Vue d'artiste du rover sur sa plateforme d'atterrissage. Pour la vraie, rendez-vous en avril prochain ! Crédits CNSA
Vue d'artiste du rover sur sa plateforme d'atterrissage. Pour la vraie, rendez-vous en avril prochain ! Crédits CNSA

Ce 23 juillet, l'agence spatiale chinoise a fait décoller la mission Tianwen-1 avec son lanceur le plus puissant. Première aventure chinoise à réussir son départ vers une autre planète, elle ne manque pas d'ambition. 

Tianwen-1 tentera même de poser un impressionnant rover sur la planète rouge.

La Chine frappe un grand coup

Après des années de préparation, la mission Tianwen-1 a décollé ce matin depuis le site de Wenchang à 6h40 (Paris). La couverture médiatique de l'événement était réduite à son minimum au moment du lancement : contrairement à des projets similaires en Chine, l'agence et la télévision chinoise ne proposaient pas de direct… Mais l'envoi de la sonde est néanmoins un indiscutable succès pour l'agence spatiale chinoise. A présent en transit pour 7 mois environ, Tianwen-1 est la première mission du pays à réussir à partir vers une autre planète.

Car pour l'exploration de Mars, la Chine restait sur une frustration. Celle de Yinghuo-1, petite sonde prévue pour orbiter la planète rouge, qui a décollé en 2011. Malheureusement pour eux, elle était accolée à la sonde russe Phobos-Grunt, qui après un problème de moteur ne quitta jamais l'orbite basse terrestre… Un échec marquant, qui a mené le pays à fournir de grands efforts pour monter Tianwen-1, cette fois absolument indépendante.

Le lanceur CZ-5, particulièrement photogénique, s'élance dans le ciel du bord de mer. Crédits CNSA
Le lanceur CZ-5, particulièrement photogénique, s'élance dans le ciel du bord de mer. Crédits CNSA

Tianwen-1 est en route !

Tianwen-1, que l'on peut traduire par « questions au ciel » ou « aux cieux », en référence à un poème, est une mission « 3 en 1 » de pratiquement 5 tonnes, qui a nécessité le plus puissant des lanceurs chinois, CZ-5, à disposition pour s'envoler vers Mars. Son développement a été officialisé en 2016, après plusieurs années d'études, et il réunit les plus prestigieux instituts de recherche spatiale étatique chinois (CAST, CALT, SAST). Et il faut bien ces efforts communs pour parvenir à la première mission martienne qui tente d'envoyer d'un coup une mission avec un orbiteur et une plateforme atterrisseur avec un rover. Dans un premier temps, la mission gardera ses différents éléments attachés pour le transit jusqu'au mois de février 2021, et durant l'insertion en orbite de Mars (prévue autour du 11-15 février).

Si la Chine arrive à rejoindre le club restreint des puissances spatiales capables d'entrer en orbite de la planète rouge (seuls les Etats-Unis, l'ESA, l'URSS-Russie et l'Inde y sont parvenus aujourd'hui), la mission Tianwen-1 entrera dans une nouvelle phase d'observation de Mars. Deux mois sur une ellipse qui ramènera le véhicule à moins de 280 km de la surface, afin de pouvoir y photographier les moindres détails… Notamment de la future zone où son atterrisseur va devoir se poser.

La Chine semble avoir aujourd'hui sélectionné une région d'Oxia Planum (quelques centaines de kilomètres au Sud de Viking et à l'Est de Perseverance) pour tenter d'y amener son robot à six roues et sa plateforme d'atterrissage. Ces deux derniers éléments, qui ont décollé dans une coque protectrice, seront éjectés au cours du mois d'avril 2021 avant de devoir freiner et traverser l'atmosphère de la planète rouge.

La mission Tianwen-1 en préparation. Notez la grande antenne pour communiquer avec la Terre, et la capsule sur le dessus qui contient l'atterrisseur + rover. Crédits CNSA/CAST

Pourquoi s'arrêter en orbite ?

Les équipes chinoises ont amplement préparé cet atterrissage, qui fera intervenir d'abord un freinage à l'aide d'un bouclier protecteur, suivi par une seconde phase de ralentissement grâce à un unique grand parachute supersonique (il se déploie lorsque l'ensemble est encore au-delà de la vitesse du son). La plateforme atterrisseur est ensuite éjectée. Basée sur les succès lunaires Chang'E 3 et Chang'E 4, elle devrait suivre le même schéma de descente : un freinage rapide, suivi d'une petite période de vol stabilisé pour laisser le temps à son ordinateur de bord de se repérer sur les images, avant la fin de la descente pour se poser sur une zone dégagée. Mais les nombreux tests de parachute en haute altitude, les essais du système de positionnement et les atterrissages lunaires ne peuvent tout simuler, et se poser sur Mars reste en 2020 un exercice incroyablement difficile. Seuls les Américains ont pour l'instant réussi à opérer des missions après leur atterrissage sur la planète rouge…

