Comment appréhender au mieux les possibilités offertes par Internet et la démocratisation des terminaux connectés lorsqu'on est une chaîne de TV, une radio ou un éditeur de presse papier ? Si certaines réponses restent à trouver, la matinée de réflexion organisée jeudi par le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) a permis de faire un état des lieux des pratiques en vigueur, et des questions que pose encore l'entrée de plain pied dans l'ère du numérique.
Confronté à la montée en puissance des offres délinéarisées venues d'Internet, ainsi qu'à la multiplication des terminaux connectés susceptibles de compromettre la consommation du flux qui constitue sa raison d'être, l'univers de la télévision semble concerné au premier chef. Incarnées jeudi par le groupe France Télévisions ou par M6, les chaînes de télévision confessent d'ailleurs se démener pour élaborer de nouvelles expériences utilisateur et de nouveaux modes de distribution visant à accompagner plutôt qu'à subir le mouvement.
Pour Eric Scherer, directeur de la prospective, de la stratégie et des relations internationales à France Télévisions, on n'en serait toutefois qu'au « tout début de l'expérience ». Effectivement, que font aujourd'hui les chaînes en matière de TV connectée ? Elles travaillent à ce stade selon trois axes : mise à disposition des contenus à la demande (la fameuse TV de rattrapage) sur le plus grand nombre d'écrans possible, extension des programmes au « second écran » - smartphone ou tablette, et renforcement des interactions sociales avec le téléspectateur.
L'ère du social media
Sur ce dernier point, Eric Scherer fait remarquer que les réseaux sont déjà là, et que les internautes n'ont pas attendu l'approbation des chaînes pour commenter leurs programmes. Le phénomène mériterait toutefois d'être étudié et catalysé : une émission politique qui marche bien ou les Victoires (de la musique) génèrent environ 50 000 tweets, fait-il ainsi remarquer, alors qu'aux Etats-Unis, le Superbowl déclenche jusqu'à 50 000 tweets... par seconde !
Au delà de la visibilité générée, il reste toutefois aux médias à extraire de la valeur de cette conversation de fonds, point sur lequel semblent encore achopper bon nombre de stratégies sociales. En attendant que l'inévitable data mining progresse, d'autres mettent un point d'honneur à déjà exploiter cette manne. Sarah Herz, de Conde Nast, souligne ainsi le potentiel que revêtent les 900 000 abonnés au compte Twitter de Vogue Paris, l'incroyable pouvoir de prescription qu'ils confèrent au média, et le côté « sublimateur de marques » que peuvent acquérir les réseaux sociaux.
TV de rattrapage, tablettes... de nouveaux revenus
Nicolas Capuron, directeur Marketing & Business Development chez M6 Web (société éditrice de Clubic.com), a pour sa part rappelé la réussite du modèle M6 Replay, affirmant que dans l'esprit du groupe, le délinéarisé est désormais « aussi important que le linéaire ». La stratégie Replay sera d'ailleurs appliquée à la future chaîne 6ter dès son lancement, fin 2012.
« Le démarrage de la télévision de rattrapage s'est fait essentiellement sur PC, mais aujourd'hui les usages sont de plus en plus axés TV », a-t-il également souligné. Sur M6 Replay, 50% de la consommation se fait ainsi aujourd'hui en IPTV, soit directement sur l'écran du téléviseur, via les applications installées dans la plupart des box du marché. Et si le PC compte encore pour 30 à 35% des usages, le reste se fait désormais sur smartphone et tablette. « L'iPad connait la croissance d'usage la plus forte, notamment grâce à la présence du direct », fait remarquer Nicolas Capuron.
Ce fameux iPad, dont Médiamétrie tente désormais d'analyser les usages, cristallise une partie de l'attention, d'une part parce qu'il est souvent utilisé en parallèle de la consommation d'autres médias, mais aussi parce qu'il se révèle un catalyseur d'audience.
Grégoire Lassalle, PDG d'Allociné, explique par exemple que si un internaute PC consomme environ 5 pages par visite, ce taux monte à 15 pages chez les mobinautes, et jusqu'à 25 pages par visite pour les utilisateurs de tablette. Sébastien Valère, Digital Marketing & Operations VP à l'Equipe 24/24, confirme : chez lui, un quart du milliard de pages vues enregistrées tous les mois viendrait des terminaux mobiles. Ne reste plus qu'à accompagner cette nouvelle audience de revenus : chez Allociné, où l'on fait également 25% des pages vues sur les écrans mobiles, ces derniers ne pèsent que de 2 à 3% du chiffre d'affaires.
De la démarche défensive à la génération de valeur
Joel Ronez, directeur des nouveaux médias chez Radio France, voit la réponse à l'invasion de ces nouveaux écrans autant comme une démarche défensive que comme une opportunité. « Avec 14 millions d'auditeurs par jour, Radio France est un groupe prospère », plaisante-t-il, avant de rappeler que la consommation moyenne était à la baisse, particulièrement chez les 15 - 24 ans, et que le rôle prescripteur de la radio en matière de musique n'était plus reconnu que par 60% de cette tranche d'âge, contre 80% il y a dix ans.
Là aussi, il faut donc se remettre en question, en commençant bien sûr par investir les terminaux mobiles, avant pourquoi pas d'aller adresser les TV connectées. « La nouveauté pour nous, c'est qu'il y a un écran », fait-il remarquer. Celui-ci peut toutefois déclencher quelques bonnes idées, comme avec FiP, dont l'application mobile propose la pochette du titre en cours de diffusion, la possibilité de le partager sur les réseaux sociaux, ou même de l'acheter sur iTunes.
Des start-ups pour insuffler l'élan ?
Exploiter les mécaniques du numérique, c'est bien, mais dans une matinée se voulant prospective, le constat semble manquer un brin de la vraie, la bonne, innovation. Comme souvent, le souffre aura été apporté par quelques start-ups invitées par le Geste. Hubwee, par exemple, qui fournit une solution technique visant à faciliter le portage d'applications média vers les TV connectées, ou Devantlatélé.com, qui s'est fait une spécialité de l'agrégation et de la mise en forme des commentaires « sociaux » qui accompagnent les flux TV.
Michel Lévy Provençal, fondateur de Joshfire, appelle quant à lui prévoir l'émergence du fameux Internet des objets, et à d'ores et déjà embrasser un spectre plus large que celui des écrans.
Plus analytique que prospectif, ce passage en revue des expériences des uns et des autres conduira vers une conclusion - qui sans doute s'imposait d'elle même, formulée dès le début de la rencontre par Maciej
Wicha, directeur du département numérique de l'éditeur polonais Agora SA : « Dans le secteur des médias en ligne, les modèles d'affaires, pour rester bénéficiaires doivent, avant toute chose, intégrer la dimension temps. Il faut aller vite, très vite, quitte à se tromper, mais il n'y a plus de place pour l'hésitation ».