Lime : « On assiste à une normalisation des trottinettes électriques » (Arthur-Louis Jacquier)

Alexandre Boero
Par Alexandre Boero, Journaliste-reporter, responsable de l'actu.
Publié le 23 octobre 2019 à 18h12
Arthur-Louis-Jacquier.jpg
Arthur-Louis Jacquier, directeur général de Lime pour Paris (© Lime)

INTERVIEW - L'opérateur américain renforce sa politique de stationnement des trottinettes électriques dans la capitale et s'apprête à répondre à l'appel d'offres de la mairie. L'occasion d'interroger son directeur général local sur l'état et les ambitions de la société à Paris.

Les prochaines semaines vont redéfinir le paysage des trottinettes électriques à Paris, où un appel d'offres va être lancé, pour consolider un marché qui a tendance à s'éparpiller. Lime, premier opérateur à être arrivé dans la capitale, le 22 juin 2018, a bien l'intention de faire partie des gagnants. Et cela tombe bien, l'exploitant vient de renforcer sa politique de stationnement de ses trottinettes. Pour séduire la mairie d'un côté, et s'affirmer sur le long terme d'un autre. Clubic a longuement interrogé le directeur général de Lime pour Paris, Arthur-Louis Jacquier, pour faire un point sur la stratégie de la firme américaine dans la Ville Lumière.

Appel d'offres à Paris : Lime ne veut pas faire de Marseille une jurisprudence

Clubic : Évoquons l'appel d'offres à venir à Paris. On imagine que Lime veut éviter de faire du cas marseillais une jurisprudence ? Qu'est-ce que cet appel d'offres impose aux opérateurs ?

Arthur-Louis Jacquier : La mairie a été très claire. Il y aura deux piliers principaux : l'écologie et l'aspect social. Contrairement à l'appel d'offres de Marseille, où il fallait offrir un niveau de redevance annuelle sur le chiffre d'affaires, Paris ne procède pas à ces enchères. Sur les deux autres piliers, nous continuons à avoir une approche à la fois humble et déterminée, pour correspondre à nos valeurs d'écologie, en déployant des modèles de trottinettes plus résistants, en les réparant mieux, et en travaillant à la fin de vie des appareils. Nous travaillons justement avec deux sociétés de recyclage, choisies pour leur pourcentage de recyclage : la SNAM, qui est capable de recycler une batterie lithium à hauteur de 67 %, alors que l'Union européenne fixe le minimum à 50 %, et COMET, qui est le fournisseur qui s'occupe du reste de la trottinette, et qui est capable de recycler jusqu'à 96,2 % de l'engin.

« Dès la limite de Paris franchie, la trottinette va être freinée à 8 km/h »


Nous sommes donc d'accord que, contrairement à Marseille, qui fait payer une taxe mensuelle par trottinette et demande un pourcentage sur le chiffre d'affaires annuel, Paris fait uniquement payer une redevance par trottinette ?

Nous avons déjà payé une redevance pour 2019, qui va de 50 à 65 euros par trottinette. Notre but, c'est de nous inscrire dans le long terme et de répondre aux problématiques des habitants de toute la ville.

Lime-S-City-Paris.jpg
(© Lime)

Un renforcement des conditions de stationnement des trottinettes, pour harmoniser la pratique aux règles de la mairie parisienne

Lime a annoncé trois grandes mesures pour renforcer sa politique de stationnement des trottinettes au sein de Paris. Voyons cela point par point. D'abord, vous avez délimité, avec la ville de Paris, des emplacements réservés sur lesquels les utilisateurs seront obligés de stationner leur trottinette. Grosso modo, cela concerne combien d'emplacements ?

Au départ, à Paris, nous étions un nouveau système innovant et avons connu un succès rapide, ce qui a entraîné l'arrivée de plusieurs concurrents. Donc la question de "où je pose ma trottinette ?" a commencé à se poser à mesure que le nombre d'engins a augmenté, beaucoup se retrouvant sur le trottoir. Il a été décidé de déplacer les parkings vers les emplacements deux roues et les places de parking voiture, en glissant une trottinette entre deux voitures par exemple.Ce sont ces emplacements qui sont inscrit dans l'application. À terme, 2 500 espaces de parking sont en train d'être créés par la mairie. Ils devront accueillir les 15 000 trottinettes prévues par l'appel d'offres de la mairie, partagés entre les opérateurs.