Le rover est un grand véhicule téléguidé de la taille d'une table de salon, que l'on peut comparer à ses cousins américains Spirit et Opportunity lancés en 2004 (même s'il est un peu plus lourd avec 240 kg). Il est alimenté par un système de panneaux solaires, capable de se déplacer en semi-autonomie grâce à un système de navigation intelligent, de franchir des obstacles jusqu'à 30 cm grâce à ses six roues et son système de suspension. A noter qu'il recevra probablement un nom officiel le jour de son atterrissage, et qu'il est prévu pour résister aux conditions martiennes sur une durée prévue de 3 mois. Pour communiquer avec la Terre, il profitera d'un accord avec l'ESA pour relayer ses signaux grâce à la sonde Mars Express, mais surtout il pourra échanger avec la partie orbitale de Tianwen-1. Cette dernière, d'une masse de 3.2 tonnes carburant compris, continuera en effet sa mission autour de Mars durant au moins deux ans (une année martienne) après l'éjection du rover.

Ecussons de la mission en vente au format pin's sur le site Taobao. Crédits CNSA/SCIFI Chine/taobao

Une riche mission technique et scientifique

Pour la Chine, la mission Tianwen-1 est d'abord l'occasion unique d'expérimenter avec des sondes au long cours. Certes, elle a déjà envoyé des véhicules au points de Lagrange Terre-Soleil (et Terre-Lune), mais la distance avec Mars est incomparable. Opérer longtemps une sonde à une telle distance requiert des compétences particulières, et notamment un réseau de stations au sol (l'ESA et l'Argentine vont coopérer un peu, dans le cadre d'accords inter-agences).

La télémesure du véhicule sera aussi importante, pour évaluer son état au fil des mois et des années autour de Mars. Il y aura peut-être des erreurs, des redémarrages, des soucis logiciels : après tout quitter le système Terre, c'est s'aventurer loin du confort. Dans tous les cas la Chine pourra en retirer de riches enseignements pour la conception de ses futures missions. Sans compter l'expérience au sol sur Mars, s'il y arrivent…

Photo officielle de la mission avec l'équipe de préparation et le véhicule, partagée sur les réseaux sociaux chinois. Crédits CNSA/CAST

Cela dit, sur le plan scientifique, ce n'est pas qu'une mission pour la « gloire nationale » : les deux éléments principaux sont très bien dotés si on en croit les différentes sources d'informations, avec 7 instruments scientifiques pour la sonde en orbite de Mars :

  • Les deux appareils photographiques MoRIC et HiRIC à moyenne et haute résolution. Le premier est là pour des vues globales et régionales de Mars, le second pour capturer et cartographier notamment le site d'atterrissage. HiRIC pourrait atteindre une résolution de 50 cm au sol, proche de celle du célèbre instrument HiRISE de la sonde NASA MRO.
  • Un radar capable d'analyser la surface et le sous-sol, notamment à la recherche de glace d'eau.
  • Un spectromètre visible/infrarouge spécialisé pour étudier la composition des minéraux à la surface.
  • Un magnétomètre et deux détecteurs de particules pour analyser l'environnement magnétique, ionisant, les vents solaires et les particules atmosphériques présentes dans le voisinage du véhicule.

Le rover quant à lui est très inspiré des missions lunaires chinoises, on y retrouve :

  • Une double caméra stéréoscopique pour la navigation
  • Une caméra multispectrale pour étudier le sol, les roches et leur possible composition.
  • Un spectromètre laser qui pulvérise la roche, qui n'est pas sans rappeler celui que la France fournit Curiosity et Perseverance.
  • Un radar de sol identique à celui des petits rovers Yutu. La communauté scientifique a de grandes attentes sur ses résultats.
  • Une petite station météorologique (inutile sur la Lune, mais très pertinente sur Mars, d'autant qu'il y en a une autre active un peu plus loin sur InSight et sur Perseverance).
  • Un autre magnétomètre.
Quasi-unique photographie du rover de la mission à l'occasion d'un test en chambre à vide. Crédits CNSA/CAST

Si la Chine suit le même schéma que pour ses autres missions d'exploration, une majorité des données scientifiques et techniques seront uniquement à disposition des équipes de Tianwen-1 la première année, à la suite de quoi les résultats des mesures et les images sont régulièrement ouvertes au public et à la communauté scientifique.

Toujours plus d'ambitions d'exploration

Tianwen-1 s'insère dans un grand plan d'exploration de notre Système Solaire par la Chine, qui augmente graduellement ses moyens et ses capacités techniques. Après plus d'une décennie de succès lunaires (et un agenda taillé sur mesure pour notre satellite), cette mission est la première d'une série qui s'aventurera plus loin, avec d'audacieuses missions en préparation. On peut citer notamment ZhengHe qui devrait visiter et collecter des échantillons d'un astéroïde à partir de 2022-2024, ou la préparation de missions vers Venus et Jupiter. Enfin, si l'orbiteur et le rover de Tianwen-1 réussissent leur prouesse, le pays donnera sans doute son feu vert pour sa propre mission martienne de récupération d'échantillons, à l'horizon 2028-2030.