Elle fut la première sonde à entrer en orbite autour de la géante gazeuse, et une mission iconique des années 90. Malgré un handicap, les données qu’elle a rapportées ont marqué l’exploration spatiale, et participé à mettre en place une véritable dynamique pour aller approfondir les mesures.
Elle aura aussi beaucoup aidé sa cousine Cassini.
La longue route pour Jupiter
Après les succès des survols du système jovien par les sondes Pioneer 10 (1973) et Pioneer 11 (1974), la NASA dessine déjà les contours d’une mission qui irait pour la première fois s’insérer en orbite de Jupiter pour pouvoir l’étudier plusieurs années. Les contours sont définis en 1977, et les travaux débutent pour un décollage sur navette. Cependant, les navettes STS connaissent des dépassements de coûts et des retards : le budget et surtout le profil de vol de la mission Galileo ne cessent de changer. Puis en 1986, c’est la catastrophe Challenger, et les équipes se demandent même si leur véhicule va pouvoir partir. Le vol est reprogrammé en 1989, mais ne pourra pas atteindre Jupiter directement depuis la Terre : il devra utiliser l’assistance gravitationnelle de Venus et de la Terre. Problème, la sonde n’était pas initialement conçue pour soutenir des températures solaires telles que celles qui sévissent aux alentours de Venus…
Après des vérifications additionnelles, la sonde commence son voyage vers Venus le 18 octobre 1989, en décollant dans la soute de la navette Atlantis. La mission est soumise à beaucoup de pression : en plus du risque pour les astronautes, la présence de la sonde Galileo et son générateur d’électricité au plutonium font les gros titres. Pensez donc : en cas d’annulation en vol, la navette aurait dû se poser au Sénégal avec son chargement (bien qu’il n’émette pas de radiation en dehors de son caisson, un générateur RTG est l’objet de nombreux fantasmes). Heureusement, tout se passe bien, et Galileo peut être éjecté de la navette six heures après la mise en orbite. Son moteur à ergols solides s’allume comme prévu dans sa fenêtre de tir qui dure… six secondes. En route pour Jupiter ! Ou plutôt, en route pour Venus d’abord.
A l’heure de grande écoute…
1990, c’est l’année des survols pour Galileo. D’abord celui de Venus, qui lui fait gagner plus de 8 000 km/h, puis celui de la Terre au mois de décembre. Les équipes ont ensuite dix mois pour se préparer, avant la toute première rencontre d’une sonde avec un astéroïde (même si plusieurs agences ont réussi leurs missions quelques années plus tôt avec la Comète de Haley), nommé 951 Gaspra. Ce sera aussi une occasion importante de tester les instruments scientifiques quatre ans avant d’arriver en orbite de Jupiter. De premiers tests commencent au printemps, mais le 11 avril, les ingénieurs du laboratoire JPL sont inquiets : ils ont commandé à l’antenne grand gain (qui doit assurer l’essentiel des transferts de données, images et résultats de mesures) de se déployer, un peu comme un parapluie… mais les valeurs qu’ils obtiennent ne sont pas bonnes.
Trois brins de la structure de l’antenne restent coincés et l’empêchent de s’étendre. Dans cette position, elle ne peut fonctionner et les équipes sont obligées d’utiliser l’antenne à faible gain, qui a un débit bien moindre. S’il devient vite évident que c’est un défaut de lubrification qui en est l’origine (le produit n’a pas été ré-appliqué malgré les années de retard du décollage), résoudre le problème n’est pas évident. La NASA tente de faire tourner la sonde sur elle-même, de la « secouer », de chauffer puis refroidir l’antenne au soleil. Et bien sûr elle démarre et redémarre le moteur de déploiement, qui malheureusement tourne dans le vide… Plus de 13 000 fois. C’est toute la mission qui doit s’adapter : moins de débit, c’est l’obligation d’avoir des commandes simples, et des résultats efficaces sans de longues périodes de calibration. Inutile aussi de prélever trop de données pour les stocker sur les bandes magnétiques de Galileo : il n’y aura jamais le temps de toutes les transmettre au sol. L’agence américaine estimera plus tard que ce handicap a privé la sonde d’environ 30% de ses capacités.
