Afin de montrer qu'elle est capable de mener à bien une mission au long cours, l'agence spatiale indienne a réussi à concevoir et à réaliser la mission martienne Mangalyaan en quelques mois et pour moins de 100 millions de dollars. Un exploit qui va se poursuivre jusqu'en 2022 !
Son ambition était néanmoins limitée aux démonstrations de technologie.
Après la Lune, décrocher Mars ?
Après un premier « coup » réussi avec la sonde lunaire Chandrayaan, l'Inde spatiale pouvait-elle doubler la mise ? Les annonces vont bon train, mais il a fallu attendre 2010 pour qu'officiellement, une étude de faisabilité soit lancée pour une « Mars Orbiter Mission ». Ce projet a quasi immédiatement pris le diminutif de MOM, ou Mangalyaan.
La fenêtre visée (pour rappel, il n'est vraiment efficace d'envoyer des sondes vers Mars qu'une fois tous les 2 ans ou 26 mois) est d'ores et déjà fixée à fin 2013. Néanmoins, que proposer à cet horizon ? Les ambitions politiques sont là, mais l'ISRO doit faire beaucoup avec peu. De plus, l'agence indienne fait déjà face à une situation complexe avec son lanceur le plus ambitieux, GSLV, qui n'est pas du tout au point. Résultat, il n'y a pas le temps d'innover. Comme Chandrayaan, la plateforme de l'orbiteur martien reprendra celle des satellites géostationnaires produits par l'Inde, et le véhicule décollera grâce à la petite fusée PSLV.
L'espace pour moins cher
Le budget est lui aussi contraint : l'ISRO ne dispose que de 74 millions de dollars pour développer sa sonde, ce qui exclut de fait tout instrument très complexe, y compris ceux développés à l'étranger. MOM embarque tout de même pour environ 15 kg de matériel, dont un bon imageur (un optique, un thermique), un instrument pour compter les particules chargées dans l'environnement exo-atmosphérique et un double instrument dédié à la haute atmosphère, censé mesurer les pertes en molécules d'eau martienne dans l'espace profond et la concentration des molécules de méthane (mais ce dernier détecteur a un problème logiciel et ne fonctionne pas bien).
Néanmoins, l'essentiel est ailleurs. Les équipes d'ingénierie font surtout leur possible pour que la sonde soit fiable et puisse communiquer avec la Terre d'aussi loin que Mars. Et fin octobre 2013, le contrat est rempli : MOM est prête.
En route par étapes
Le décollage fait grand bruit, le 5 novembre 2013. Et pas uniquement parce qu'il réussit et que la mission martienne de l'ISRO (encore en orbite terrestre) est enfin dans l'espace. C'est notamment parce que cet automne-là, le film Gravity fait un carton auprès du public dans les salles obscures mondiales et déclenche un engouement certain… pour une mission qui a coûté moins cher que le budget hollywoodien du film d'Alfonso Cuarón !
Mangalyaan a donc décollé, et son orbite ne l'éloigne que de 23 500 km de la Terre ! En effet, la fusée PSLV n'a pas la puissance nécessaire pour faire plus. Il faut donc que MOM elle-même allume son moteur à plusieurs reprises pour hausser son orbite d'abord, puis quitter l'attraction terrestre pour entamer son voyage vers Mars. Plus de la moitié de la masse du véhicule de 1 350 kg est constituée uniquement de carburant !
Il faudra 25 jours et 7 manœuvres au total pour se mettre en route pour la planète rouge. Mais même si le départ est un peu chaotique (le 10 novembre, l'un des allumages est incomplet), Mangalyaan est en route le 30 novembre et répond aux commandes.
La Mars Orbiter Mission ne dispose pas d'une vitesse importante pour son trajet vers Mars, qui nécessite par ailleurs quatre corrections de trajectoire. Cela explique l'arrivée en septembre 2014 uniquement, avec un seul allumage moteur décisif qui va durer 23 minutes !
L'opération est déjà prévue, mais le succès est loin d'être garanti. Et pourtant, MOM entre en orbite de Mars et contacte les équipes vers la Terre. Cette prouesse est saluée dans le monde entier, car l'Inde devient ainsi la 4e puissance à réussir une mission martienne (après les États-Unis, la Russie et l'ESA).
La sonde est sur une orbite qui dure 3 jours et l'amène à la fois très près de la surface, à 421 km (assez pour traverser des particules atmosphériques), et très loin, à presque 77 000 km, une distance idéale pour observer le « disque » martien et sa rotation. Mieux, il reste 40 kg de carburant dans le réservoir, assez pour plusieurs années d'activité.
Autour de Mars, et après ?
Si le succès de l'insertion en orbite autour de Mars ne fait aucun doute, la sonde et sa mission tomberont progressivement dans une discrète routine loin des lumières médiatiques. En effet, MOM n'a pas d'objectif scientifique majeur, et sa démonstration de faisabilité est là : elle communique avec la Terre, prend des images et des mesures, et peut manœuvrer au besoin. D'ailleurs les équipes indiennes ne cherchent pas non plus à promouvoir outre mesure les photographies de la petite caméra couleur. Cette dernière n'a pas la qualité offerte par d'autres véhicules déjà en orbite autour de la planète rouge.
Pourtant, cette politique surprend de nombreux chercheurs dans la communauté scientifique, car la construction de la connaissance est plutôt parcellaire autour de Mars. Grosso modo, « toutes les images peuvent aider ». Et lors de ses passages proches de la surface, MOM prend des clichés relativement inédits, avec de fortes inclinaisons vers l'horizon. L'ISRO ouvrira à plusieurs reprises les données de la sonde aux différents laboratoires autour du monde, même si peu de données seront finalement rendues publiques.
Apprendre à opérer une sonde martienne
MOM devient pourtant rapidement une experte, et surtout pour survivre aux événements ! Dès le mois d'octobre 2014, les équipes la font manœuvrer avec succès pour qu'elle évite tout effet lié à la comète Siding Springs qui passe à proximité de Mars.
Puis elle réussit à passer les périodes de deux semaines où le Soleil se situe entre la Terre et Mars, bloquant toutes les communications, les éclipses (sa batterie ne peut tenir plus de 1 h 40 sans rechargement des panneaux) et la baisse de niveau de ses carburants. Ses maigres qualités scientifiques sont tout de même mises en avant sur la durée, avec plusieurs publications de résultats dans des revues à comité de lecture. Et pour l'Inde, MOM est restée plusieurs années durant (alors que sa mission initiale s'était achevée en 6 mois) le témoin endurant qu'il était possible d'accomplir beaucoup avec peu.
Ces dernières années, les rumeurs se sont multipliées sur la fin de mission de MOM, la sonde transmettant à des intervalles assez espacés. Son potentiel de « webcam sur Mars » n'a jamais été véritablement exploité, et les grandes antennes indiennes ont depuis fort à faire avec d'autres satellites autour de la Terre, mais aussi avec la mission Chandrayaan 2 autour de la Lune.
MOM était un peu hors circuit. Elle ne relayait pas les données vers les grandes antennes de la NASA, ne s'occupait pas des rovers au sol et n'était pas compatible avec ses voisines pour coordonner les observations. N'empêche, elle aura poursuivi sa mission jusqu'à 2022. L'ISRO a annoncé la fin des tentatives pour communiquer avec la sonde en septembre. Le contact a été perdu entre mars et avril, après une série d'éclipses de plus de 7 heures d'affilée que MOM n'avait pu éviter par manque de carburant de manœuvre. L'Inde compte bien s'inspirer de cette aventure pour de futures missions en préparation, en particulier vers Vénus.