Rare photographie d'un décollage de lanceur Volna  depuis un sous-marin. Crédits Planetary Society
Rare photographie d'un décollage de lanceur Volna depuis un sous-marin. Crédits Planetary Society

Avec l'effondrement du bloc soviétique puis les problèmes monétaires de la Russie dans les années 90, les idées originales fleurissent. Et s'il est possible de transformer des missiles pour en faire des lanceurs de satellites, pourquoi ne pas les envoyer directement depuis un sous-marin ?

Le concept a toutefois depuis été remis au placard.

La Russie a un incroyable talent

Le missile R-29R n'est pas un jouet. 35 tonnes environ, capable d'envoyer des ogives nucléaires multiples à une distance de 6500 km, celui qui fut surnommé le SS-N-18 par les puissances de l'Otan était justement conçu pour les annihiler. Une arme au cœur de la guerre froide, décollant depuis les sous-marins soviétiques Delta, qui en transportaient 16 chacun. Surgissant depuis la banquise, la mer de Barents ou du Nord de l'Atlantique, ces sous-marins lanceurs d'engins (SNLE) participaient à la dissuasion nucléaire. La flotte soviétique comptait un nombre imposant de ces sous-marins à la fin des années 80, et lors de l'effondrement de l'Union Soviétique, ce sont près de 40 sous-marins de classe Delta (de différentes générations) et leurs équipages qui ont été mis à quai.

Bien sûr, une partie a continué de naviguer, et même durant les années les plus difficiles pour le budget de la Russie actuelle (autour de 1996), une partie des SNLE n'a cessé de patrouiller. Mais durant cette période, tout est bon pour tenter de rentabiliser les investissements, tout en conservant un maximum de talents en Russie. Les missiles balistiques font-ils de bons lanceurs orbitaux ?

Vue d'artiste d'un sous-marin de classe Delta en plein déclenchement (ou riposte) de guerre nucléaire. Oui, mais si c'était un satellite, en fait, sous la coiffe ? Crédits Russian MOD
Vue d'artiste d'un sous-marin de classe Delta en plein déclenchement (ou riposte) de guerre nucléaire. Oui, mais si c'était un satellite, en fait, sous la coiffe ? Crédits Russian MOD

Thérapie de conversion

Sur le papier, c'est en effet une option intéressante. Les missiles balistiques sont des matériels fiables qui peuvent par définition rester stockés longtemps avec leurs ergols chargés, et transporter de manière précise des charges utiles qui pour le R-29R dépassent les 1,6 tonnes. Partant de là, pourquoi ne pas ajouter un petit étage supérieur pour envoyer en orbite basse un (ou plusieurs) petit satellite ? Bien entendu, il faut prévenir les puissances étrangères que le sous-marin compte faire décoller un satellite et pas une ogive thermonucléaire, car les militaires ont tendance à devenir nerveux, mais si tout est mené dans les règles, cela devrait marcher. Bien sûr, les premiers tirs sont suborbitaux : dans les années 90, il existe peu de possibilités privées pour ces charges utiles, et les missiles n'ont même pas besoin d'être modifiés pour envoyer de petites charges quelques dizaines de minutes en impesanteur.

Il a un drôle d'air, votre lanceur de satellites, là. Crédits Russian MOD

Touché coulé

Aussitôt dit, aussitôt proposé. L'avantage d'un sous-marin sur une base orbitale, c'est qu'il peut se déplacer et donc viser des trajectoires économisant de l'énergie… Mais il faut alors des autorisations, et les sous-marins Delta, même pour un tir « démilitarisé » restent des vaisseaux de guerre. Résultat, les premiers tirs n'auront lieu que depuis la mer de Barents, au Nord du Cercle Polaire. C'est un missile R-29R à peine modifié qui débute la campagne en 1995, qui prendra le nom de « Volna ». Le tir a lieu le 7 juin, et c'est un succès. Mais Volna n'embarque pas d'étage supérieur, et se limite donc à des vols suborbitaux. Ce lanceur est très peu connu, pour une bonne raison… Ses trois autres vols ont été des échecs. Lors du 2è lancement en 2001, les charges utiles, incluant une première expérience de voile solaire de la Planetary Society américaine, ne réussissent pas à s'éjecter du missile. Les deux derniers tirs sont tout aussi contrastés, dédiés à un prototype de bouclier thermique gonflable qui ne va pas fonctionner.