Gaspra, Ida, et les nuages de Jupiter
Toutefois, le reste de la sonde Galileo fonctionne exactement comme prévu. Le survol de l’astéroïde Gaspra à 5 000 km de distance sera une réussite spectaculaire. Il sera suivi par une dernière assistance gravitationnelle de la Terre, avant de croiser un second astéroïde nommé Ida en route pour Jupiter. Là encore, les observations fonctionnent comme prévu. Avec 60 km de long pour 26 de large, Ida est un très grand morceau et… il a un satellite naturel ! Nommée Dactyl, il s’agit de la première lune découverte autour d’un astéroïde.
En 1995, le voyage interplanétaire de Galileo touche à son terme. Mais avant de s’insérer en orbite de Jupiter, il largue une « petite » sonde de 339 kg (parfois nommée JEP pour Jupiter Entry Probe) dont le rôle est d’impacter la planète géante, et de transmettre le plus longtemps possible des données depuis son atmosphère. C’est une franche réussite, malgré une grosse frayeur : le petit parachute de la sonde se déploie avec 53 secondes de retard. La moisson de données est cependant impressionnante, et permet d’en savoir plus sur la composition de l’atmosphère jovienne, les données de pression, les couches atmosphériques et le vent (plus de 600 km/h mesurés !).
Huit ans d’une valse jovienne
Le 8 décembre 1995, la mission Galileo réussit son pari et devient le premier véhicule à orbiter Jupiter. La première phase de mission dure deux ans, et permet d’étudier en priorité Jupiter, tout en programmant des changements d’orbite pour survoler ses lunes principales. Ses 16 instruments scientifiques (presque 120 kg) ont permis de cartographier la magnétosphère jovienne, d’observer et de documenter l’origine probable de ses anneaux, résultants d’impacts météoritiques avec les lunes galiléennes, d’étudier les nuages de la géante… Mais aussi, pour les lunes, de documenter grâce à des images et des relevés inédits les quatre lunes principales de Jupiter que sont Io (lune Volcan), Europa (et ses glaces gelées et griffées), Ganymède et Callisto (et leurs océans intérieurs).
A partir de 1997, les objectifs scientifiques principaux sont remplis, et Galileo reçoit une première extension de mission de deux ans (qui sera renouvelée jusqu’à 2003). Les relevés sont un peu plus audacieux, notamment avec l’étude des interactions magnétiques entre Jupiter et Io. Il faut pour cela exposer la sonde à d’importants rayonnements électromagnétiques, et malgré le blindage des instruments, la mission souffre au fil du temps. Les années passent et les résultats sont de plus en plus bruités, les capteurs ont des « trous de mémoire » et la bande magnétique qui enregistre les données avant de les transmettre a parfois des ratés. Les imageurs lâchent en 2002, et les équipes savent alors que bientôt ils ne pourront plus contrôler leur bijou. Il faut cependant éviter qu’il puisse contaminer une des si passionnantes lunes de Jupiter, surtout avec son cœur de plutonium. Le 20 septembre 2003, le véhicule est envoyé se consumer dans l’atmosphère de Jupiter, son sujet d’étude.
Des leçons bien apprises
Pour commencer, les difficiles leçons de l’antenne de Galileo serviront pour les missions suivantes vers le reste du système solaire, et notamment Cassini. Cette dernière, en route pour Saturne, croise Jupiter le 30 décembre 2000 : c’est l’occasion de comparer les données des deux missions, et de réaliser avec Cassini quelques mesures plus précises (avec dix ans d’écart lors de la conception, cette dernière est mieux équipée). Galileo soulèvera beaucoup de questions au cours de ses huit ans en fonction autour de Jupiter. Cela mènera à la réalisation d’une mission spécifique pour comprendre le cœur de la géante gazeuse et la dynamique de ses nuages, Juno. Cette dernière a décollé en 2011 et poursuit aujourd’hui encore sa mission. Enfin, différents projets ont vu le jour pour aller étudier au plus près les lunes gelées de Jupiter. C’est le cas de l’européenne JUICE (Europa, Callisto et surtout Ganymède), mais aussi de la mission NASA, Europa Clipper.
Les « Enfants de Galileo » continueront longtemps d’étudier ce système planétaire… Même s’il reste l’un des plus difficiles à visiter avec son environnement extrême.