« Si un utilisateur commet une infraction, c'est désormais lui qui paiera l'amende »


Le second point concerne l'impossibilité de verrouiller une trottinette en dehors de Paris et le bridage de la vitesse en cas de franchissement des limites de la ville.

Aujourd'hui, il faut éviter que l'on retrouve des trottinettes un peu partout, d'autant plus que les mairies autour de Paris n'ont pas encore établi leurs règles ni lancé d'appel d'offres, ce que l'on doit respecter. Pour faire savoir aux utilisateurs qu'ils ne peuvent pas se garer en dehors de Paris, la trottinette va être freinée à 8 km/h dès qu'elle franchit le périphérique. En regardant son téléphone, le voyageur se rendra ainsi compte qu'il n'est pas dans une zone autorisée, en plus du fait qu'il est impossible de finir un trajet et verrouiller une trottinette hors de Paris.

Vous aimeriez prochainement étendre la zone d'activité autour de Paris ?

Oui. Je pense qu'il y a une énorme demande de personnes qui sont dans la petite couronne de Paris. Si nous gagnons l'appel d'offres de Paris, il faudra discuter avec les villes alentours.

« Il y a une normalisation de la trottinette »


Les utilisateurs devront payer une amende en cas de mise en fourrière, consécutive au stationnement de la trottinette sur un emplacement qui n'est pas autorisé.

Comme n'importe quel véhicule mal garé, que ce soit une voiture ou un scooter, la trottinette est mise à la fourrière si on la gare mal. Il y a une normalisation de la trottinette, ce qui est extrêmement important. Nous avons d'abord fait de la sensibilisation avec une campagne marrante dont vous avez d'ailleurs parlé sur Clubic. Ensuite, nous avons procédé à de l'éducation, en donnant des cours gratuits de trottinettes en milieu urbain, tous les samedis deux fois par jour à Paris ; ou en menant des actions concrètes grâce à notre patrouille urbaine d'une cinquantaine de personnes, dont le seul travail est de déplacer les trottinettes mal garées. Si un utilisateur commet une infraction, c'est désormais lui qui paiera l'amende.

Comment fonctionne la verbalisation ?

Dès qu'une trottinette est mise à la fourrière, la mairie nous communique son numéro, le lieu et l'heure de mise en fourrière, qui nous permet de retrouver l'identité du dernier utilisateur. Sauf que la trottinette peut très bien avoir été déplacée, après, par quelqu'un d'autre. Pour éviter toute injustice, nous regardons la photo prise au moment où l'utilisateur s'est garé, ce qui permet de voir s'il s'est bien garé ou pas. En l'absence de photo, nous considérons qu'il ne s'est pas bien garé, et il devra s'acquitter de l'amende.

« La rentabilité pourrait intervenir l'année prochaine »


Combien de trottinettes Lime circulent à Paris ?

Officiellement, nous ne communiquons pas le nombre. Aujourd'hui, nous sommes le leader en termes de taille de flotte et en termes d'utilisation. Nous ne souhaitons pas partager ce chiffre, parce que ça donnerait un objectif à nos concurrents. La mairie de Paris, elle, a le chiffre en temps réel. Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons plusieurs milliers de véhicules à Paris.

Pour poser la question autrement, l'appel d'offres va limiter le nombre de de trottinettes électriques par opérateur à combien ?

À 5 000, ce qui équivaut à une baisse pour nous.

lime-tour-eiffel.jpg
(© Lime)

Un modèle économique qui se dessine, et de vrais emplois à la clé

Quel est aujourd'hui le modèle économique de Lime ?

Les revenus de Lime reposent uniquement sur la location de trottinettes. Nous avons trois coûts principaux : la dépréciation des trottinettes, le coût des opérations locales et les frais de recharge. Le point important, là-dessus, c'est celui de la durée de vie de la trottinette. Nous travaillons en permanence sur l'amélioration de notre trottinette. Le modèle que nous exploitons en ce moment, la génération 3, est la douzième itération que l'on a. Le but est de franchir le cap d'une année de durée de vie pour nos derniers modèles. Les premiers chiffres nous laissent espérer 18 mois. Et nous avons 200 mécaniciens à Paris qui entretiennent nos trottinettes.

Où Lime trouve l'argent pour se développer ? Car les simples revenus issus de la location des trottinettes ne suffisent pas...

Il y a des investisseurs extérieurs. Nous avons levé 777 millions de dollars, avec une valorisation de 2,4 milliards de dollars, notamment auprès d'investisseurs internationaux comme Google ou Andreessen Horowitz.