Tout est dans le tube

Une autre fusée/ex-missile R-29 décollera d'un sous-marin le 4 octobre 1997, 40 ans jour pour jour après Spoutnik. Mais il s'agissait là encore d'un tir suborbital (la version utilise un missile SS-N-8 plus vieux et donc à seulement deux étages propulsifs). Il faudra attendre 1998 pour voir le premier satellite en orbite qui a pu décoller d'un sous-marin ! Les deux premiers, même, TUBSAT-N et TUBSAT-N1, d'une masse de 8,5 kg chacun et de dimensions minimalistes (32 x 32 x 10cm). Financés par l'Allemagne, ce sont des satellites démonstrateurs de technologie d'antennes et de petits transpondeurs. Ils décollent depuis le sous-marin K-407 Novomoskovsk, toujours depuis la mer de Barents, sur une version modifié de missile R-29RM (SS-N-23) nommée Shtil'. Cette dernière est plus puissante que ses cousines utilisées jusque là et donc capable d'atteindre une orbite basse de 400 x 772 km d'altitude.

Il ressemble à un missile balistique ? Normal, c'en était un. Mais ça, c'était avant... Crédits Russian MOD

Certains saluent l'exploit les mâchoires serrées, car un marché commercial centré sur les stocks impressionnants de missiles balistiques russes pourrait entrainer le secteur des lanceurs dans une crise… Et amener de gros capitaux à la Marine Russe, qui reste malgré le service « commercial » bénéficiaire d'une grande partie des fonds. D'autres voient se profiler le même succès pour la Marine que pour leurs collègues des forces terrestres, dont les ex-missiles sont régulièrement utilisés comme lanceurs orbitaux : Dnepr, Rockot, Strela sont d'ores et déjà en fonction.

Shtil' loving you

Toutefois, que ce soit dû à la concurrence de ces autres missiles démilitarisés, ou à d'autres paramètres économiques (voire à la réputation des sous-marins russes après la catastrophe du Koursk en 2000), les décollages orbitaux depuis les sous-marins lanceurs d'engins n'ont pas trouvé le succès qui leur était dévolu juste avant les années 2000. Malgré la réussite du premier décollage de Shtil' en 1998, il n'y aura aucune autre tentative orbitale en 7 ans ! Et là encore, la fiabilité n'est pas vraiment au rendez-vous : un tir de Volna-O, modifiée pour pouvoir envoyer une centaine de kilogrammes en orbite basse, échoue à son tour avec une nouvelle tentative de la Planetary Society d'envoyer une voile solaire. En mai 2006, Shtil' réussit pourtant son deuxième décollage avec un satellite de 80 kg, Kompas-2.

Le satellite Kompas-2, qui n'était pourtant pas si miniature que ça... Crédits IZMIRAN via eoportal

Là encore, on croit le marché relancé. L'Afrique du Sud signe pour un vol supplémentaire, d'autres versions de Shtil' avec une coiffe modifiée et même avec des lancements depuis des silos modifiés à terre sont prévus. Simplement… Ils n'auront jamais lieu. Ces « microlanceurs » avant l'heure ne prennent pas, les restrictions liées à la nature militaire des tirs, mais aussi les difficultés logistiques compliquent la tâche à des lanceurs déjà peu puissants. Les opérateurs de satellites légers finissent par se tourner vers d'autres solutions (départs depuis l'ISS, décollages groupés avec d'autres microsatellites, et de nos jours les microlanceurs comme Electron de Rocket Lab).

Un lanceur Dnepr, lui aussi directement dérivé d'un missile balistique intercontinental. Crédits Russian MOD

L'histoire retiendra que cette idée originale n'a pas pris… pour l'instant. Avant son retour, comme pour les fusées lancées par bateau ?