui entraîné un véritable ballet de grues gigantesques et d'équipes de BTP. La bétonisation de la zone a largement accéléré, et les structures émergent rapidement.
L'élément le plus visible est sans doute la « tour de lancement ». Cette dernière est située à côté du socle et de la table de lancement qui accueillera le duo Starship-Superheavy. Elle est présente pour soutenir le gigantesque lanceur à la verticale, pour ravitailler la partie haute (Starship) en carburants et sera équipée d'une grue pour les opérations d'assemblage finales.
Dans un scénario qui est encore incertain, elle pourrait aussi à l'avenir récupérer l'étage SuperHeavy lors de son retour sur Terre grâce à une paire de « bras » s'accrochant à ses grilles de stabilisation. Assemblée par segments d'environ 20 mètres chacun, la tour dépasse déjà les 80 mètres de haut aujourd'hui. Les équipements annexes comprenant le système de déluge, la table de lancement, les réservoirs au sol et la titanesque plomberie qui va parcourir le pas de tir sont en cours d'assemblage.
Moins de Starship à construire ?
La priorité étant établie sur les vols orbitaux, la cadence a baissé sur le site de production : plus besoin d'un prototype Starship toutes les trois à quatre semaines. L'exemplaire SN16, qui était prêt pour un transfert et une tentative de vol atmosphérique à son tour reste donc pour l'instant dans le hall d'assemblage. Son avenir est incertain : opèrera-t-il un essai en juillet/août ou se verra-t-il directement renvoyé au démontage ?
SpaceX et ses équipes ont réservé le même sort à tous les autres prototypes avant SN20 (différents éléments de réservoirs ou aérodynamiques produits pour SN17, 18 et 19 ne serviront donc jamais), tandis que les efforts sont maintenant portés sur SuperHeavy. Un simulateur du bas de l'étage (nommé BN2.1 par les observateurs) a subi quelques essais, dont un sous pression à température cryogénique, ces derniers jours, avec un apparent succès. Reste que le prochain vol n'est pas prévu pour demain.
En effet, les travaux de BTP et de préparation aux opérations vont se poursuivre sur le site de lancement tout le mois de juin, et probablement tout au long du mois de juillet. Puis, il faudra guetter l'arrivée sur la nouvelle zone du booster SuperHeavy, qui ne passera pas inaperçu avec ses 70 mètres de haut. Avec ou sans exemplaire Starship sur ses épaules, il devra subir une campagne de tests au sol, tant pour tester les capacités de ses réservoirs que celles du site lui-même, avant un essai d'allumage de ses moteurs.
Une fois toutes ces étapes réussies, alors seulement pourra-t-on envisager d'observer la fusée la plus puissante de son temps grimper vers l'orbite. Il reste encore quelques pas de géant avant d'y arriver…