« Nous avons arrêté de travailler à Paris avec des auto-entrepreneurs »


La rentabilité est envisagée pour quand ?

Il est possible que ce soit l'année prochaine. L'une des raisons pour lesquelles nous ne sommes, à ce jour, pas encore rentables, c'est que nous nous développons très vite. En deux mois, nous avons débarqué dans 15 villes en Allemagne, avec autant d'entrepôts, des salariés et l'achat de nouvelles trottinettes.

Au total, combien de personnes travaillent à Paris au service de Lime, et avec quels statuts ?

Nous avons 380 employés, à temps plein, qui travaillent dans nos entrepôts. Vous retrouvez principalement des mécaniciens, des chauffeurs et les salariés de notre patrouille urbaine qui vont déplacer les trottinettes mal garées. Nous avons arrêté de travailler à Paris avec des auto-entrepreneurs. Au lieu de cela, nous travaillons avec des sociétés de transport qui ont elles-mêmes des salariés. Ils sont quelques dizaines à s'occuper de récupérer les trottinettes, de les mettre à charger dans les entrepôts, et de les récupérer le lendemain.

Est-ce que les mesures autour du stationnement vont entraîner, à terme, une possible augmentation des tarifs ?

Je ne peux pas dire non, mais je pense qu'aujourd'hui, nous avons trouvé un bon modèle. Notre but reste d'offrir un service abordable au plus grand nombre.

Une dernière question. L'adjoint à la circulation et au stationnement de la ville de Marseille, Jean-Luc Ricca, évoquait dans nos colonnes une verbalisation potentielle pour les utilisateurs qui ne respectent pas les règles notamment en matière de circulation... est-ce une bonne idée selon vous ?

Tout à fait. Il faut normaliser les trottinettes, comme en vélo. En plus de la loi d'orientation des mobilités (LOM), qui va être votée, un décret va être pris. Il permettra aux trottinettes de rentrer dans le code de la route avec des règles et des devoirs, ce qui est très important.

Merci d'avoir répondu à nos questions. Bon courage pour la suite.

Merci à vous, à bientôt.
Alexandre Boero
Journaliste-reporter, responsable de l'actu
Vous êtes un utilisateur de Google Actualités ou de WhatsApp ?
Suivez-nous pour ne rien rater de l'actu tech !
Commentaires (0)
Rejoignez la communauté Clubic
Rejoignez la communauté des passionnés de nouvelles technologies. Venez partager votre passion et débattre de l’actualité avec nos membres qui s’entraident et partagent leur expertise quotidiennement.
Commentaires (4)
austinlolo

C’est sympa la trottinette, mais je ne vois pas sur la durée comment ça peut être interessant. Jeudi dernier je sors du boulot , pas de métro, et pas de tram. J’étais embêté. J’aurasi pu attendre quelques dizaines de minutes que le trafic soit rétabli, mais j’ai vu une Lime, et je l’ai prise pour rentrer chez moi.
10 kms à faire. Couverts en 35mn. C’est honnête, rapide, bien.
Pourquoi du coup ne pas en prendre une le lendemain matin, et rentrer également en trottinette si c’est si pratique ?
Et bien parce que la course m’a couté quand même 8 euros !
Il n’est pas concevable de me rendre au boulot pour 16 euros par jour, c’est excessivement cher.

Du coup, je m’interroge sur la pertinence de ce type de service, une fois la curiosité passée.

AlexLex14

Il y a effet de curiosité, à voir comment ça évoluera dans le futur, effectivement…

Je suis de ton avis sur les tarifs, ils peuvent s’avérer assez élevés mine de rien selon le temps passé sur la trottinette.

En revanche, je ne pense pas qu’elles se destinent à de si longs trajets (10 km), au contraire, je pense que le trottinette prend son sens sur de micro-trajets, du type 1, 2 ou 3 km, parfois longs à couvrir en ville avec ses cannes ou en transport, mais bien plus rapide en trotti.

nirgal76

Et en plus, ça flotte pas bien

gregelhombre

oui, on ne fait pas 10 bornes avec en général, quand je me sers d’une trot’, c’est juste pour aller d’un point A à un point B rapproché.
Franchement, ce n’est pas super confortable non plus et limite dangereux

Abonnez-vous à notre newsletter !

Recevez un résumé quotidien de l'actu technologique.

Désinscrivez-vous via le lien de désinscription présent sur nos newsletters ou écrivez à : [email protected]. en savoir plus sur le traitement de données personnelles